Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis
Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.
Surnommé le “Barbe-Bleu” de Gambais, Landru a marqué l’histoire du crime en étant le premier tueur en série à être identifié en France. En 1919, son procès connut un énorme retentissement. Cependant, au-delà de ses crimes, qui ont inspiré de nombreuses œuvres, qui était ce tueur qui emmenait les dames à la campagne, sous fond de première Guerre Mondiale et de Belle Époque ? Comment la personnalité de cet “homme mystère” s’est-elle construite ? Qu’en est-il de ses affects Pourquoi Henri-Désiré Landru, cet homme cultivé, soucieux de sa famille et de leur bien-être, possédant une bonne instruction scientifique, désirant entrer dans la série des inventeurs talentueux, n’a-t-il pas réussi à commercialiser ses projets ? Pourquoi Landru, qui était censé avoir tué pour de l’argent, n’a-t-il pas choisi des victimes un peu plus riches ? Pourquoi n’a-t-il pas tué sa maîtresse ? Autant de questions auxquelles Francesca Biagi-Chai, psychiatre des hôpitaux (CHS Paul Guiraud-Villejuif), psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne et de l’Association mondiale de Psychanalyse, enseignante à la Section Clinique (département psychanalyse de l’université Paris VIII), tente de répondre dans ce livre. Pour cela, Francesca Biagi-
Chai a minutieusement consulté les archives et les expertises judiciaires de l’époque, reconstitué les faits et retracé la biographie de Landru, à la lumière de la psychanalyse.
A travers l’étude du cas Landru, c’est la question de la folie dans ses rapports à une apparente normalité qui se pose. L’auteur décrit ainsi le lent développement d’une psychose. Le but étant de démêler sans ambiguité la folie de la perversion, de rendre cette folie visible et lisible par tous, sans faux-fuyants, sans approximations, et de l’examiner avec les concepts psychanalytiques tels qu’ils ont été élaborés par Freud et Lacan. Dans sa préface, Jacques-Alain Miller fait la distinction entre les crimes utilitaires et les crimes de jouissance : “Ses meurtres en série se présentent comme des crimes hautement utilitaires. Ils auraient un motif rationnel et le plus sympathique qui soit, la carte forcée par excellence : subvenir aux besoins de sa famille”. Selon Francesca Biagi-Chai, Landru a valeur d’exception entre l’utilitaire et la jouissance en ceci que pour lui, l’utilitaire est l’équivalent total de la jouissance.
Autrement dit, l’utilitaire perd la part de sens commun qui équivaut à l’échange, le marché, et acquiert la dimension d’une jouissance mortelle dans un totalitarisme du devoir. Landru est rationnel et le rationnel, c’est le réel.
Landru nie jusqu’au bout être l’auteur des crimes. C’est souvent de ce mur du silence que naît la fascination pour les criminels. Le silence, l’inaccessibilité, l’ironie et le détachement de nombreux tueurs en série leur confère une brillance énigmatique. “Il nous revient de désintriquer l’objet du savoir, qui se détache de la logique de vie d’un sujet, de l’objet de la fascination qui obture le savoir et appartient au ravissement”, indique l’auteur. Sa réflexion, élargie à d’autres affaires, pose en termes clairs le problème complexe et très discuté de la psychose et des responsabilités pénales.
Annik Bianchini