Annik Bianchini nous donne son avis Françoise Decant « L’écriture chez Henrik Ibsen »

Essai psychanalytique Editions érès, coll. Arcanes 2007, 205p.

 

« Ibsen. Il est difficile de tenir entre nos mains cette neige sombre et comme éclairée par le soleil noir de la mélancolie de Dürer. Un schizophrène habite tous les artistes. Beaucoup en éprouvent de la honte et le cachent. D’autres ne sont que sa main-d’œuvre.
D’autres collaborent avec lui. Sans ce fou mêlé à nos ténèbres intimes, une œuvre de poète ne serait rien. Chez Ibsen, la permanence d’un tel fantasme ressemble à cette fausse nuit nordique où baignent les pièces de Strindberg. L’admirable Ibsen, c’est la force avec laquelle il brave l’hôte inconnu. » Jean Cocteau (1960)

Dramaturge norvégien, Henrik Ibsen était aussi un très grand poète. Il a écrit plus de 25 pièces de théâtres, des articles sur le théâtre, et fit paraître en 1871 un recueil de poèmes. Cependant, c’est au drame qu’il consacra toute sa puissance créatrice. Certaines de ses pièces sont régulièrement mises en scène (Théâtre national de la Colline, Théâtre de l’Atelier…). L’essence même de son art, qui se situe en tant qu’oeuvre existentielle, touche nombre d’aspects de l’existence. Les pièces d’Ibsen ont enthousiasmé Freud et certains analystes, comme Ferenczi, Jung, Rank, Groddeck, Reich, Steckel, qui percevaient le théâtre de l’inconscient dans l’œuvre du dramaturge. L’enthousiasme de James Joyce fut tel, de son côté, qu’il entreprit d’étudier le norvégien pour lire Ibsen dans le texte.

C’est après une représentation d’Hedda Gabler au Théâtre de l’Est parisien, en 1999, que Françoise Decant, l’auteur de cet ouvrage, se mit à la lecture des textes d’Henrik Ibsen. « La complexité de l’intrigue, qui bien souvent déconcerte le spectateur, me subjugua. Je ne pus m’empêcher de penser que l’auteur possédait un savoir-faire et que les questions qu’il traitait concernaient intimement les analystes et rejoignaient leurs préoccupations. Et au lieu de voir dans la pièce un embrouillamini, j’y vis un savant ouvrage, même plus, un savant nouage ». Françoise Decant est psychanalyste à Paris. Elle est membre de la Fondation Européenne pour la Psychanalyse.
Son livre fait revivre les débats qui ont agité la communauté analytique du début du siècle autour de l’œuvre d’Ibsen et interroge la création littéraire au regard du symptôme. En lisant le dramaturge norvégien, Freud et ses disciples réalisèrent qu’il anticipait sur ce qu’ils étaient en train de découvrir, et que ce qu’ils recueillaient de la bouche de leurs patients se trouvait déjà écrit noir sur blanc dans les pièces d’Ibsen, montrant bien que l’artiste devance le psychanalyste, comme le fait remarquer Freud. Ferenczi écrit à Freud : « Je médite un commentaire des œuvres d’Ibsen à la lumière de votre psychologie. Il est étonnant de voir tout ce qu’il a pressenti… Ses autres oeuvres sont également pleines de pressentiments et d’allusions. »

Françoise Decant montre, dans cet ouvrage l’importance que représentait le travail d’écriture pour Henrik Ibsen. L’écriture, constituée comme symptôme, à entendre comme « ce que les gens ont de plus réel », pour le maintenir en vie. En décrivant un sujet divisé, perpétuellement tiraillé entre Eros et Thanatos, l’œuvre d’Ibsen n’a pas peur d’accueillir en son sein l’Etranger, l’Hôte inconnu qui nous habite. C’est par le biais d’un travail d’écriture acharné qu’Henrik Ibsen va tisser son symptôme, métaphorisation du Nom du Père, et tenter de refaire un nœud qui sans cesse glisse.

Annik Bianchini

 
       

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