Ouvrage collectif sous la direction de Houchang Guilyardi Folies à la Salpêtrière : Charcot, Freud, Lacan

Editions EDP Sciences, 2015, 238 p., 20€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, membre du Cercle Freudien et du Salon Œdipe, journaliste, Annik Bianchini Depeint collabore à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Le présent ouvrage, recueil d’une douzaine de textes de psychanalystes, d’historiens, de sociologues  et d’artistes retraçant l’histoire de l’hystérie à La Salpêtrière,  convie à une traversée  conceptuelle et historique de la folie à travers les siècles :  des théories de l’Antiquité aux recherches neurologiques de Charcot, de l’invention de la psychanalyse par Freud  au « discours de l’hystérique » chez Lacan.

Ce livre est issu d’un colloque international dédié aux 400 ans de la Salpêtrière et aux 120 ans de la mort de Charcot, organisé par L’Association Psychanalyse et Médecine (APM) et l’Université de Paris 13, en partenariat avec l’Université de l’État de Rio de Janeiro (UERJ), l’Université Veiga de  Almeida (UVARJ) et l’Association Insistance, les 4 et 5 octobre 2013, dans l’amphithéâtre Charcot : « La Salpêtrière, un théâtre de l’hystérie. D’une scène à l’autre : Charcot, Freud, Lacan ». Au cours de ces deux journées ont été traversés quatre siècles d’histoire rappelant la place réservée à l’hystérie dans la société.

L’hystérie est connue depuis la nuit des temps, de l’Egypte à la Grèce. Au Moyen Âge,  l’hystérie était  la véritable « bête noire » de la médecine, les hystériques étant considérées comme des sorcières possédées par le démon. Elles furent persécutées au XVIè siècle, enfermées au XVIIè, pour rejoindre ensuite  l’Hospice dit de la Vieillesse-Femmes, asile des « folles », pauvres et indésirables  à La Salpêtrière.  C’est le Docteur Jean-Martin Charcot (1825-1893) qui a lui conféré  le statut d’authentique maladie, et a  restitué  au sujet de l’hystérie toute sa dignité.  Ainsi  est née l’École de La Salpêtrière de Paris,  lieu de recherche, d’enseignement et de soins, de renommée internationale.

Un fil clinique et théorique anime le livre :  du combat que mena Charcot, neurologue, anatomo-clinicien et chercheur, utilisant l’hypnose pour démontrer que les problèmes ne sont pas physiques ou liés à des lésions du cerveau mais purement psychologiques;  au jeune  Sigmund Freud, qui fut brièvement son élève durant l’hiver 1885-1886 et un de ses premiers traducteurs, pour basculer dans l’écoute de la parole de ces femmes;  jusqu’à Jacques Lacan, qui en passera par la structure que soutient cette parole et  la jouissance du parlêtre.

Dans son intervention « Charcot, Babinski, Clovis Vincent », Elisabeth Roudinesco, psychanalyste, historienne,  universitaire, retrace l’histoire de la neurologie, tout en nous parlant de sa généalogie familiale. Sa mère, Jenny Aubry, psychanalyste, neurologue de formation, avait  été l’élève de Clovis Vincent, lui-même élève de Joseph Babinski, lui-même élève de Jean-Martin Charcot. Les hystériques ont permis à Sigmund Freud d’inventer la psychanalyse. Elisabeth Roudinesco explique comment Charcot eut recours à l’hypnose et comment Freud abandonna l’hypnose sans passer par  la suggestion, puis adopta la catharsis, pour ensuite appeler psycho-analyse  sa nouvelle thérapie par la parole, détachée du regard.   « Il y a donc deux Charcot : le neurologue, détenteur de la première chaire de neurologie au monde, celui qui a mis en place la discipline et décrit la fameuse et terrifiante maladie qui porte son nom (sclérose latérale amyotrophique), à ce jour incurable. Et puis l’autre, que ses contemporains considéraient comme très peu scientifique : celui de l’hystérie. », indique Elizabeth Roudinesco. Elle observe aussi que les progrès de la médecine ont eu pour effet, au seuil du XXIè siècle, d’étendre les catégories de la norme et de la pathologie à des comportements sociaux, qui ne relèvent pas d’une maladie, mais d’une volonté de normaliser les consciences.

Dans son texte « Somatose, hystérie et maladie des nerfs »Houchang Guilyardi, Président de l’Association Psychanalyse et Médecine, psychanalyste, psychiatre, fait le lien avec la psychose vue sous l’angle d’une folie collective.  La psychose, dit-il,  prédomine et règne depuis l’histoire de l’humanité, époque contemporaine incluse.  « Nous savons que plusieurs états psychiques peuvent coexister chez une même personne », écrivait Freud dans Cinq psychanalyses. Approcher une part de la réalité nécessite d’utiliser des repérages métapsychologiques aussi précis que possible, collés aux constats cliniques, indique Houchang Guilyardi : « L’observation quotidienne montre que la structure est mobile et se modifie, se transforme, que son positionnement change au long de la journée et de la vie, et ceci selon les circonstances et les interlocuteurs rencontrés, autrement dit selon les transferts. Les états structurels constituent ainsi des états  temporaires. Chaque Parlêtre, passe, bascule au cours d’une même journée par différentes positions, souvent de manière instantanée  et aisée. »

Pour Danièle Epstein, psychanalyste, l’hystérie n’est pas sans évoquer la problématique du désir. L’hystérique choisit son maître, indique Danièle Epstein, mais c’est pour mieux le mettre en défaut. A travers lui, c’est la question de son être qu’elle interroge, mais ce n’est jamais ça. La demande d’amour est suivie de la plainte d’être incomprise. Il y a un écart entre la demande et ce que l’autre est en mesure de donner. Pour que son désir reste à vif, l’hystérique se doit d’être insatisfaite. Il y aura toujours une faille inhérente au sujet et à la relation. « À ce type de lien, Lacan donnera  statut de discours. Le lien social, pour Lacan, c’est la position que le sujet occupe dans le discours, et le discours hystérique est celui qui est fondateur de la psychanalyse. Le psychanalyste crée de la demande parce qu’il offre son écoute : celui qui parle lui adresse sa plainte, et en attend un Savoir sur l’énigme de son désir », observe Danièle Epstein dans son article « Paradoxes et impasses : le désir hystérique ».

Annik Bianchini

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