Dès l’avant propos Françoise Decant nous annonce son projet par cette citation de Freud extraite de la Gradiva de Jensen au sujet de l’écrivain.
« La description de la vie psychique de l’homme est bien son domaine le plus spécifique, il a été de tous temps le précurseur de la science et par là aussi de la psychologie scientifique ».
Cette citation pourrait aussi bien s’adresser à Stefan Zweig ou à Arthur Schnitzler, entre autres. Lacan aussi s’est inspiré d’écrivains comme Shakespeare au Joyce.
Française Decant nous invite, elle, à aller chercher chez Molière
« Ce savoir insu »
« Cette fabuleuse prescience »
Elle nous montre le parallèle entre le rêve et le théâtre : pas de pièces de Molière où ne soit repérés les phénomènes qui aboutissent à la formation du rêve : déformation, substitution, déguisement, répétition…
Pour contourner la censure, l’écrivain déforme l’expression de sa pensée comme dans le rêve. Par ailleurs, Molière sait mettre en scène des tableaux cliniques très pertinents.
Comme Lucinde dans le Médecin malgré lui.
Elle perd la parole.
Quel est le traumatisme qui se manifeste par la création de ce symptôme ?
Elle n’a pas le droit à la parole, pas voix au chapitre.
Quant à Madame Perrin, dans cette même pièce, c’est aussi son corps qui parle par le biais de symptômes, comme les hystériques de la Salpêtrière à l’époque de Charcot.
On ne sait pas grand-chose de cette Madame Perrin, si ce n’est que son mari a peur des traitements qui peuvent l’envoyer « ad patres » chez les pères.
Il y a du père dans cette maladie.
Serait-ce l’anticipation du « Nom du père » lacanien, se demande l’auteure ?
Molière remet en cause la loi du patriarcat en dénonçant le comportement quelque peu incestueux de ces pères qui veulent marier leurs filles à des vieux messieurs, alors qu’eux mêmes souhaitent épouser de très jeunes filles.
Dans le Tartuffe, le Misanthrope et le Malade imaginaire il y a du sexuel sur scène, du sexuel inhérent à l’inconscient.
Molière n’hésite pas à critiquer la religion, de façon habile certes, ce sont les faux dévots qui sont visés, mais les autorités ne s’y trompent pas et font interdire le Tartuffe.
Freud lui, attaque la religion dans “l’Avenir d’une illusion”.
Pour Freud, il est nécessaire de séparer la psychanalyse de la religion.
Mais aussi séparer la psychanalyse de la médecine.
Son souhait : « Pouvoir confier la psychanalyse à une corporation laïque de ministre des âmes qui n’auraient pas besoin d’être médecin et n’aurait pas le droit d’être prête », comme il l’écrit dans sa correspondance avec Pfister. Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur d’autres tableaux cliniques, comme dans « le Misanthrope » par exemple, avec la description de la Haine en rapport avec la pulsion de mort, mais qui côtoie aussi l’Amour.
Beaucoup de choses aussi sur la fustigation ou le fantasme de fustigation et la jouissance.
Mais je voudrais terminer sur la place des Femmes chez Molière, à propos de savoir insu.
Ce sont les Femmes les moins éduquées que « savent » qui sont les « sachantes ».
Elles prennent les choses en main, elles défendent les filles contre leur père.
Elles ont un savoir sur la sexualité tout comme Agnès dans l’Ecole des Femmes, élevée loin de tout elle n’a rien appris. Mais elle sait ce qu’il en est de son désir.
Françoise Decant nous invite à découvrir la modernité de Molière et sa lucidité.
Colette Blesbois