Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis |
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Dans le présent ouvrage, Francis Hofstein a rassemblé l’ensemble de ses articles publiés dans la revue L’Ordinaire du Psychanalyste, parue dans les années 1970. Ces textes évoquent la psychanalyse dans ses dimensions pratique, technique et éthique. L’auteur y retrace son rapport à Jacques Lacan, à son rôle, à son Ecole, à la clinique, au contrôle, à la langue, à l’écriture ou à l’argent. « Les articles réunis dans ce livre sont tous signés Francis Hofstein. Les pages de couverture portent certes ce nom, et cette affirmation initiale aurait les allures d’une tautologie si l’on ne précisait pas qu’il s’agit-là d’une primeur. », écrit Michel Plon dans la préface de l’ouvrage. En effet, tous les textes parus dans la revue L’ordinaire du Psychanalyste, fondée en 1973 par Francis Hofstein et Radmila Zygouris, non seulement étaient publiés non signés, mais il n’y avait pas de directeur de publication. Seul le prénom de Freud, Sigismund, apparaissait. Une réponse, en quelque sorte, au collectif analytique de la revue Scilicet, que dirigeait Jacques Lacan. |
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L’idée motrice de cette entreprise, qui publiera en douze volumes 232 articles sans signature, était de ménager un espace de liberté d’expression, un pôle d’échanges non réglementés par une doxa, dans un climat vécu comme totalisant. Dans cette époque mythique où la psychanalyse était tournée vers l’avenir, Jacques Lacan développait et mettait en acte une dimension essentielle de son projet initial : celle de la formation des psychanalystes et de la transmission de la psychanalyse. Francis Hofstein a fait des études de médecine à Strasbourg, internat de psychiatrie à Paris; écoute des enfants dans un externat médico-pédagogique et en centre médicaux psychopédagogiques, suivis d’adultes en consultation hospitalière. Devenu psychanalyste, il s’est inscrit à l’Ecole Freudienne de Paris; enseignement à Vincennes, puis à Paris V Descartes en psychologie, séminaire à l’hôpital Henri Rousselle. Critique de jazz (Jazz Magazine, Soul Bag, Présence Africaine), Francis Hofstein pratique la batterie en petites et grandes formations de jazz. Ses livres et publications sont liés au regard, au mouvement, à la danse et au blues, la musique, à la psychanalyse, l’écriture. Le chapitre Ecrire, signer aborde la spécificité de l’écriture en psychanalyse. Ecrire pour lire, seul moyen de tenir sa place. Mais l’écriture ne saurait advenir tant que n’est pas venue la barre sur l’Autre; l’Autre d’avant le trait, qui est toute demande. Toute une partie de ce texte est consacrée à l’identité juive, à la Shoah et ses rapports à la création d’Israël. « La gravure que portent à l’avant-bras les rescapés (les SS la portent à l’aisselle) est alors, au nom d’Un, l’inscription des corps comme enjeu de l’être de l’Autre, au Un identifié, dont seule la mort peut, à ce point de refoulement dans le symbolique, soutenir l’existence. », écrit Francis Hofstein. Dans le chapitre intitulé Feuilles d’automne, l’auteur raconte : « 21 novembre 1975. Je me demande si les psychanalystes n’écrivent pas tant parce que l’écriture, bien que solitaire, est un de leurs seuls moyens pour être dans le groupe. “Ecrire est incompatible, invivable”, disait pourtant Emile Ajar en octobre au Monde. Ajoutant : “Je sais que les écrivains doivent vivre seuls, je crois qu’ils ne peuvent pas faire autrement”. Les analystes ne peuvent pas faire autrement non plus et, pris dans l’air du temps (un temps qui, pour eux, date de Freud), écrivent, écrivent. » Sur le point nodal de la passe, on lira dans ce recueil deux textes qui préfigurent nombre de débats à venir. Ils témoignent de l’idée fondamentale de son inventeur, Jacques Lacan, à savoir qu’il n’y a pas de théorie de la passe et qu’il ne peut sans doute pas y en avoir. « Le passeur en situation de passeur n’est donc ni psychanalysant ni psychanalyste. Il est la passe, c’est-à-dire rien. Mais un rien dont il doit, entre vérité et savoir, faire une passe. Ce qui lui impose, car son pouvoir y est exorbitant, de savoir pour qui ou quoi il se prend. » L’auteur écrit aussi : « Les analystes sont malades de leur pouvoir social, ils crèvent de leur réussite en tant qu’universitaires ou écrivains. Les analystes de L’Ordinaire se sont occupés de la maladie de leurs collègues et de la leur, mais non de la maladie de leurs analysants. Ils ont dialogué avec les analystes, ils ont dialogué avec le maître. » L’Ordinaire est un signifiant qui renvoie au banal, à l’anodin, au plus près du parlé, à un geste dépourvu de panache. Mais on lira dans le chapitre L’arrêt de l’Ordinaire : «Ne nous leurrons pas : déposer son tablier et rester analyste ordinaire ne va pas de soi. D’abord parce que, du fait même de L’Ordinaire, nous ne sommes plus des analystes ordinaires. Ensuite parce qu’il est difficile d’annuler la place qu’il occupait entre la psychanalyse et nous (…) Car rester analyste, fut-ce ordinaire, c’est maintenir son transfert sur la psychanalyse, l’entretenir, le choyer, transfert que je ne crois pas possible de liquider sans du même coup devoir cesser d’être analyste. » C’est en nous donnant à voir et à entendre son écriture au style percutant, mélange d’audace et d’enthousiasme, sans mise à jour, que Francis Hofstein, ne cessant de se mettre lui-même en question, a re-publié ces textes devenus introuvables. Annik Bianchini |