Cabinet de lecture 2004

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

 

La langue et la frontière (Double culture et polyglottisme)
Nazir Hamad, préface de Charles Melman, Denoël, (Coll. l’Espace Analytique”), avril 2004, 200 p., 20€
À partir de l’étude du livre de Tzvetan Todorov, Nous et les autres, l’auteur développe, dans cet ouvrage, les rapports complexes que chacun établit entre sa culture d’origine et sa culture d’accueil, la perception que chacun a de l’étranger et en particulier du musulman, la relation de l’immigré à ses propres racines.
“Peut-être faut-il croire que partir représente, en quelque sorte, cette épreuve subjective, ces pérégrinations au cours desquelles chacun va jusqu’au bout de lui-même. C’est le passage nécessaire qui mène vers la découverte de soi pris dans la peau neuve que constituent la langue et la culture de l’autre”, transmet Nazir Hamad.
Franco-Libanais d’origine musulmane, Nazir Hamad est psychanalyste à Paris. Il travaille avec les enfants et les adultes et est l’auteur de plusieurs livres dont Destins d’enfants, écrit avec Françoise Dolto et L’enfant adoptif et ses familles.
“Chaque pays, chaque peuple a son autre, pas souvent différent, mais qui a pour fonction d’être le miroir des projections de chacun”, observe l’auteur. Chacun de nous a un autre supposé différent et risible, mais cela ne devient dramatique qu’en cas de crise. “Cet autre n’est pas moi , mais il est moi dans la mesure où par sa façon d’être, par ce que je lui attribue, il me donne un groupe d’appartenance et un continu.” Qui est donc cet autre ? Une image ?
De façon vivante, dans un style clair, Nazir Hamad aborde les problèmes que posent la question de la relation au père, de la langue étrangère et du polyglottisme, du nom de famille étranger, du voile, de l’exil…
“Le voile arrive peut-être à point nommé pour faire surgir les vraies questions”, indique l’auteur. “Que faire avec un Islam militant en Occident laïc ? Et comment faire pour que cette militance serve à convaincre les réticents de l’originalité et de la richesse de l’Islam plutôt qu’à les effrayer par son archaïsme ?”

 

L’auteur du crime pervers
Marie-Laure Susini, Fayard, octobre 2004, 300 p., 20€
Ce livre n’est pas un roman policier mais bien une sérieuse étude psychanalytique de la perversion criminelle, fondée sur l’expérience clinique et sur un long et rigoureux travail théorique. Pendant dix ans, l’auteur, Marie-Laure Susini, a occupé dans un service hospitalier spécialisé pour malades dangereux, une place bien singulière : celle du psychanalyste. Cette expérience l’a conduite à élaborer et à élucider, sur la base solide de concepts freudiens et lacaniens, la figure contemporaine du criminel pervers. Mais pourquoi “auteur du crime pervers”, et non simplement “criminel pervers” ? “Il est criminel parce que sa relation à l’Autre, et d’abord à l’Autre de la rencontre sexuelle, l’y contraint. L’acte du crime pervers est une réponse particulière à la pulsion sexuelle. Ici, «perversion» n’est nullement synonyme de «perversité», mais désigne un mode spécifique de relation au monde”, explique Marie-Laure Susini.
Entre Gilles de Rais, Jack l’Éventreur, Landru, le vampire de Düsseldorf et les criminels contemporains, en passant par Barbe Bleue, Sade et M. le Maudit, on décèle non seulement une communauté de destin et de comportement mais, par-delà les variantes de chaque cas, une identité de structure. L’auteur du crime pervers est essentiellement organisateur d’un spectacle, dans sa vie comme dans son crime. Et son crime est une mise en scène qui vise, très précisément, la réaction du public. Il s’agit-là de la mise en scène de son fantasme.
Sade, indique Marie-Laure Susini, est certainement le premier auteur de crime pervers moderne. Bien plus, il est l’auteur du crime pervers dans tous les sens du terme. Au grand scandale de tous, il prône cette jouissance singulière à taillader, éventrer, trouer, découper…
Pourquoi cet effort pour identifier, parmi d’autres criminels, les auteurs de crimes pervers ? Pourquoi comprendre ce qui les fait agir ? Pourquoi démontrer que le public, mis à l’épreuve d’une manipulation spécifique, est, à son insu, le partenaire du crime pervers… Comment saisir le mécanisme de la fascination, les rouages de la manipulation. Et par là élucider les causes de l’acte premier et de sa répétition. Tel est le propos de cet ouvrage.

 

Lacan, la loi, le sujet et la jouissance
Franck Chaumon, Michalon, “Coll. Le bien commun”, octobre 2004, 125 p., 10€
“Pour juger et punir, il faut désormais considérer la personnalité des protagonistes du procès, comprendre la subjectivité de l’auteur, connaître son histoire infantile, évaluer l’impact caché de l’acte sur l’intimité de la victime et se soucier de prévenir la récidive en prescrivant des traitements adaptés. L’acte même de juger s’en trouve profondément bouleversé, imposant aux magistrats une nouvelle légitimité extérieure au droit”, indique Franck Chaumon, psychanalyste. Ce n’est plus alors l’acte qui importe, c’est l’acteur, et c’est dans la psyché du criminel que l’on prétend désormais résoudre l’énigme du crime.
La psychanalyse est ici convoquée pour révéler le sens ultime de ce qui ne tombe pas sous le sens précisément, puisqu’inconscient. Nombre de concepts lacaniens ont été très largement diffusés dans le domaine juridique et font désormais partie du discours courant. Mais au prix d’un affaiblissement, voire d’un détournement de ces concepts. Or la psychanalyse, Lacan l’a bien expliqué, ne doit pas aller du côté du sens mais au contraire du hors-sens.
Aujourd’hui, il faut se garder de succomber au discours psycho-juridique, nous dit Franck Chaumont, qui prétend aligner les concepts de la psychanalyse sur ceux du champ juridique. La critique de cette confusion passe par un retour à quelques concepts essentiels forgés par Lacan. L’analyse que fait Lacan de ce qu’il appelle les quatre discours invite à postuler une hétérogénéité de structure entre droit et psychanalyse. Plutôt que de chercher de quelle manière droit et psychanalyse ne peuvent pas s’articuler, l’auteur, dans cet ouvrage, a préféré accuser au contraire les différences, souligner les points de butée de l’un par rapport à l’autre, prendre appui sur ce qui résiste. Non pas dans le but de conforter chacun dans son territoire mais pour rouvrir le débat.

 

La cruauté au féminin
Sous la direction de Sophie de Mijolla-Mellor, avec Julia Kristeva, Dominique Cupa, Karine Rouquet-Brutin, Michèle Bompard-Porte, Brigitte Galtier, Antoinette Molinié, PUF, 2004, 195 p., 22€
Le paradoxe de la pulsion cruelle serait-il ni le désir d’infliger de la souffrance, ni celui d’en jouir, mais proprement l’ignorance de l’altérité sensible de l’autre qui n’est perçu que comme une proie ? Aussi, contrairement au sadisme, la cruauté aurait-t-elle d’abord une dimension archaïque qui se confond avec la pulsion elle-même.
Le propos de cet ouvrage n’est pas, on s’en doute, d’attribuer la cruauté aux femmes comme un apanage spécifique, ni même de dire en quoi le fait d’appartenir au genre féminin dessinerait une typologie particulière d’actes ou de fantasmes cruels.
Les femmes, auteurs de ce livre, ont réuni leurs compétences respectives en psychanalyse, littérature et anthropologie pour tenter de dégager une image originale et spécifique de la cruauté, à travers l’étude d’œuvres littéraires. Le féminin ici désigné semble être ce “conglomérat primordial dans lequel l’enfant est immergé, qu’il soit fille ou garçon, et dont il devra sortir pour ne pas rester appendice ou terre colonisée de cette matrice originelle”.
La multiplication des “reines du crime” (ex : Agatha Christie, Patricia Cornwell et Ruth Rendell) dans la littérature policière de langue anglaise ouvre une interrogation nouvelle. Serait-on en présence d’une modalité spécifiquement féminine de cette composante pulsionnelle que Freud considérait d’essence masculine ? Et que nous apprennent à cet égard d’autres romancières, Colette en particulier. La Vierge Marie est probablement la figure la plus généreuse du corpus mythique chrétien. Quels sont donc les échos étranges que renvoient les cultes encore actuels de la “Vierge cruelle” andalouse ?
Autant de figures féminines conviées dans cet ouvrage qui évoquent le fantasme de la Déesse Mère, toute-puissante et indifférente, face cachée de ce continent noir vis-à-vis duquel la méprise essentielle serait d’imaginer qu’il puisse vouloir quelque chose en dehors des objets de sa propre complaisance.

 

Proust Lesbien
Elisabeth Ladenson, traduction Guy Le Gaufey, préface d’Antoine Compagnon, Epel, 2004, 175 p., 21€
Voici un livre sur Proust qui ne manquera pas de troubler quelques proustiens. Longtemps, la lecture d’“À la recherche du temps perdu” a été hantée par l’idée qu’Albertine serait en réalité un homme. Toute une théorie, dite de la transposition, s’est alors échafaudée autour de cette idée, en s’acharnant à voir dans Gomorrhe et le lesbianisme présents dans l’ouvrage rien d’autre qu’une image inversée de Sodome, de l’homosexualité masculine, tenus pour seuls essentiels. Dans ce livre, Elisabeth Ladenson, professeur de littérature à l’université de Virginie, s’en prend à cette théorie, en montre les inconséquences, en dénonce les préjugés. Elle indique comment la posture du narrateur est déterminée par l’énigme de ce que les femmes font entre elles, jusqu’à faire de cet inatteignable, la tâche sans fin de la littérature. La vérité du lesbianisme tiendrait au secret de l’érotisme dans la liaison entre mère et fille. C’est cela que Proust aurait miraculeusement perçu. : le mystère de la femme -fille et mère-, sans imposition phallique.
A travers cette lecture singulière de La Recherche, l’auteur se propose d’étudier comment le lesbianisme est devenu, vers la fin du XIXe et le début du XXe siècle, un élément récurrent de la pornographie masculine mise en scène dans la littérature française. Le personnage de la lesbienne, de Baudelaire à Pierre Louÿs, en passant par Proust et d’autres, possède un tout puissant attrait érotique pour les hommes hétérosexuels. Mais la lesbienne se révèle, revers de la médaille, être l’objet d’une frayeur sans nom, les hommes se sentant bannis de ce qu’ils conçoivent comme un plaisir inconnu. 
L’identité lesbienne peut-elle ainsi se déprendre aujourd’hui de l’image qu’en ont d’abord donnée les hommes pour leur propre compte érotique ?

 

Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse
Gérard Pommier, Flammarion, 2004, 433 p., 22€
Le corps ne serait-il qu’une machine dont il suffirait de démonter les rouages pour le comprendre ? Tomber amoureux, est-ce chimique ? A-t-on découvert le gène de la psychose maniaco-dépressive, celui de l’homosexualité ou de l’anorexie ? Depuis plus de vingt ans, les neuroscientifiques invitent les psychanalystes à débattre sur l’éternelle question du corps et de l’esprit, de l’âme et de la matière, de l’organique et du psychique, du matérialisme et de l’idéalisme. Comme s’il y avait deux approches différentes d’un même phénomène. Dans ce livre, Gérard Pommier, psychiatre, psychanalyste, maître de conférence à l’université de Nantes, auteur notamment de “Qu’est-ce que le réel”, fait justice de cette opposition infondée. Dès ses débuts, explique-t-il, la psychanalyse a subverti cette opposition grâce à l’une de ses découvertes majeures : celle de la pulsion, qui anime le psychique en même temps qu’elle intègre le somatique, et dialectise au point de l’invalider, toute opposition du mental et du cérébral.
Dans le présent ouvrage, nous découvrons l’apport énorme des neurosciences à la psychanalyse, qui montrent comment le langage modélise le corps beaucoup plus intimement que le symptôme hystérique ne le laissait prévoir. Nous voyons que les neurosciences donnent une profondeur de champ insoupçonné au travail de l’inconscient. Prenons un exemple, explique Gérard Pommier : il existe dans l’hypotalamus une zone étroite considérée comme centre du plaisir. Or, l’excès de jouissance ne se déclenche pas au niveau d’un supposé “centre du plaisir” (dans l’hypotalamus), mais il procède d’un défaut symbolique. L’hypothalamus fonctionne alors seulement comme un relais.
L’un des intérêts du débat entre psychanalyse et neurosciences, dans cet ouvrage, est de poser clairement la question de savoir ce qu’est un sujet. On commence alors à avoir des idées plus précises sur ce corps dont nous sommes si conflictuellement les curieux locataires.

 

Silences (Paroles de psychanalystes)
Dominique Platier-Zeitoun et Sophie Périac-Daoud, Érès, 2004, 253 p., 28€
Le silence, c’est quoi pour vous psychanalystes ? Telle est la question posée par cet ouvrage. Ni livre théorique, ni rigueur dogmatique, le propos est de saisir la parole vive dans son jaillissement, sa spontanéité. Les entretiens ont été réalisés par Dominique Platier-Zeitoun, attachée de presse, historienne de formation, versée dans le champ de la psychanalyse depuis de longues années, dont le choix a été de s’effacer dans le texte des questions et relances.
Vingt-deux psychanalystes de renom sont invités à dire ce qu’ils pensent du silence en regardant la photo d’un ange saisi derrière une grille, le doigt sur la bouche. A chacun d’associer librement sous l’œil d’une photographe, Sophie Daoud. Trois photos illustrent les propos de chacun. Les psychanalystes, qui font métier de se taire et d’écouter bien avant d’interpréter, se prêtent au jeu et parlent, selon la libre association de leurs idées, comme s’ils étaient sur un divan.
Ce qui est énoncé sur le silence est souvent très différent. “Le silence est partout où on le sent, dans le désert ou encore en pleine mer”. Peut-être parce qu’on y trouve la seule chose vraie. Il y a le silence dans certains tableaux, le silence des enfants, le silence extraordinairement dense, le silence pulsionnel, le silence effrayant ou le silence énigmatique…
Presque tous insistent sur l’importance du psychanalyste pour qu’advienne la parole vraie de l’analysant. Le silence de l’analyste ne doit pas être ressenti comme hostile. La présence d’un cœur, d’une âme est indispensable.
Le silence  projette un “faisceau de lumière rétrograde sur ce qui vient d’être dit”. Le silence permet une dilatation du mot. Il en dévoile sa signifiance, sa sonorité en même temps que son sens.
La musique est ici largement évoquée. “Sur fond de silence, on entend les notes. Dans notre silence, on entend la musique du patient : ses paroles, ses silences”. Le silence a des nuances tout comme un instrument à vent dont l’unique orifice peut produire un grand nombre de notes. Quelqu’un vous parle et à un certain moment, il suspend son discours.
Les notes cliniques abondent dans ce livre qui est aussi un ouvrage sur la pratique du psychanalyste. On parle du mutisme des jeunes filles, réponse au père qui se tait, de celui du mélancolique, de l’autisme, de la parole incessante du psychotique…
Dans cet ouvrage, dont l’originalité est également d’appartenir à la catégorie des beaux livres, les échanges, les confidences, sont livrés dans leur rythme et leur musique, leurs tonalités, leurs inflexions et leurs espacements subtils.

 

L’œil d’Œdipe
Julien Friedler, PUF, 2004, 212 p., 23€
A travers une étude approfondie du mythe antique (les Erinyes, d’Eschyle) et du rêve freudien (l’injection à Irma, les trois Parques, la monographie botanique), Julien Friedler, psychanalyste et artiste plasticien, s’attache, dans ce livre, à découvrir la signification de certaines croyances collectives en vue d’une nouvelle interprétation à orientation psychanalytique. Pour cela, il interroge la littérature philosophique, historique, ethnographique, psychanalytique, qui traite des mythes. Il apparaît, selon l’auteur, que le mythe évolue dans le temps, se transformant jusqu’à devenir méconnaissable. Mais certains ensembles signifiants résistent, s’accrochent à la psyché. Ils traversent la longue évolution des formations de l’inconscient.
À l’heure actuelle, nous vivons une mutation sociale, économique et psychique extrêmement importante. Les repères nationaux et familiaux, les systèmes de valeur et les codes moraux implosent à mesure que l’inconscient gagne en intensité. Le monde contemporain s’aliène sous l’emprise d’un ultra-libéralisme débridé, et tandis que l’évolutionnisme classique supposait des mutations aléatoires, étanches par rapport à la lutte des espèces, surgit aujourd’hui la possibilité de manipulations directes sur le génome.
La recherche de Julien Friedler porte avant tout, dans cet ouvrage, sur Œdipe, le mythe freudien et le matricide. Chemin faisant, nous découvrons l’épicentre du complexe maternel : un matricide. Freud, qui a bâti son œuvre sur le parricide fondateur de la Loi, est interrogé, en filigrane, sur la possibilité d’une nouvelle médiation, féminine, de la Loi. Sur fond d’un phénomène brûlant et actuel : la féminisation du monde et ses luttes pour la parité tous azimuts.

 

Oublier Foucauld, mode d’emploi
David M. Halperin, traduction Isabelle Châtelet, Epel, 2004, 92 p., 21€
Dès le vivant de Foucault, en 1977, le titre d’un pamphlet célèbre proposait de l’oublier. L’injonction est loin d’avoir été suivie. Mais il y a eu et il y a, depuis sa mort, une façon de l’encenser, de citer ses livres, de se servir de certaines de ses formules et de réduire ainsi sa pensée à une poignée d’idées reçues, qui aboutit à un résultat analogue, en négligeant tout ce que sa pensée a d’incisif, de tranchant et surtout de résolument critique. C’est ce mode de réduction, sous couvert de fidélité, que David Halperin, professeur au département de langue et littérature anglaise de l’université du Michigan à Ann Arbor, montre à l’œuvre, en particulier aux États-Unis où son essai a été très remarqué lors de sa première publication en 1998, puis deux fois réédité.
S’en prenant à l’une des erreurs emblématiques d’un passage cent fois ressassé de La Volonté de savoir, l’auteur entreprend d’en démonter les ressorts et d’en dénoncer les répercussions. En relevant un certain nombre de contresens et de malentendus sur la pensée de Foucault, David Halperin démontre ainsi que Michel Foucault n’a jamais élaboré de théorie de la sexualité. Là où l’on prétend trouver une théorie de la sexualité, Foucault s’en tenait strictement à court-circuiter la liaison entre sexualité, vérité et pouvoir.
On, l’aura saisi, Oublier Foucauld mode d’emploi  ne pouvait être qu’un petit livre bref, enlevé, ironique.

 

L’énigme, une passion freudienne (“Le transfert doit être deviné” : Sigmund Freud)
Catherine Muller, Érès, 2004, 183 p., 20€
“Deviner” s’est imposé à Freud tout au long de sa vie comme un indice de ses avancées les plus audacieuses. Dès sa jeunesse, il est hanté par le vers de Sophocle : “Voyez cet Œdipe, qui devina les énigmes fameuses et fut un homme de très grand pouvoir”, vers qui sera inscrit sur son buste à l’université de Vienne. Freud nous confie cette phrase à la fois lumineuse et obscure concernant le transfert : “L’interprétation des rêves, l’extraction d’idées et de souvenirs inconscients des associations du patient, ainsi que les autres procédés de traduction sont faciles à apprendre; c’est le patient lui-même qui en donne toujours le texte. Mais le transfert, par contre, doit être deviné sans le concours du patient”.
C’est à partir de ce terme “deviner” que Catherine Muller, psychanalyste formée auprès de Jacques Lacan, a entrepris un parcours au plus intime de Freud et de ses passions, jusqu’au démon de l’irrationnel, comme il le dit lui-même. Dans l’ouvrage de Catherine Muller, la passion de Freud pour l’énigme et le déchiffrage interpelle non seulement le transfert et les différentes manifestations de l’inconscient mais elle traduit aussi les liens que le père de la psychanalyse entretenait avec les cultures de l’Antiquité illuminées par la figure de Socrate. Comme pour l’énigme avec laquelle la poésie est en étroite corrélation, la parole poétique cache pour dévoiler, obscurcit pour éclairer. Et conclut Catherine Muller, dans le “deviner”, trouvons ce que nous sommes, et puisons la force d’où jaillit, selon l’expression de Nietzsche, le pouvoir “d’engendrer une étoile qui danse”.

 

Le monde d’Ali (Comment faire une psychanalyse quand on est polonais, chirurgien, arabe, élevé dans le Sentier)
Ali Magoudi, Albin Michel, 2004, 170 p., 14€
“Le système laïc a un petit défaut. Il ne fournit aucun modèle pour représenter l’origine. Ce qui serait sans conséquence si, dans le paquet originel fourni par les religions, ne figurait l’énigme humaine par excellence. Pourquoi y a-t-il de la Loi, c’est-à-dire de l’exogamie, plutôt que rien ? Ce qui serait sans conséquence si, dans ce même paquet originel, ne figurait une réponse unique à cette énigme : à l’origine était l’endogamie. Pour l’essentiel, j’ai reçu en héritage la laïcité qui revendique le droit de ne pas répondre à la question originaire. Pour l’accessoire, j’ai été plongé dans des énigmes produites par le croisement de formulations divergentes et fragmentaires, issues du catholicisme et de l’Islam. Tel a été mon lot”, explique l’analysant Ali Magoudi, chirurgien, devenu psychanalyste. Né à Paris, d’une mère catholique polonaise, d’un père musulman algérien, l’auteur de “Comment choisir son psychanalyste”, “Comment se débarrasser de son psychanalyste”, “Comment choisir son philosophe”, nous montre, à travers des pans de son histoire, comment l’inconscient guide nos choix de vie, nos goûts et affinités, nos attachements.
Quand on parle à quelqu’un, on se méprend toujours sur la personne à qui l’on parle, indique l’auteur. Voilà pourquoi il y a de la psychanalyse. À un moment donné, on parle à quelqu’un d’autre. C’est à sa mère, à son frère, à son chien, à sa tortue… L’analyse commence quand, dans l’acte de parole, le patient est capable de dire : “Mais ce n’est pas à lui que je parle. Je le prends pour quelqu’un d’autre”. La psychanalyse apparaît alors comme une expérience passionnante et parfois même jubilatoire.

 

Nos joies (Le réel est à l’horizon)
Thierry Perlès, Ramsay, 2004, 100p., 15€
Ce livre nous invite à une réflexion psychanalytique sur la recherche d’une pratique tout à la fois singulière et universelle : l’expérience de la joie. Car qu’est-ce que la joie sinon le sentiment ou l’émotion qu’on éprouve lorsque la répétition de quelque événement connu et apprécié se faufile. À supposer que la joie ait bien ce statut d’expérience éminemment singulière et pourtant fondatrice des lois qui président aux liens qui réunissent les hommes en société, comment se fait-il, s’interroge Thierry Perlès, psychanalyste, que cette joie soit aux hommes si chichement distribuée, que les plus sages d’entre eux en viennent à se demander si l’être humain est vraiment fait pour elle, et comment les hommes s’y prennent-ils pour supporter une situation qui les contraint à un tel éloignement de la réalisation de leur aspiration la plus fondamentale et la plus haute ?
Au sein de “l’expérience de la satisfaction” décrite par Freud, s’introduit paradoxalement l’angoisse; nous comprenons que l’angoisse et la joie puissent ne pas être tout à fait sans rapport. La joie, dit-on justement, dilate le moi à la dimension du monde. D’où l’angoisse. Avec l’angoisse, il s’agit du sentiment qui accompagne cette version épurée de la répétition en tant qu’elle vise l’abolition de la frontière entre le sujet et l’objet. Thierry Perlès élabore, dans cet ouvrage, une pensée actuelle, complexe, qui s’exerce aussi bien sur le terrain de l’intime que du champ social, notamment en Occident et qui, en décryptant la joie, interroge la position du scientifique, du religieux  et de la laïcité.

 

L’énigme antisémite
Daniel Sibony, Éditions du Seuil, 2004, 177 p., 14€
Pourquoi les Juifs ont-ils capté tant de haine, dans le passé et aujourd’hui ? Y sont-ils pour quelque chose ? Quelle est leur part ? Pourquoi cette fixation sur eux ? Qu’en est-il des Juifs eux mêmes ? Ce peuple repose sur l’acte de transmettre. C’est vrai que les Juifs ont une façon bien à eux de maintenir béante la question de la transmission, de la rappeler; de la transmettre, en somme. Et cela semble fonder leur destin. Le plus étrange, dans cette affaire, c’est qu’un petit peuple s’est mis à cette place d’entremetteur du symbolique. On a cru toucher le fond de la question avec Auschwitz, en en faisant le crime contre l’humanité. Mais on n’a pas affronté la vraie question : pourquoi les Juifs ? Aujourd’hui, dit la charte d’Al Qaïda, “il faut tuer les Juifs, où qu’ils soient”. Qu’y a-t-il de nouveau depuis que l’Islam radical s’intègre dans l’Europe et sur la scène mondiale ? Autant de questions auxquelles tente de répondre Daniel Sibony, psychanalyste, docteur d’État en mathématiques et en philosophie.
Pour voir et entendre parler Daniel Sibony de ces questions et de quelques autres (Proche-Orient, laïcité, énigme antisémite, Bible-Coran, France et Amérique), un DVD Danielsibonyparle est en vente dans les librairies.

 

Mémoires de Satan (Essai sur la manière de bien faire le Mal et de mal faire le Bien)
Alain Didier-Weill, Flammarion, 2004, 165 p., 18€
Son nom : Satan. Appelé aussi l’Ange des Ténèbres, voire le Prince du Mal. Dans un conflit de pouvoir, il se serait révolté, contestant la suprématie du Créateur. Rompant un long silence, celui-ci s’en explique maintenant dans des Mémoires dont Alain Didier-Weill, psychanalyste, dramaturge, s’est fait le dépositaire. On apprend ainsi que l’histoire de l’humanité fut une partie d’échecs où Dieu et Satan se sont rendu coup pour coup; une immense guerre froide avec luttes d’influence et déflagrations sporadiques. “C’est bien joli d’être un créateur, ça l’est moins d’être un créateur qui laisse croire aux créatures qu’il a su ce qu’il faisait en les créant. Or, tu le sais très bien, Seigneur, s’il y en a un qui t’a pris la main dans le sac, un qui t’a pris en flagrant délit de mensonge, c’est moi. On croit malheureusement que c’est l’homme mon ennemi : rien n’est plus faux, je veux montrer dans ces Mémoires à quel point je l’ai soutenu, cet homme. Il m’est même arrivé de le soustraire à ton courroux, quand tu voulais, avec ton Déluge par exemple, le faire disparaître de la Planète. Aujourd’hui, je t’interpelle : ne vois-tu pas que nos destins sont liés ? Ne vois-tu pas que l’homme ne se fie plus à toi et n’a plus besoin de moi pour faire le mal?”
Discuter du péché originel, de l’idolâtrie, de l’Amour, de la primauté du Fils ou du dogme selon Paul de Tarse pourrait sembler affaire de théologiens. Mais dans ce livre, la réflexion conjuguée à l’humour s’adresse à tous.

 

Voulez-vous être évalué ? (Entretiens sur une machine d’imposture)
Jacques-Alain Miller et Jean-Claude Milner, Grasset, 2004, 160 p., 12€
L’amendement Accoyer,voté en première lecture à l’Assemblée, en octobre 2003, et qui prétendait réglementer l’exercice des psychothérapies, avait mis le feu aux poudres. L’intention de lutter contre les faux psys était sans doute louable, mais le front uni des freudiens a objecté que l’on déresponsabilisait ainsi les patients sous prétexte de les sécuriser, et qu’une surmédicalisation risquait de dénaturer la psychanalyse. Deux personnalités de renom Jean-Claude Milner et Jacques-Alain Miller se sont intéressés à cette question.
Jean-Claude Milner est un philosophe universitaire récemment retraité. Ancien Président du Collège international de philosophie, il était professeur de linguistique à l’Université Paris VII et Président du Conseil scientifique de l’Université Paris VII. Jacques-Alain Miller est gendre de Jacques Lacan. Il est l’éditeur des fameux Séminaires et occupe, en tant qu’analyste, une place centrale dans le champ freudien. Les deux auteurs expliquent, dans cet ouvrage, que la société française est en train de passer d’un modèle démocratique fondé sur la loi, à un modèle démocratique fondé sur le contrat et que ce n’est plus du tout la même chose. La tradition légiste, c’est la version héritée, et le dispositif du contrat, c’est très clairement le système américain. Ils avancent également que toutes les grandes doctrines économiques ont posé un “en plus” qui excède toute forme de contrat, c’est “la plus value”, pas une valeur en plus mais un “plus de valeur”. Quand un patient sort du cabinet avec une ordonnance, il y a quelque chose en plus qu’une réponse à une question, qu’un traitement en réponse à une maladie. Et cet “excès” résiste à toute substitution par équivalence. Mais ne racontons pas le livre, que vous aurez plaisir à découvrir car Jacques-Alain Miller et Jean-Claude Milner font partie de ces auteurs qui donnent à penser, bien au-delà de leur dernier mot. 

 

Substances de l’imaginaire
George-Henri Melenotte, Epel, 2004, 240 p. 25€
Témoin d’une pratique qu’il est courant d’appeler “toxicomanie”, George-Henri Melenotte, psychanalyste à Strasbourg, a entrepris d’interroger méthodiquement les idées reçues au sujet de la drogue, et d’explorer la catégorie de l’imaginaire : lieu de l’illusion, de la facticité, de la tromperie qui, dit-on, égare le sujet en quête de vérité.
Privilégiant le point de vue de l’usager du plaisir, George-Henri Melenotte s’attache au bouleversement que fait connaître la pratique de la drogue à celui qui s’y adonne, et qui porte sur l’expérience de l’image du corps propre, et principalement sa fluctuation.  L’ouvrage fait valoir la très grande diversité des formes de subjectivation qui se construisent à chaque fois que l’on pratique la drogue. Il s’appuie sur le travail et sur les expériences de Henri Michaux, Michel Foucault et Joel-Peter Witkin.
Dans la deuxième partie de “Substances de l’imaginaire”, l’analyse de ces fluctuations de l’image se poursuit et s’élargit avec Lacan et son élaboration de l’image spéculaire, rendue instable par l’introduction de l’objet a. L’étude lacanienne de l’imaginaire prend ici place pour éclairer l’usage que Lacan en a fait. Une modalité jusque-là négligée de l’image est alors prise en considération : son étrangeté. Ce n’est pas un nouvel imaginaire que Lacan découvre ainsi mais l’un de ses nouveaux modes, qui intègre l’angoisse dans le rapport au semblable.
Dans quel état se trouve l’image du corps propre dès lors que s’y manifeste l’objet a ? Lacan présente trois modalités de cette nouvelle configuration : révélation, transformation et mue. Ainsi, après l’invention de l’objet a, deux qualités de l’image disparaissent de l’horizon : la fixité et l’Urbild, qui donne à l’image sa valeur d’archive.
Le livre s’achève en s’ouvrant sur deux questions laissées en suspens : celle de la belle image d’où peut surgir inopinément son envers, l’horreur, et celle de la persistance, dans la psychanalyse, de la cocaïne, en dépit de son abandon par Freud, au moment même où il invente la psychanalyse.

 

Psychanalyse, psychothérapie : quelles différences ?
Pierre Marie, Aubier, “Coll. La psychanalyse prise au mot”, 2004, 239 p. 19€
À l’heure où le législateur s’apprête à réglementer l’exercice des psychothérapies, il semble important de rappeler ce qui les caractérise comme ce qui les distingue de la psychanalyse. C’est ce que propose Pierre Marie, analyste, philosophe, linguiste et médecin de formation. Depuis la nuit des temps, il y a toujours eu des psychothérapies, dans toutes les cultures et à toutes les époques. Mais avec Freud apparaît, à la fin du XXe siècle, une pratique qui ne s’inclut pas dans le même registre : la psychanalyse.
Cet ouvrage, destiné plus particulièrement au grand public, présente un panorama des diverses psychothérapies utilisées aujourd’hui (les thérapies cognitivo-comportementales, les techniques psycho-corporelles, la PNL, la psychologie individuelle, la thérapie systémique, le rêve éveillé dirigé, le psychodrame, etc.,), en précisant leurs présupposés, leurs techniques et leurs visées.
Une synthèse sur la psychanalyse permet ensuite de dégager sa spécificité, de découvrir le protocole de la cure analytique, la fonction qu’y exerce l’analyste et ce à quoi elle conduit.

 

Un provocant abandon
Françoise Wilder, Desclée de Brouwer, 2004, 182 p., 19,50€
“Certaines choses ne sont-elles pas bonnes et au-dessus de toutes les autres dans le moment de leur excès : l’amour, le sexe, le désert, le pouvoir, le vin… et le rhinocéros d’Albucius ou l’éléphant de Romain Gary ?”, remarque l’auteur.  Dans ce livre, écrit à partir d’entretiens menés avec Catherine Millet de juin à novembre 2001, Françoise Wilder, psychanalyste à Montpellier, retrace les années d’aventures sexuelles, les faits, les fantasmes, les sensations décrites par Catherine Millet dans son livre : La vie sexuelle de Catherine M. Ce n’est pas la recherche du plaisir qui les oriente. Ni la reproduction, l’identité ou le sentiment. Une performance est ici questionnée. Mais qui verrait seulement la prouesse de l’exercice sexuel manquerait le jeu.
“Il y a dans toute nudité une profondeur abolie”, note l’auteur. Catherine M. n’est jamais nue. Sa vie sexuelle est racontée, décrite, montrée et écrite par Catherine Millet, qui dit “je”. Dans une époque où la promesse de jouissance a pris la place du discours du Salut, quelle énergie dans l’abandon et la disponibilité ! Trompeuse, aussi, l’apparence selon laquelle Catherine M. aurait tout fait et n’importe quoi. “Une héroïne picaresque, voilà ce qu’elle est”, souligne Françoise Wilder, “agent de la performance”.

 

L’indifférence à la psychanalyse (Sagesse du lettré chinois, désir du psychanalyste) Rencontres avec François Jullien
Textes recueillis, présentés et publiés sous la direction de Laurent Cornaz et Thierry Marchaisse, PUF, “Coll. Libelles”, 2004, 198 p., 22€
La Chine n’est-elle pas quelque chose comme l’inconscient de l’Europe ? Sa langue, sa culture empêcheraient-elles un Chinois d’adresser sa plainte et son espoir secret, non à un sage, mais à cet inconnu qu’on appelle psychanalyste ?
Ce recueilest la conséquence directe de deux journées de travail qui ont eu lieu à l’UFR d’Asie orientale de l’Université Paris VII, à l’initiative du Centre Marcel Granet et de l’AIPEC (Association Interaction Psychanalyse Europe-Chine). Pour une fois, un sinologue philosophe, François Jullien, a accepté de rencontrer des psychanalystes et d’ouvrir avec eux l’immense chantier de problèmes que pose la pratique de l’inconscient au regard de la civilisation chinoise. Il est apparu, au cours de ces deux journées, que deux “demandes” se croisent : une demande de psychanalyse telle qu’elle émergerait en Chine, et une demande en retour de la psychanalyse à l’égard de la sinologie, pour que celle-ci serve de médiation dans le dialogue qu’elle inaugure avec la Chine. Il est également apparu que la psychanalyse et la pensée chinoise peuvent se rencontrer et s’éclairer mutuellement selon trois plans : la cohérence-immanence, le rapport “allusif”, et ce que François Jullien appelle la “processivité”.
Qu’est-ce donc qu’être psychanalyste pour un Chinois? “ S’il y a une demande venue de Chine, il reste à nous, psychanalystes, de nous donner les moyens de pouvoir l’entendre, cette demande”, remarque Laurent Cornaz.

 

Qu’est-ce que le Réel ?
Gérard Pommier, Érès, 2004, 147 P., 20€
“Lorsque j’étais petit, je rêvais déjà beaucoup et cela s’est plutôt aggravé depuis, malgré plusieurs incidents qui auraient dû me réveiller”, explique Gérard Pommier, psychanalyste à Paris, maître de conférences à l’université de Nantes. Déjà, au lycée, j’avais entendu parler d’un dénommé Platon, que j’ai beaucoup pratiqué depuis. Il disait, il y a plus de 2000 ans, que nous sommes enfermés dans une caverne et que nous n’avons qu’une perception très lointaine du réel. Mais au fond, qui se soucie du réel, sinon lorsqu’il y est contraint et forcé ? C’est pourquoi, sans m’en rendre compte, j’ai choisi la profession bizarre de m’occuper du rêve des autres, qui m’en parlaient dans l’espoir de comprendre ce que cela pouvait bien cacher de réel.
Il fallait bien que je tire les conclusions de ce qui devenait toujours plus évident : le Réel résulte avant tout du traumatisme sexuel. La caverne de Platon n’est après tout qu’une succursale de cette caverne d’Éros, qui a au moins l’avantage d’être beaucoup plus excitante. Vu sous ce jour, le Réel n’est-il pas, pour le coup, digne d’intérêt ? C’est en tout cas ce que j’ai essayé de montrer dans mon livre, qu’il s’agisse du réel du symptôme, de celui de l’amour, de celui de la science ou de la clinique psychanalytique. Ce n’est pas par hasard si le même mot est adéquat : le Réel est toujours jeune !”

 

L’impossible naissance ou l’enfant enclavé (phobies et névroses d’angoisse)
Tamara Landau, Editions Imago, 2004, 269 p., 22€
Vivre dans l’ombre de quelqu’un, se diluer dans le désir de l’autre, occuper un poste important sans laisser de trace; le fantasme d’être invisible et transparent, l’incapacité à se reconnaître devant des photos ou des images vidéo; au niveau symbolique, aussi, la survenue insistante de lapsus tels que “ma mère ” au lieu de “ma grand-mère”, ou “je suis morte à quatre ans”, ou encore “je vais naître en…”, constitue, pour un certain nombre de personnes une véritable souffrance. Selon l’auteur, cet ensemble de troubles relatifs à l’image de soi dérive d’une expérience originaire oubliée, celle d’une impossible naissance. Tamara Landau , psychanalyste, a enseigné la psychologie pathologique à l’Université d’Amiens et a participé aux recherches sur l’adolescence à l’INSERM (Montrouge). Membre actif au CFRP, elle est, depuis 1994, membre fondateur de la Société de psychanalyse freudienne où elle continue à animer des séminaires de recherche.
Les analysants dont l’auteur dessine la problématique témoignent de l’obligation contraignante de se faire réellement exister à tout moment. Cela tient à la perception de leur corps, tout entière du côté d’un autre, la mère. Ce que la mère ne voit pas, ne ressent pas et ne nomme pas, n’existe pas. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, Tamara Landau tente de retracer l’ontogénèse du schème de l’arbre renversé chez l’enfant : le sujet ressent inconsciemment son corps comme s’il appartenait encore à sa mère, ou mieux, comme s’il était encore enclavé dans celui de sa mère, étant ressenti par celle-ci encore présent à l’intérieur d’elle-même. 
S’attachant particulièrement aux phobies et aux névroses d’angoisse qu’elle décrit par l’analyse de cas cliniques, Tamara Landau empreinte des chemins novateurs et renouvelle ainsi notre vision de la maternité et des premiers instants de la vie.

 

L’écrit, la voix (Fonctions et champs de la voix en psychanalyse)
Jacques Nassif, Aubier, ouvrage publié sous la direction de Jean-François de Sauverzac, 2004, 350 p., 22€
“Ayant manifesté le désir de refonder la psychanalyse entière sur la reconnaissance du fait le plus évident, à savoir : que sa pratique, et les voltiges qu’elle implique, ne tiennent et ne sont même possibles que par l’existence du filet-c’est le cas de le dire-qu’est celui de la voix, tour à tour proférée ou entendue, il fallait s’en donner les moyens”, annonce Jacques Nassif, philosophe, psychanalyste et traducteur. Car c’est bien la voix qui, dans la cure, ouvre l’accès à l’inconscient. C’est elle seule qui se fait entendre dans toute lecture, que ce soit celle du rêve, de la séance ou de certaines œuvres littéraires. Selon l’auteur, c’est bien la lecture qui réalise ce passage de la voix à l’écrit : celui qui lit, en ânonnant les lettres qu’il déchiffre, a besoin de convoquer, bien davantage que ses yeux, qui n’y suffiraient pas, le souffle de sa voix qu’il finit par confondre, dans une illusion inévitable, avec celle de l’auteur qu’il restitue.
Dans cet ouvrage, il ne s’agit de rien de moins, pour Jacques Nassif, que du fondement de la psychanalyse elle-même et de la possibilité de sa transmission.

 

Ombre de ton chien (Discours psychanalytique, discours lesbien)
Jean Allouch, Epel, 2004, 110 p., 12€
Freud n’a consacré qu’unseul texte à l’homosexualité (féminine), un court article et qui fut commenté, discuté, voire critiqué par ses successeurs, dont Lacan. Sigmund Freud venait alors de décider d’arrêter le traitement d’une jeune fille, conduite chez lui par ses parents, pour qu’elle s’engage dans les voies normales de l’hétérosexualité. Cette jeune fille, c’est Sidonie Csillag, dont le livre vient d’être publié sous le titre “Sidonie Csillag, homosexuelle chez Freud, lesbienne dans le siècle”.
Dans le présent ouvrage, voici donc Lacan, correcteur de Freud, lui-même rectifié. Dans sa présentation des remarques de Lacan, l’auteur, Jean Allouch, indique quelles difficultés rencontrait alors Freud avec sa propore fille Anna, qu’il prend en traitement analytique en même temps que Sidonie Csillag, et elle aussi orientée sexuellement vers les femmes. Lacan est ici corrigé grâce à son propre travail, en usant de sa distinction entre discours psychanalytique et discours du maître. Lacan n’aura pas vu, selon l’auteur, que loin d’être un cas de Freud, Sidonie Csillag était un maître qui délivrait une leçon, et dont la vie exemplifiait cette leçon (Socrate lui aussi faisait de sa vie une leçon). Sidonie Csillag enseigne ce que Jean Allouch appelle “la chiennerie de l’amour”, à savoir le fait qu’il n’est, pour un maître, pas de plus bel amour que l’amour du chien.
Aborder l’amour par ce biais de l’amour de l’animal, cela n’avait encore jamais été envisagé.

 

La pulsion de mort (Entre psychanalyse et philosophie)
Sous la direction de Michel Plon et Henri-Rey-Flaud, Érès, 2004, 222 p., 25€
Le concept de pulsion de mort, inventé par Freud en 1920, acquiert aujourd’hui une résonance actuelle. Cet ouvrage collectif, sous la direction de Michel Plon, psychanalyste, rédacteur à la quinzaine littéraire, et de Henri-Rey Flaud, psychanalyste, professeur à l’université Paul-Valéry de Montpellier, met en question les différents visages de la pulsion de mort : destinée fatale du patient en cure qui accomplit sa destruction programmée, déchaînements barbares de bandes de jeunes habités par une haine brute quand la fonction de “berger de l’être” dévolue au langage s’est complètement dissoute, mais aussi affirmation de la souveraineté des puissances létales, sublimées dans le théâtre de Racine.
En interrogeant certaines références du champ freudien et en confrontant des philosophes et des psychanalystes sur le thème de la pulsion de mort, c’est l’esprit des moments de surprise issus de ces confrontations qui atteste de la fécondité d’une notion qui excède, comme toutes les grandes idées, la portée que son auteur lui avait au départ reconnue.

 

La psychanalyse “à coups de marteau”
Jean-Bernard Paturet, Érès, 2004, 145 p., 10€
C’est au cœur de la tragédie grecque, de la philosophie et de la mythologie comme de la littérature que s’expriment les sombres secrets qui animent l’inconscient des êtres humains. “La lecture de Freud puis de Lacan m’a fourni les concepts d’une approche du sens profondément humain des mythes grecs. Mais je dois surtout à Nietzsche l’idée selon laquelle le vivant ne peut se connaître que par “résonance” et le “marteau ” que le médecin “tape” sur la poitrine du malade pour entendre la sonorité produite et diagnostiquer ainsi la maladie est une métaphore qui oblige à privilégier l’écoute (comme en psychanalyse) des vibrations du texte.”, explique Jean-Bernard Paturet, professeur des universités à Montpellier 3, codirecteur de l’équipe de recherche “Esthétique et éducation en psychanalyse”.
C’est donc à coups de “marteau de la psychanalyse“ que Jean-Bernard Paturet tente de sonder quelques textes de la culture grecque. Son objet n’est pas de faire de la psychanalyse l’aune à laquelle se mesurerait la vérité de leur contenu, mais d’utiliser cette dernière pour faire “résonner” pour les hommes du XXIe siècle ce que les textes portent en eux de profond, c’est-à-dire les grandes questions qui agitent la nature humaine : les passion, l’amour, la mort, la justice…
Privilégier l’écoute et faire de “l’ouïe” le sens fondamental de la connaissance du vivant place le lecteur dans une attitude de respect et de délicatesse à l’endroit des mythes qui, comme des êtres “vivants”, parlent, appellent et interpellent.

 

La danse à l’écoute d’une langue naufragée
Christine Loisel-Buet, Érès, 2004, 190 p., 23€
Certaines personnes ont rencontré dans leur histoire une catastrophe de ce qui fonde l’humain (meurtre, inceste, déportation, torture…). Elles ont dû vivre l’effondrement des lois fondamentales qui ordonnent les rapports entre les hommes et garantissent les bases du langage. De telles situations mettent à mal le sujet, comme si une part de lui restait emprisonné dans un impossible à symboliser, à relier, à transmettre et à oublier. “Il fallait penser et créer un cadre où la parole allait pouvoir s’exercer, se mettre en mouvement. Ce sont des repères venus de la danse contemporaine qui m’y ont aidée”, indique Christine Loisel-Buet, pédopsychiatre, psychanalyste. Diplômée de l’École des hautes études en sciences sociales, Christine Loisel-Buet enseigne par ailleurs la danse contemporaine. “Ce qui m’a frappée d’emblée, ce ne sont pas les situations de pauvreté diverses auxquelles je m’attendais, mais les corps marqués, et la fréquence des accidents et des maladies graves chez des personnes jeunes, des suicides et des meurtres (réels ou soupçonnés) dans les histoires familiales”.
Les situations cliniques présentées par l’auteur montrent comment l’émergence d’histoires (contes ou théories), permet de passer d’un texte mort, retranché par le traumatisme, à une langue vivante indispensable au rétablissement du lien social.

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