Clotilde Leguil L’être et le genre Homme/Femme après Lacan

PUF, 2015, 230 p., 20€.

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, membre du Cercle Freudien et du Salon Œdipe, journaliste, Annik Bianchini Depeint collabore à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Entre l’homme et l’amour,
Il y a la femme,
Entre l’homme et la femme,
Il y a un monde,
Entre l’homme et le monde,
Il y a un mur.

Antoine Tudal, in Paris en l’an 2000,
cité par Jacques Lacan, « Fonction et champ
de la parole et du langage en psychanalyse ».

Cet essai part du constat de la déconstruction du genre propre à notre époque, pour se projeter au-delà de l’assujettissement aux normes sociales et au-delà des stéréotypes. Car que reste-t-il du genre une fois que l’on en a déconstruit les normes ?
Contre la tendance de l’époque qui veut normer tout, y compris les pulsions, Clotilde Leguil avance que le genre n’est pas ce qui nous commande mais ce que l’on choisit.
Clotilde Leguil cherche ainsi à rendre  compte de deux approches distinctes  : celle des études de genre, issues de la pensée féministe et universitaire américaine, et celle de la psychanalyse lacanienne.

Sept chapitres s’insèrent entre le prologue « Insoutenable légèreté du genre » et l’épilogue « Le genre, nouvelle étoffe de l’être ».
Clotilde Leguil souhaite explorer l’insoutenable légèreté du genre par-delà les normes :  « Etre une femme, être un homme, est-ce seulement se soumettre à une norme ? Penser différemment le rapport au genre, ce n’est pas nécessairement revenir à la nature et se faire le chantre de l’inégalité. Ce n’est pas nécessairement ignorer l’homophobie dans la société. Entre la voie des gender studies qui font du genre une norme aliénante et la voie de la tradition qui refuserait d’interroger le genre, il y a peut-être une troisième voie. »

L’auteur  essaie de montrer que le modèle unisexe n’est pas nouveau dans l’histoire de l’interprétation de la différence des sexes. La question de l’interprétation du corps féminin a toujours posé problème. L’être et le genre ne se référant ni au biologique, ni aux règles sociales. Mais il y a actuellement, estime l’auteur,  un dévoiement du terme de « genre » que certains en font, telle Judith Butler, en se réclamant de la théorie psychanalytique. Or, il y a là un malentendu.  Un tel discours des études de genre ne veut rien savoir de la féminité. La question de la féminité  reste donc essentielle à notre époque.  Jacques Lacan l’a anticipée, en sachant faire entendre à la fois ce qui n’existe pas du côté de La femme, et ce qui existe du côte d’un rapport qu’un sujet entretient avec la jouissance.

Comment la psychanalyse lacanienne traite-t-elle la question du genre ? Jacques Lacan a ouvert la voie à une approche du genre qui  a fait sauter les stéréotypes et insérer du trouble en chaque être.  Avec le Lacan du Séminaire Livre XX Encore, Clotilde Leguil explique : « La féminité par-delà le genre est un mode de présence entre centre et absence. » Ou bien : « Homme et femme après Lacan désignent deux modes d’être qui ne s’apparentent pas tant à des rôles qu’à des façons de répondre au désir de l’Autre. »

Clotilde Leguil est psychanalyste et philosophe, maître de conférence au département de psychanalyse de Paris 8, agrégée de philosophie, ancienne élève de l’ENS Fontenay-Saint-Cloud. Elle est membre de l’Ecole de la Cause Freudienne, cinéphile  et auteur de plusieurs ouvrages : Les amoureuses, voyage au bout de la féminité (2009), Sartre avec Lacan, corrélation antinomique-liaison dangereuse (Navarin/Le Champ freudien, 2012), In Treatment. Lost in therapy (PUF, 2013).

Cet ouvrage  donne toute sa valeur à la dimension de la contingence. Etre homme ou femme s’inscrirait dans un cheminement relevant de la contingence du désir et de la jouissance : « Quel que soit le corps que l’on a, on se sent homme ou femme selon certaines rencontres, selon certains émois, selon certaines passions, à certains moments de son existence. », écrit l’auteur. Ou encore : « Le genre renvoie à un sous-texte qui n’est écrit qu’en pointillé en chacun, un sous-texte  qui comporte des blancs, des chapitres manquants, des lignes effacées, des phrases inachevées, des mots disparus… » Le genre nous échappe,  comme ce qui met en jeu notre désir. C’est  à travers une parole de l’autre que l’on apprend à connaître son propre genre.

A partir de figures de femmes et d’hommes hors-normes du cinéma (Billy Wilder, Guillaume Galienne ou Woody Allen) et de la littérature contemporaine (Marguerite Duras, Milan Kundera, Elisabeth Badinter, Delphine de Vigan  ou Edouard Louis), Clotilde Leguil cherche à déchiffrer ce que signifie pour chacun l’expérience du genre : « Si le genre peut être considéré hors norme, c’est qu’il est toujours de l’ordre
de l’interprétation singulière d’un sujet sur son être sexué. »

Trajectoire singulière, selon l’auteur, que celle de Catherine Millet Dans La vie sexuelle de Catherine M. C’est son propre corps, anonyme, supportant Le regard des tous les hommes, qu’elle met sur l’autel de la jouissance, entre sexe et mort. La jalousie de Jour de souffrance met en exergue le paradoxe du désir et de la jouissance. La photographie de l’Autre femme lui ravit son âme, et à l’instar de Lol V. Stein, Catherine Millet disparaît, son corps lui échappe. Elle se sauvera pour écrire Une enfance de rêve. Pas sans la psychanalyse.

Le genre touche la question de l’être au-delà de la parure et du semblant. En suivant le parcours des personnages de « Certains l’aiment chaud », Clotilde Leguil rappelle  non sans humour qu’« un homme n’est en somme qu’un défaut dans l’univers de la féminité ». C’était en 1959. Au cinéma. Que s’est -il passé depuis pour que le genre soit désormais perçu comme un « devoir-être aliénant », conduisant le sujet à renoncer à ce qu’il a de plus singulier ? « Nobody is perfect ! », c’est cette imperfection assumée qui peut nous donner les clefs de notre genre. Par la parole et aussi par cette touche de folie qui fait le charme de chacun.

Ce livre, passionnant, éclairant,  truffé de références littéraires, cinématographiques et psychanalytiques, se lit comme un roman.

 Annik Bianchini

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