Eve Livet, exposition photo « Andalousie » (Mai – Juin 2010)

            Je n’ai rien à dire sur mes photos. Je laisse aux autres le soin d’en parler. Explique-t-on la sensibilité? J’aime voir tout simplement. Et garder avec moi cette vision. C’est une prise de vue au sens propre du terme. Comme une prise de guerre, mais pas n’importe laquelle, une sur-prise… sur la mort?
Une photographie c’est comme une pépite d’or que l’on trouve. Quelque chose de très précieux. C’est l’inouï de la découverte, de l’instant où c’est là. Ce quelque chose qui m’est donné. C’est ça une photographie pour moi, cet instant inouï. Ce battement de cœur derrière les cils. Cette impression de revenir la poche pleine de cailloux merveilleux, qui seront peut-être sans intérêt pour les autres mais qui, à mes yeux, sont un trésor. C’est ma vie. Ma valise de négatifs et ma valise de carnets sont les objets auxquels je tiens le plus au monde. J’ai l’impression d’avoir ma vie dans ces valises. Et cette idée me rassure. Deux valises. C’est rien et beaucoup à la fois.
Si je photographie au 1/125e, combien cela fait 250 photos? Deux secondes? Combien y-a-t-il de photos dans ma valises? Je n’ai jamais compté. 5000 photos ? 40 secondes. Et combien de vraiment bonnes?
J’aime ce paradoxe. J’en ai besoin. C’est comme être persuadée de pouvoir attraper un bout de ciel en tendant la main. C’est comme croire au miracle. La vie est insaisissable, la photo saisie. Elle est fugitive et elle fixe l’instant. J’aime la photographie parce qu’elle est temps. Fondamentalement. Temps de la prise de vue, temps révélé sur le film, temps du sommeil de la planche contact lorsqu’elle repose dans ma valise, temps fixé sur le papier, temps des autres lorsqu’ils regarderont mes photos, défi au temps. Je laisse parfois reposer mes contacts des années. Et puis un jour, je les reprends et je découvre d’autres choses encore que je n’avais pas vues alors.

Eve Livet
* Tirages argentiques sur papier baryté numérotés de 1 à 15, signés au dos.

Photographe, journaliste et auteur de documentaires pour la télévision, Eve Livet a publié : L’affaire Omar, mensonges et vérités, Ed. La Découverte, Paris, 1999. Montero, selected pantings, Meligrana Editions, Paris, 2005.
Elle vit principalement à Paris.

 

 

 

 

 

 

Strophes aux photos d’Eve Livet

à tous les vins forts de la vie l’image veut que nous tenions,
nous soumettons l’image au régime de l’espace, à l’économie
mais ces vins forts sont là

les vins noirs et l’eau lustrale
dans les perles savoureuses de deux grenades
tel une jouvence fêlée qui sommeille ses plaisirs

l’abstraction de l’instant dans un rempart ambulatoire
et dont la solidité est faite pour la guerre et pour l’exaltation
tout angle comme le tir de l’arbalète et le mépris royal

le chat de l’oeuvre, logé dans le sceau de la chimie du pauvre
nous avertit des passants, à nous qui buvons son vin interdit
à nous qui attendons les secrets depuis l’instant vécu, à la porte

l’oeil précis qui nous adresse au fond de la pente
soutenu aux arômes de la montagne à vue d’aigle ou de sorcière
l’oeil vole dans l’arôme sur un terroir peuplé d’une chapelle

c’est l’Andalousie, incommunicable, vin fort qui nous assoit
en silence se passe notre photo mourante pour le repentir
les ballons pleins d’eau attendent les petites destinées

des rares femmes qui oeuvrent par leur beauté
font le choix des peintres qui se succèdent tels les styles
et dont le souvenir nous vient chargé d’objets précieux

ce sont elles qui lisent dans la jupe de l’enfant
la rage de vivre qui sort respirer au balcon
la jupe est de gitane, une petite artiste

dans le quartier des pauvres chaque rue est un escalier
les maisons tombent comme les dernières dents du sage
la bicyclette est notre ânesse et l’on met toute adresse à la peindre

le grenadin répand de la monnaie au pied d’une croix de fleurs
des groupes d’enfants la font d’oeillets, bois, céramique et nappes de soie
sans qu’il leur manque le cuivre et le sourire

des gifles reçues Dieu a les joues noircies dans sa vitrine
le coeur surprit du flash, le regard d’une psychologie qui n’est pas d’ici
il a bu avec nous la lie de son sang
des meubles pour se prosterner, des fausses fleurs pour l’éternel

plus on s’attarde sur Dieu plus on sait qu’il est déjà ailleurs
ivre perdu d’une douleur et d’un plaisir extatique
il se sent flotter dans son église, il se perd dedans
la pitié première nous impulse à nous faire remarquer de Dieu

un éclair dans la poitrine d’une mère de Dieu est la dernière coupe de vin qui nous évanouit
son fils est mort et il était Dieu, elle semble crier
le cadavre est trop triste à bercer
la pudeur rend gris les deuils du ciel

caché derrière les fleurs et les reflets de l’intelligence
le gris des mortes statues qui simulent l’instant sacré
nous révèle le spectacle de nos âmes qui veulent encore un verre
encore un verre de Dieu, une découpe de sa jeunesse

la fréquence des prières des mères nous rend lucides
le temps revient de savoir où l’on est
l’église est un lieu de mémoire et d’oubli
oeuvre d’art qui nous fait désespérer
nous ne pouvons entrer dans un souvenir
mais savons reconnaître l’oubli dans ses contrastes et ses lignes de fuite

Une croix est un arbre qui se fait connaître
un palmier, un cyprès, un arbre nu dont on ignore les fruits
la voiture de chacun, au soleil, l’auteur blasphème
connaissent un jour ses branches qui tiennent une petite lanterne
et le pubis de la pierre qui est sa racine
et le sel d’argent du souvenir de ce repas dans l’arbre

Manuel Montero

 

 

 

 

 

 

 

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