Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis |
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« La douceur est invincible » Parler de puissance à propos de la douceur peut sembler paradoxal. Pourtant, nous ne comprenons pas, toujours, combien la douceur est vitale, insaisissable, persuasive, sauvage. Et comment elle peut générer une extraordinaire force de vie. Nous vivons dans une époque où il faut avant tout être performant. A l’ère de l’efficacité et de la réussite immédiate en toute chose, y a t-il encore une place pour la douceur ? |
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Bien différente de la compromission, de la mollesse, du superflu, ou même de la pureté, la douceur est avant tout une puissance, une force de réalisation et de transformation de la vie. Proche de la beauté ou de la bonté, elle est aussi une « fête sensible ». Mais la douceur est aussi une intelligence, de celle qui porte la vie, et la sauve et la croît. Etre doux, explique l’auteure tout au long de ce livre, c’est arriver à être compréhensif avec soi, admettre sa vulnérabilité. La douceur a du sens si elle s’éprouve, se donne, se diffuse. Elle détient un pouvoir de transformation sur les êtres et les choses. L’adopter est un choix : on fait acte de douceur. Elle peut aller de pair avec un refus, et une grande fidélité à soi. Mais la douceur est un état d’être qui relève de l’expérience. Il y a en elle une part de spirituel et de charnel. Anne Dufoumantelle est docteur en philosophie et psychanalyste. Elle a publié La sauvagerie maternelle (2000) et Blind date, sexe et philosophie (2003) aux Editions Calmann-Levy; En cas d’amour (2009, 2012), Eloge du risque (2011) et Intelligence du rêve (2012) aux Editions Payot et Rivages. La douceur est une énigme. Elle est une qualité dont les registres infinis vont au-delà même du règne du vivant. La douceur suppose la reconnaissance de la vulnérabilité de ce qui est approché. Elle peut régner en tous lieux, depuis son animalité première jusqu’à son destin politique. De cette puissance secrète, il convient d’évoquer l’intelligence spécifique, les capacités d’action, la force de résistance, les métamorphoses. Nous reconnaissons la douceur dans des figures littéraires, chez certains personnages de Kafka, de Melville, de Flaubert ou de Tolstoï. Les vers de Baudelaire ou ceux de Rimbaud ont une douceur particulière. Nietzsche lui-même, le penseur de la volonté de puissance, glorifie, dans Ecce Homo, la douceur comme une véritable force de résistance. Et les Grecs l’avaient l’avaient inscrite dans la langue, comme le contraire de l’hybris, la démesure de qui est en proie à ses passions. Le soin a toujours été associé à la douceur. Et même si elle ne suffit pas à guérir, si elle ne se munit d’aucun pouvoir ni savoir, elle ajoute au soin une relation de compassion, d’empathie, qui revient à souffrir avec l’autre, sans y céder. D’ailleurs, la douceur préside à une force d’endurance symbolique prodigieuse, comme le montre, tout au long des siècles, l’exemple des saints ou des mystiques. La douceur participe également largement à l’enfance. « La douceur appartient à l’enfance, elle en est le nom secret ». Elle ressemble à un vœu d’enfant : je serai toujours près de toi. On ne survivrait pas à l’enfance sans douceur, car tout y est exposé, suraigu, à découvert. L’image d’un petit enfant qui dort est l’une des images universelles de la douceur. Elle nous renvoie nous-mêmes, à cet abandon initial dont nous provenons. De cet échange, nous conservons à jamais la trace, celle de toutes les métamorphoses. Mais la douceur n’est pas étrangère à l’éros ni à la pensée. C’est une langue intime qui s’adresse tout autant à l’esprit et au corps. C’est une des sources de l’érotisme, elle peut en rejoindre les contrées les plus sauvages. Son rayonnement semble n’avoir aucune limite, ni charnelle, ni intellectuelle, ni spirituelle. La douceur s’éprouve. Comme le rêve, elle modifie substantiellement ce qu’elle affecte. « Si la douceur était un geste, elle serait caresse ». La douceur a une face cachée, la mélancolie. « La mélancolie ordinaire fait des ravages. Dans son sillage, elle n’annonce pas la couleur mortelle dont elle se pare; elle fait des mines, elle se dit triste d’abord, puis blanche, puis exsangue et finalement lorsqu’apparaît l’attrait de la mort, personne n’a rien vu, rien compris ». Le psychanalyste n’est pas sans douceur. En écoutant ceux qui viennent confier leur détresse, il entend que la douceur traverse chaque expérience vécue. Cet essai singulier, profond, où se mêlent écriture sensible et réflexion fine, est une incitation à la sérénité. Annik Bianchini |