Moustapha Safouan, Jean Clavreul, Michèle Montrelay,

Préface de Jacques Sédat, Chemins Traversiers Editions des crépuscules, 2014, 100 p., 20€

Editions des crépuscules, 2014

Article rédigé par : Annik Bianchini

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, membre du Cercle Freudien et du Salon Œdipe, journaliste, Annik Bianchini Depeint collabore à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Si doucement le soir se fond dans la nuit
Qu’on peut à peine dire le jour fini.
Emily Brontë
Ce bel ouvrage  invite à une promenade psychanalytique. Il est traversé par le désir de faire connaître les points de passage entre trois psychanalystes, Moustapha Safouan, Jean Clavreul et Michèle Montrelay, trois voix subtilement proches dans leurs convergences et leurs singularités, leurs distinctions et leurs complémentarités.

Présenté sous forme de rencontres-conversations par Gérard Albisson et Jean-Michel Gentizon, ce livre est le résultat d’une série d’entretiens avec Moustapha Safouan et Jean Clavreul, organisés par l’association de psychanalyse Errata, parus dans Les carnets de psychanalyse en 2005 et 2006.

Gérard Albisson exerce la psychanalyse à Paris. Il a été membre d’Errata et du comité de rédaction de la revue Les carnets de psychanalyse. Il est co-responsable éditorial des Editions des crépuscules et collabore à la Revue des Deux Mondes.

Jean-Michel Gentizon est ancien Psychiatre des hôpitaux et psychanalyste à Paris. Il y enseigne et transmet la clinique, à l’hôpital Saint-Anne. Il est co-responsable éditorial des Editions des crépuscules.

Dans la préface, Jacques Sédat note : « Que ce soit Moustapha Safouan, Jean Clavreul ou Michèle Montrelay, tous trois insistent sur le primat accordé à la parole de l’analysant et sur l’importance, de la part de l’analyste, quand il accepte d’être “affecté” par l’autre. » Leur position commune les a placés dans le sillage de Jacques Lacan, dont ils furent très proches, et dans le retour à l’œuvre freudienne. Dans la lettre 112  du 6 décembre 1896, Sigmund Freud écrit à son ami Fliess : « Ce qui caractérise le sujet, c’est avant tout une “ adresse à l’autre ”, “ l’Autre préhistorique, inoubliable que nul n’arrivera à égaler ”, sur la scène de la réalité. Une adresse qui est liée tout en même temps à une demande faite à l’autre et à une dette impayable à l’égard de cet autre. »

Moustapha Safouan, « le voyageur », est arrivé à la psychanalyse par la philosophie et la logique.  Jeune intellectuel égyptien d’Alexandrie, passionné par la langue et le langage, il a fait ses études avec de prestigieux maîtres formés à Paris et à Cambridge. Tout au long de cet entretien, dont les intérêts sont nombreux, c’est le récit de son aventure théorique, clinique, institutionnelle, de formation et de transmission, qui semble précieux. La question du transfert est abordée de façon fine et pertinente. On y apprend sur l’aventure freudienne et sur les avancées théoriques de Lacan, mais aussi sur sa propre conception du désir, du manque, de la privation, et de la fin d’analyse, ce travail qui peut continuer toute la vie.

« La psychanalyse est une aventure personnelle… Il n’y a pas de fin d’analyse, comme il n’y a pas de  dépassement de l’Œdipe », rappelle l’auteur de Lacaniana.

Jean Clavreul est venu à la psychanalyse par la psychiatrie. Il a rencontré Jacques Lacan, avec lequel il a entrepris une cure psychanalytique en 1948, pour s’installer, à la fin de son analyse, en 1953. Dans toute son œuvre, Jean Clavreul a tenté de mettre en évidence l’hétérogénéité entre le discours analytique et le discours médical.  Ayant été le  contrôleur de nombreux analystes, Jean Clavreul explique ici, sur le mode de la causerie : « S’il a pu m’arriver de temps en temps de suggérer une interprétation, à chaque fois, ça a raté. Quelle qu’en soit la raison, parce que j’ai mal dit, parce que l’analyste a mal entendu, parce qu’il a mal répété… »

Jean Clavreul nous emmène dans les méandres de l’Ecole Freudienne, dont il fut secrétaire du Directoire pendant de nombreuses années. Son expérience d’analyste, enracinée dans la clinique, l’a amené à travailler les questions de la perversion, de l’alcoolisme, de la toxicomanie. Mais l’auteur de L’homme qui marche sous la pluie n’oublie pas que l’analyste est engagé dans le processus désirant de son analysant. Une des qualités requises par l’analyste étant de se laisser surprendre par l’analysant.

Michèle Montrelay est parvenue à la psychanalyse par les lettres classiques et par son attachement à la question du féminin en psychanalyse. Elle évoque, dans cet ouvrage, ce que représente pour elle la dimension de l’ombre, déjà abordée dans ses livres précédents, La portée de l’ombre (Editions des crépuscules, 2009), et L’Ombre et le Nom ( Editions de Minuit, 1997). En référence au film « Sous le soleil de Satan », tiré du roman de Georges Bernanos, elle nous explique que l’étrange personnage, c’est Lucifer, ange de lumière. La lumière qui va de pair avec un « arrachement » de l’Ombre. « L’Ombre, c’est la capacité d’une femme en train de devenir mère à créer ce couplage sensoriel, moteur, rythmé, dont elle n’a pas conscience et qui se transmet de corps à corps, ceci dès la conception, par l’effet de l’être-deux-dans ».

Dans une cure, rappelle Michèle Montrelay, il faut compter avec ce « masculin », qu’elle nomme chez l’homme son « appareillage », et avec ce « féminin », qui est le lot des deux sexes, mais qui, selon le sexe propre, notamment celui de l’analyste, se vit différemment.

Annik Bianchini

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.