Sur le divan

Les écrivains racontent les mystères du corps parlant Sous la direction d’Olivia Elkaim, Préface de Luis Izcovich Ed. Stilus 2017

Vanessa Brassier
Psychologue, psychanalyste, docteur en psychanalyse.
Inscrite au collège clinique des Forums du champ lacanien et membre de la Fondation Européenne pour la psychanalyse
Exerce en CMP et en cabinet privé
Publications : Le ravage du lien maternel, L’Harmattan, 2013
Article :  » Lol V. Stein : do deslumbramento à devastaçao  » (Revue de l’association psychanalytique de Porto Alegre n. 47, Clinica à flor da pele)

 

Pour vous, qu’est-ce que la psychanalyse ?
Voilà la question. Neuf romanciers y répondent sous forme de courts récits où la fiction romanesque se mêle au témoignage personnel, interpelant le lecteur sur le statut de la vérité en psychanalyse comme en littérature. Emilie Frèche y excelle à travers son « Je de la vérité » diffracté dans un récit à trois voix(1) où chaque protagoniste – le personnage, la source d’inspiration, l’écrivain – livre sa version d’une histoire qui se construit et se déconstruit au gré de cette triple partition. La vérité en sa structure de fiction(2), dirait Lacan. Car tel est peut-être le point nodal de chacun de ces textes et la trame qui les relie, fil d’Ariane dans le labyrinthe de la psychè.
Ainsi le recueil s’ouvre sur le récit romancé par Camille Laurens d’une séance d’analyse où se déploie le jeu de l’association libre, où s’entend l’équivoque signifiante. Celle que fait résonner l’interprétation de l’analyste pour lever le voile sur la vérité inconsciente, logée au cœur des mots. L’ascenseur, la censeure, la sans-sœur, la sans-heure.(3)
Plusieurs de ces récits illustrent d’ailleurs avec une remarquable finesse la pratique de l’analyse telle qu’elle s’éprouve dans l’intimité du cabinet. Et tout lecteur passé par le divan peut ressentir la singularité et l’authenticité de l’expérience vécue qui inspire certains de ces textes. Les métaphores littéraires y fleurissent pour rendre sensible ce qui constitue l’essence même de la psychanalyse. Ainsi la « petite marche » racontée par Véronique Olmi qui précède et qui suit chaque séance. Telle la traversée d’une analyse, elle est ce chemin parcouru au fil d’une pensée qui s’égare, creuse les sillons du passé, retournant systématiquement sur ses pas qui sont ceux de l’enfance(4). Une petite marche et parfois un long voyage où se dévoilent, pour qui prend le risque de s’y engager, de nouveaux horizons, d’une familière étrangeté. L’apprentissage d’une nouvelle langue en est le viatique, la clé de toute transformation subjective. La nouvelle d’Olivia Elkaim(5) illustre ainsi avec humour les effets quasi magiques d’une analyse sur la vie d’un sujet prisonnier de son narcissisme dès lors qu’il apprend à parler une nouvelle langue, celle de son désir profond jusqu’alors bâillonné par les exigences de l’idéal, et qu’il éprouve ce sentiment de plénitude à devenir autre que soi-même. Ou cet exemple personnel livré dans le récit poignant de Laurence Nobécourt(6), sorte d’adieu au père où se dessine la singularité d’un sujet qui parvient à émerger en récupérant la vérité de son prénom et de ses origines par la grâce de la parole analytique et de l’écriture littéraire.
La question du transfert habite tous les récits, de même qu’elle est le point pivot de toute cure. Si les auteurs adoptent le plus souvent le point de vue de l’analysant, l’un d’eux change élégamment de focalisation, faisant de l’analyste le narrateur(7). Ou comment un patient peut venir habiter les pensées de son thérapeute… Un « désir irrépressible(8) » devrait mener au divan selon Philippe Forest qui reconnaît n’avoir jamais fait lui-même l’expérience de l’analyse. Or nous savons que le « désir de l’analyste(9) » a aussi la part belle dans le déroulement de la cure.
Mais c’est sans le filet de la théorie que nos écrivains attrapent, saisissant ce qui de la psychanalyse se soustrait au sens et à la formalisation conceptuelle. Des références littéraires, picturales, musicales même émaillent leurs récits. L’humour aussi, qui souvent y affleure, confère à ces textes une forme de légèreté à quoi l’analyse peut prétendre.
Le lien qui se tisse d’un récit à l’autre captive le lecteur car il concerne la vérité de l’être, en jeu dans l’expérience analytique comme dans l’écriture littéraire. Il révèle aussi la troublante parenté entre la pratique de la lettre dans la littérature et les trouvailles signifiantes dans l’analyse.
Inscrite au cœur de la théorie freudienne, la littérature est en effet indissociable de la découverte de l’inconscient et de l’élaboration des concepts psychanalytiques. Le mythe d’Œdipe en est l’exemple princeps. Mais pas seulement car toute l’œuvre du père de la psychanalyse -grand lecteur passionné par les livres- abonde en références littéraires. Combien de fois Freud a-t-il d’ailleurs souligné que les contenus fantasmatiques révélés par ses patients sont similaires aux productions littéraires ? Ce qu’il nomme l’émoi littéraire dans L’interprétation des rêves ne s’éprouve-t-il pas en cet instant où nous entrevoyons entre les lignes du roman que nous lisons ce que nous ignorons de nous-mêmes, une vérité inavouable, indicible que le texte littéraire révèle en la déguisant, telle le texte du rêve qui en cela use des mêmes artifices langagiers ? La métaphore et la métonymie ne sont-ils pas en effet à la littérature ce que la condensation et le déplacement sont au rêve ? L’inconscient répète, comme rime la poésie, à partir de cet ombilic reliant le rêve à l’inconnu.
Chaque analysant devient poète à son insu quand sa parole d’abord enchaînée se dépouille des scories du discours courant pour se déployer dans l’authenticité de ce que Lacan appelle la « parole pleine », faisant résonner la poésie de l’inconscient. Celle-là même qui inspire à l’écrivain ses mots.
Laissons pour conclure la parole à l’un de nos auteurs : « les romans, comme l’analyse, procèdent pareillement, si l’on y réfléchit, du même égarement et de la décision que prend leur auteur de ne plus se dérober davantage devant l’énigme de sa vie(10) ».

Vanessa Brassier

 

(1) « Le Je de la vérité », Emilie Frèche, p. 55.
(2) « Lituraterre », Jacques Lacan
(3) « L’ascenseur », Camille Laurens, p. 9.
(4) « Une petite marche », Véronique Olmi, p. 43.
(5) « Pollicitator », Olivia Elkaim, p. 125.
(6) « Sur le divan », Laurence Nobécourt, p. 103.
(7) « Une dame très charmante », Gilles Rozier, p. 23.
(8) « Jamais de la vie », Philippe Forest, p. 155.
(9) Lacan s’interroge sur le désir de l’analyste à plusieurs reprises au long de son séminaire, par exemple en 1960 dans L’Ethique de la psychanalyse, séance du 22 juin.
(10) « Jamais de la vie », Philippe Forest, p. 162.

 

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