Elisabeth Roudinesco Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre

Seuil, 2014, 582 p., 25€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, Annik Bianchini Depeint collabore, en tant que journaliste, à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Des centaines d’ouvrages ont été écrits sur Sigmund Freud, et quelques dizaines de biographies lui ont été consacrées.
Pourquoi proposer une nouvelle lecture de la vie et de l’œuvre du médecin viennois, fondateur de la psychanalyse ? 
D’abord, parce que depuis la biographie de Peter Gay « Freud, une vie », parue en 1991, aucune autre n’était parue. Ensuite parce que de nouvelles archives ont été ouvertes aux chercheurs (sur ses analysants, notamment), au département des manuscrits de la Library of Congress de Washington, et l’essentiel de sa correspondance est désormais accessible. Mais aussi, surtout, parce qu’il restait beaucoup à dire sur l’homme et son œuvre.
Qui était vraiment Freud ? C’est ce que dévoile cet ouvrage.

Elisabeth Roudinesco donne à lire un très beau portrait, intime, critique, du père de la psychanalyse. Sigmund Freud  considérait vaine et fallacieuse toute tentative de « posséder la vérité biographique ». Il s’en était expliqué »  : « Qui devient biographe s’astreint à mentir, à dissimuler, à embellir et même à cacher son propre manque de compréhension ».

Il existe, dans ce livre, plusieurs fils rouges. L’auteur reconstruit le contexte historique, social et culturel dans lequel s’est élaborée la psychanalyse, mais aussi ce que fut la vie intime et familiale de Sigmund Freud, la genèse de ses écrits. On découvre Freud dans son temps : la Vienne fin de siècle, la Belle Epoque, la fin de l’Autriche-Hongrie, la guerre, les relations du maître viennois avec le pouvoir politique, la montée des extrêmes et de l’anti-sémitisme, le Nouveau-Monde, l’Angleterre.

L’auteur insiste sur les paradoxes de l’homme.  Un savant et une personnalité complexe. Moderne dans son œuvre mais conservateur en politique et dans sa vie privée. A la fois juif athée et profondément anti-religieux. Viennois fasciné par Rome. Les contradictions freudiennes sont passées en revue. L’archéologue de la psychanalyse s’est construit dans un conflit permanent entre le rationnel et l’irrationnel.  Il a été un personnage de Goethe, à la fois Faust et Méphisto. L’ouvrage déconstruit des mythes et des fantasmes. Freud disait lui-même qu’il voulait bien se faire « l’avocat du diable, sans pour autant se donner au diable ».

Historienne et psychanalyste, directrice de recherche à l’Université de Paris 7 Denis Diderot, Elisabeth Roudinesco a reçu le Prix Décembre pour sa biographie complète et révisée, « Sigmund Freud, en son temps et dans le nôtre », traduite en 25 langues. La célèbre historienne est auteur de plus d’une vingtaine d’ouvrages qui ont fait date, traduits en plusieurs langues, notamment « Histoire de la psychanalyse en France », « Dictionnaire de la psychanalyse » (avec Michel Plon), « Jacques Lacan. Esquisse d’une vie, histoire d’un système de pensée », « Pourquoi la psychanalyse ? », « Lacan, envers et contre tout ».

« Penseur des Lumières, Freud était l’héritier de Kant et de l’idée que l’homme devait échapper à toute aliénation pour entrer dans le monde de la raison et de l’entendement. Il accueillait avec faveur la fameuse maxime du courage et de la nécessité du savoir – “ Ose penser par toi-même ” – et il croyait en la possible soumission des instincts à la maîtrise de soi », écrit Elisabeth Roudinesco.

Après des décennies de déclarations violentes, de folies anti-freudiennes, livre noir et autres versions,  la biographie d’Elisabeth Roudinesco  est un soulagement et un réconfort.  L’historienne de la psychanalyse répond point par point à l’entreprise de démantèlement de la figure freudienne entreprise par Michel Onfray dans « Le Crépuscule des idôles ».

Le présent ouvrage, véritable fresque qui  peut se lire comme un roman, est divisé en quatre parties. « Vie de Freud » (commencements, amours, tempêtes, ambitions, l’invention de la psychanalyse), « Freud, la conquête » (disciples et dissidents, la découverte de l’Amérique, la guerre des nations), « Freud en sa demeure » (Familles, chiens, objets, l’art du divan, un ami des femmes), « Freud, derniers temps » (médecine, fétiche et religion, triomphe du nazisme, la mort à l’œuvre). Se mêlent petits et grands événements, vie privé et vie publique, folie, amour et amitiés, mélancolie et exil.

On rencontre, dans ce livre, Martha Barnays l’épouse de Freud, Mina sa belle-sœur, Anna sa fille, Wilhelm Fliess,  Marie Bonaparte, Lou Andréas-Salomé, Mélanie Klein, Sergueï Pankejeff  l’ »homme aux loups », Ida Bauer le « cas Dora » …  L’auteur dresse une scénographie des précurseurs directs, collègues et disciples gravitant autour du génie viennois. On trouve la liste des 126 principaux patients de Freud, ainsi que les influences, les filiations, les écoles. Sous le texte principal, fluide et pédagogue, tout en nuances, les notes sont l’occasion d’apporter des précisions.
L’ouvrage, très agréable à la lecture, a également pour qualité de ne pas décrire  le freudisme comme l’horizon insurpassable de notre temps.

Annik Bianchini

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