Claude Maillard « La Grande Révolte, le tragique de la technique »

Frénésie Editions, Penne d'Agenais, 2008. Tiré à 76 exemplaires numérotés et signés par l'auteur. Conception graphique Jean-Luc Chamroux, 68 pages, 421€ CD - Claude Maillard : texte et voix. Vincent Airault : composition guitare .

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

“Quand acceptera-t-on de ne jamais  cesser de parler au corps,
Fut-il devenu muet de souffrance ou d’absence ?
Quand cessera-t-on de placer la Machine en tête de réseau,
En ce lieu fantasmatique où nous nous croyons obligés
D’oublier notre langage et de ne parler que celui que nous imaginons être le sien ?
Quand déciderons-nous de ne pas nous réfugier derrière les raisons
(Justifiables par ailleurs) de l’urgence technologique ou institutionnelle,
Pour nous questionner sur cet écart à nous-mêmes que nous devons garder
Pour continuer à parler, au lieu de nous fondre
Dans le langage de la Machine ?”

La force de ces questions a donné naissance au livre de Claude Maillard “La Grande Révolte, le tragique de la technique”.

Ce très bel ouvrage de Claude Maillard est dédié à Robert Vergnes, un grand aventurier, spéléologue et anthropologue, compagnon du “Che Guevara”, et lui a été inspiré par la traversée qu’elle a faite avec lui. “On rencontre toujours celui qui nous fait avancer dans notre histoire, sans qu’on le sache”, souligne-t-elle.

Claude Maillard est écrivain, psychanalyste, médecin, et a déjà publié une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels “La Trilogie de Saint-Anne”, “Le Scribe”, “Les pommiers de Sodome” chez Frénésie Editions, et “82 dressages”,  “Palimpsestres de la mère morte, 7 unica”, “Massada, de Sodome à Gomorrhe” et “La Canopée malaise” aux Editions Artulis.

Où commence le livre ? Comment l’ouvrir, le consulter ? Dans quel sens ?  La première page ouvre sur le sommaire, qui guide la lecture de qui s’introduit dans l’ouvrage. La couverture est centrale.

C’est une œuvre qui creuse, qui interpelle, qui résonne. Qui se fait entendre. Qui dit jusqu’à l’audace. A “y risquer sa peau, et son âme”. Ce très beau livre, d’une bibliophilie nouvelle, est d’une écriture abstraite, mais pas théorique.  A la Bibliothèque nationale de France, il est classé dans le rayon des livres “rares et précieux”. “J’écris dans l’écriture qui ne s’écrit pas mais qui se livre”, observe l’auteur. Chacun est libre de lire l’ouvrage dans sa propre lecture, comme dans une pierre de Rosette.

Pour Claude Maillard, l’écriture est indissociable de la pratique des mots, des jeux  de langage. Mais la langue, croit-on la connaître ?  Que nous fait-elle entendre ? “La langue, ce que possède l’homme et ce qui le possède. Ce qui le convoque au plus haut, à la pointe de la langue, dans son aventure”.  Le psychanalyste est homme de langue. Son métier est d’entendre ce qui fait lien entre les humains. Et si Claude Maillard est psychanalyste, c’est aussi et surtout en tant qu’écrivain et poète qu’elle avance dans ce livre.  “Corps d’écriture que la Grande Révolte. Celle qui, à l’extrême pointe du langage, ose donner suite à la porte d’enfer. Et se risque à le faire”.

La grande machinerie est ce qui fait la trame du livre et suscite ce grand malaise d’une société terrifiante, très difficile à entendre depuis la nuit d’Hiroshima. “Pire qu’à Hiroshima, Nagasaki, Tbilissi et sur tous les îlots pacifiques, l’homme est non seulement nié, mais matérialisé en tout bien toute innocence”. Pour Claude Maillard, pas question que l’homme suive cet asservissement aux machines et en ressorte déshumanisé par les mécaniques illusoires, les nouvelles technologies, les logiciels, les neurosciences. “Le corps en danger de machine.  Abusé par elle, démystifié. Les effets machine sont incalculables… Etre perdu de machine, et s’y perdre. S’y repaître aussi. Jusqu’à mourir par elle”.

L’ouvrage comporte un CD Rom.  L’auteur  fait du texte une lecture très singulière,  ponctuée par les improvisations d’un guitariste virtuose, au rythme d’un paysage maya, sur le chemin du Quetzal de la plus haute montagne. Les textes sont profonds, les images très travaillées. Certaines reviennent sous différentes formes. Elles partent de la photo dépixellisée pour apparaître sous les traits de Robert Vergnes.  L’ouvrage a été primé par le Jury du Concours des plus beaux livres, grâce notamment, à son graphisme et à sa mise en page.

Le Cabinet de Lecture n’a jamais sa place dans un livre, mais dans le présent ouvrage,  il est là, sur les bords du centre. Trois participants, Pierre Jacerme, Pierre Boismenu et René Major ont donné une exhalaison de ce qu’ils ont lu. Le texte de Pierre Boismenu, “Insurrection”,  commence par cette phrase. “Ils ont volé le cri. Coma de la clinique. Le souvenir-écran des machines,  son luxe de pixels scientifiques, a obturé les souffles de dires s’efforçant  à l’autre : vous êtes pris en charge, inutile de balbutier. Ils avaient le savoir en eux et ils soignaient…”.

En dehors des collectionneurs privés, les ouvrages ont été achetés par différentes institutions, dont le Freud Museum de Londres, le musée d’Art et d’Histoire de Genève, l’université de Bâle, le Library of Congress de Washington, le musée J. Paul  Getty de Los Angeles et le Morgan Library & Museum of Modern Art de New-York.

Le livre est consultable à la librairie Les Argonautes : 74, rue de Seine, 75 005 Paris. Tél. : 01 43 26 70 69.

Annik Bianchini

 

 

 

 

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