Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis |
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Non. NON A la recherche désespérée, acharnée, …Plutôt mourir que céder, H.G |
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L’anorexie échappe à toute classification. C’est une maladie de l’adolescence, spécifique et complexe, qui touche surtout des jeunes filles. Elle est à la fois une pathologie et une façon de vivre, une souffrance persistante et un plaisir égoïste. Elle pose à la médecine des questions qui débordent ses représentations habituelles du symptôme. En frôlant la mort pour que s’affirme son être, l’anorexique pousse le médecin et le psychanalyste aux limites de leur éthique respective. Cet ouvrage collectif est le résultat d’une journée d’étude et de dialogue, organisée par l’Association Psychanalyse et Médecine, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. Les questionnements abordés ici oscillent entre deux disciplines qui se retrouvent au chevet du corps décharné de ces jeunes femmes. Ethymologiquement, le mot “anorexie” signifie “absence d’appétit”. Mais en réalité, le sujet est en lutte active contre la faim. “Appel de l’essentiel ou mirage du vent, les anorexiques s’engagent dans une expérience de l’extrême. Dans la quête insatiable de rester sur leur faim, elles se dépouillent et se vident jusqu’à ce que, bouclées sur elles-mêmes, elles fassent de leur corps un bunker déshabité”, indique Danièle Epstein, psychanalyste. “Au-delà du repli narcissique, pourtant, la question de l’adresse n’est pas sans objet : à quel Autre font-elles signe de leur corps délesté, qui en appelle au regard, pour lui signifier l’horreur d’être soi ?”. Comme les mystiques au Moyen-Âge, l’anorexique, par un refus obstiné de la nourriture, s’inflige les exercices spirituels de l’ascèse et du jeûne, pratiques religieuses fondées sur l’expérience de purification et l’appel du sacré… des similitudes troublantes, pour ces femmes, dans leur manière de vivre leur féminité. Une parole d’anorexique pourrait être : “Ne plus être, ne plus devenir, pour enfin exister, souhaiter la disparition de son corps si inutile, si disgracieux, pour devenir une âme, un esprit”. Freud et Lacan ont tous deux éclairé les rapports qu’entretiennent la psychanalyse et la médecine. C’est ce qu’explique Jean-Pierre Basclay, psychanalyste. Je cite : “A 40 ans d’intervalle, tous deux explorent la même question, dans deux textes, entre autres, qui, in fine, portent, en français, le même titre : “Psychanalyse et médecine”. Dans son texte “Rien du Tout”, Jean-Pierre Basclay reprend la question de l’anorexie en regard de deux axes : 1) les progrès de la science semblent avoir eu peu de répercutions sur la relation que la médecine entretient avec le corps des anorexiques. 2) la dimension de la jouissance, telle qu’en parle Lacan, semble avoir été construite pour décrire l’exercice anorexique. L’anorexie concerne essentiellement les jeunes filles de 12 à 20 ans, mais peut apparaître dès l’âge de 9 ou 10 ans. Les garçons sont moins touchés mais l’évolution des mœurs tend à les rendre plus susceptibles de devenir malades. Dans cet ouvrage, Geneviève Vialet-Bine, psychanalyste, aborde l’anorexie dans le cadre unificateur de la psychologie de l’adolescence. “Crise subjective d’une intensité extrême : comment en effet faire face à cette double injonction qui lui est adressée ? Cesser d’être un enfant et s’identifier à un avenir qui ne peut prendre forme… faute de savoir qui elle est”. Crise d’identité, deuil de l’enfant en soi, crise de confiance généralisée face à l’inconsistance de l’Autre, c’est dans ce désert symbolique que vont surgir les pathologies et conduites à risque. Pour “mettre sa vie en jeu, c’est-à-dire accepter de la perdre pour faire advenir un «rien» de désir”. L’anorexie mentale est la figure cachée de notre rêve de contrôle. L’anorexique nous apprend que notre désir est le mal. Et cependant, elle montre une force et une puissance inhumaines : la force du désespoir, car ce n’est que le désespoir qui peut la pousser à mourir de faim. L’anorexie, un appétit de vivre… à en mourir ? “Angélique cédait à l’appel d’une exigence venue d’ailleurs, un appel d’outre-tombe qui l’attirait au-delà du principe de Plaisir”, observe Danièle Epstein. “Dans quelle tourmente d’amour et de haine, de rage et de culpabilité se débattent-elles, pour faire ainsi, du flirt avec la mort, leur enjeu de vie ?” Annik Bianchini |