Ghislaine ESCANDE (Janvier 2004)

  L’œuvre de G. ESCANDE reprend à la constante et oublieuse déposition des petits riens, laissés par l’exercice quotidien de toute existence, ce qu’il lui faut de nécessairement frêle, fragile et si habituellement promis à la disparition. Bref, la matière opérante du tableau est constitué par toutes sortes de traces serviles, auxiliaires de la nécessité et de l’usage , reliques de l’ordinaire et  » abolis bibelots  » d’une vie qui passe ou d’un temps déchu. Ainsi, les vieux cahiers d’exercices ou brouillons de travail, les correspondances officielles et administratives, les bordereaux, formulaires et étiquettes, les lettres de conventions, circonstances et habitudes, les imprimés sans gloire, les écritures familières, les griffonnages, font de l’expérience du tableau et de l’acte artistique une confrontation questionnante à tout ce qui peut finalement nous rester d’une vie : une collection de fragments non électifs et sans aucune grandeur… Il faut voir toute ce  » re-travail  » de l’entropie, à partir d’une matériologie et d’une poïétique du vestige. Interrogeant la nature de ces petites choses que nous laissons sans y prendre garde, comme les témoignages involontaires de notre emploi ( sinon de notre lutte ) à vivre , Ghislaine ESCANDE fait du subjectile une surface de relèvement, de redressement et de ce comparution de ce que j’appellerai l’enveloppe sans gloire de notre mondanité chronique. Avec cela, G. ESCANDE rejoint l’exercice emblématique des vanités qui disposait dans le théâtre du tableau, les signes objectivés de l’usure et de transitoire. Quant à la reprise directe du fragment laissé par l’économie du quotidien, elle renvoie bien sûr à toute l’histoire moderne d’une pratique artistique de l’association et de l’intégration du résiduel et du partiel. Avec cette fixation du rebut, cette stabilisation dans l’œuvre d’un prélèvement dans la prolifération ordinaire des restes, nous ne pouvons manquer de citer Walter BENJAMIN :  » Les guenilles, le rebut, je ne veux pas en faire l’inventaire, mais leur permettre d’obtenir justice de la seule façon possible : en les utilisant « . Association et hybridation, combinatoire et stratification, recouvrement et dévoilement : ces actes provoquent et saturent le support comme un champ de sauvegardes et d’altérations simultanées qui sont visibles non seulement à la surface, dans la bi-dimensionnalité du plan, mais aussi en profondeur, selon une pratique maîtrisée de la superposition et du travail de couches successives. De la sorte, l’artiste recherche à son tour la langue secrète des fragments par le retournement de ceux-ci dans un processus de distinction et de juxtaposition qui confronte la collecte de l’empreinte et la pratique du montage et du collage à des procédures et des stratégies de requalification des signes. Sans crier gare, le plus inattendu de ce qu’on croyait perdu peut revenir. Ne nous revient-il pas seulement des chemins si souvent empruntés et d’une vie qui s’est prêtée, la gloire imprévisible d’un modeste souvenir ? Ici, l’objet d’art n’est pas une réplique du monde, mais une réplique invocatrice et invoquante adressée au spectateur qui passe…

Jean-Rodolphe LOTH
Juin 2003

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