Actes du Colloque de Cerisy | « L’Écriture du malaise »

Sous la direction de Houria Abdelouahed, Jean-François Chiantaretto et Jean-Michel Hirt. Ithaque, les Colloques de Cerisy, Université Sorbonne Paris Nord, septembre 2024. Cerisy-la-Salle du 16 au 22 juin 2023

Ithaque éditions, septembre 2024

Article rédigé par : Catherine Herbert

« Comment de nos jours rester freudiens dans notre réflexion sur les maux de la civilisation ? Seule aujourd’hui une écriture reliée à celle de Freud – mais sous quelle forme – nous permettrait-elle de questionner le système de pensées, étayé sur le langage de l’histoire qui conditionne notre penser ? Et d’interroger dans le même mouvement ce qui dans l’état actuel de la culture, et donc de la psychanalyse, nous empêche de penser ? » Telle est l’introduction de ce recueil des textes des vingt et un auteurs qui se sont réunis lors du Colloque de Cerisy, « L’Écriture du malaise », en juin 2023. Questions essentielles, questions psychanalytiques, questions politiques, puisque la psychanalyse est aussi politique au sens de la polis et du monde commun, selon Hannah Arendt.

Ce recueil nous montre combien la liberté de parole et d’écriture est intimement lié à la liberté de penser et la liberté d’être. Au travers de ces six chapitres contenants chacun trois à quatre textes, nous découvrons la richesse et la vitalité des échanges de ces quelques jours cerisyens de juin 23. Ces écrits sont des plus intimes aux plus universels arborant ainsi ce lien si fort entre individu et collectif que la psychanalyse essaie de penser depuis son origine.

Six chapitres –De la cure, De l’écriture, De l’âme, Du trauma, Du genre, De la culture – qui rappellent que la psychanalyse est subversive, qu’elle dérange, que son lien à l’écriture est présent depuis Freud, révélant toujours la présence – absence des autres. Six chapitres que l’on pourrait regrouper en trois grands thèmes : la chair et son fracas du sexuel, du pulsionnel ; l’évènement source de jouissance et cause de symptômes ; le culturel, ses modifications et les possibles dérives de la psychanalyse. Les auteurs sont essentiellement psychanalystes mais aussi essayistes, philosophes, psychiatres, psychologues, traducteurs, anthropologues et éditeurs. Ils abordent chacun dans leur discipline, thème et écriture, différentes figures du malaise contemporain dans l’identité, le genre, la guerre, les traumatismes, l’emprise du virtuel, la parole, l’écriture, le lien social, la cure et la formation analytiques, le transfert et le contre-transfert.

Cet ouvrage rappelle combien l’être humain est un être social et un être de récit, combien l’altérité est une nécessité à sa construction, combien la conflictualisation et la complexité sont primordiales, combien l’inscription dans une temporalité est essentielle. La psychanalyse, sans renier ses fondamentaux, dans son dialogue avec d’autres disciplines, les enrichit et s’enrichit. Elle permet de s’approprier, saisir le sujet dans le monde contemporain. Elle continue d’écouter, de révéler et de penser le tragique de l’homme.

« Ce que tu as hérité de tes pères, acquiers-leafin de le posséder. » Acquérir, conquérir pourrait-on ajouter. Cette phrase du Faust de Goethe, reprise par Freud, nous évoque cette question de la transmission centrale dans la psychanalyse, centrale dans cet ouvrage. L’héritage est une conquête, un processus, que chacun d’entre nous doit affronter, tout comme la société ; un processus qui, comme l’analyse, s’étaye sur la pulsion épistémophilique, sur l’investissement pour penser la vie en société et sa vie. Transmission qui, aujourd’hui, se trouve bousculée à l’intérieur même de la psychanalyse tout autant que par l’extérieur. Après la lecture de cet ouvrage, nous comprenons combien le malaise contemporain, individuel et collectif, reste bouleversant et déstabilisant. Qu’il nous revient, à nous analystes, de rester au plus près d’une mémoire de la transmission sans prétention ni condescendance, et d’une curiosité accordée à l’incertitude de l’avenir. « L’Écriture du malaise », qui n’est pas sans nous faire penser au « Malaise dans la civilisation » de Freud, est un livre essentiel pour continuer à penser, à partir de Freud et de ses héritiers, cette question centrale du malaise individuel et du malaise sociétal.

Catherine Herbert

Psychanalyste, Association Psychanalytique de France.

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