Gérard Haddad « Les femmes et l’alcool » quatre récits d’un psychanalyste.

Editions Grasset, 2009, 132 p., 12€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

La femme et l’alcool… L’homme et l’alcool… Pourquoi ces questions ? Dans le présent ouvrage, Gérard Haddad explique qu’il ne s’agit pas de savoir comment sortir de l’alcool, mais de se demander pourquoi l’on y entre. Car la cause de cette souffrance qui pousse lentement vers la mort est souvent ignorée.

Pour l’auteur, la cause de l’alcoolisme est à rechercher dans les impasses et les catastrophes qui surviennent dans l’accession des femmes et des hommes à la fonction symbolique qui règle la reproduction de notre espèce. Mais la position des femmes et des hommes n’est pas symétrique. De même que l’œdipe féminin n’est pas en miroir de l’œdipe masculin. Une femme s’adonne à l’alcool parce qu’un jour, quelque chose qui relève de sa fonction symbolique dans l’ordre de la procréation s’est trouvé bafoué. Un homme s’enivre quand il perçoit son impuissance à tenir son rôle. C’est un sujet qui ne parvient pas, ou très mal, à accéder à cette place symbolique de père. 

Gérard Haddad est psychiatre, psychanalyste. Son travail théorique porte sur l’étude du fait religieux (et en particulier du judaïsme) à la lumière de la psychanalyse. Il a été en analyse avec Jacques Lacan pendant douze ans, à partir de 1969. Il a également traduit la plupart des ouvrages de Yeshayahou Leibowitz parus en langue française. Gérard Haddad est l’auteur de nombreux livres, dont  Manger le Livre (Grasset, 1984), Les Biblioclastes (Grasset, 1990, reparu sous le titre Les Folies millénaristes), Le jour où Lacan m’a adopté (Grasset, 2002), le Péché originel de la psychanalyse (Seuil, 2007).

“Les femmes et l’alcool” s’inscrit dans la réflexion théorique déjà initiée avec “Manger le Livre”, un précédent ouvrage qui lui permet de penser que l’alcool est un substitut du Livre parce qu’il “brûle la bouche comme du feu”. L’alcoolique est ainsi celui qui n’a pas ou mal incorporé le Livre, et dont les lèvres n’ont pas reçu de brûlure initiatique. Le message de Gérard Haddad étant d’ancrer le sujet dans son rapport au symbolique, c’est-à-dire au langage. “Nous sommes des poissons que l’hameçon du langage saisit aux lèvres”, écrit-il.

A travers quatre récits, quatre cas concrets de femmes en proie à l’alcool, venues le consulter à son cabinet, l’auteur réfléchit sur le grave problème de l’alcoolisme et de la toxicomanie. La thèse qui se dégage de ces récits-essais  peut être résumée ainsi : Une femme ne naît pas alcoolique, elle le devient. Ainsi, Patricia, qui un jour, ivre,  fait irruption dans son cabinet, accompagnée de son mari. Hélène, qui  décide de mettre fin à ses jours à la vue de l’étoile jaune de Max Jacob. Melody, dont les parents cachent un terrible secret. Ou l’histoire d’Ilse, telle qu’elle apparaît dans le Livre brisé de l’écrivain Serge Doubrovsky, laquelle sombre dans l’alcool jusqu’à en mourir.

La lecture des quatre récits, écrits dans un langage clair et de style aisé, nous fait comprendre que la catastrophe qui conduit une femme à l’alcool a à voir autour du désastre et de la déroute d’un pacte symbolique fondamental qui existerait entre hommes et femmes. Pour l’auteur, ce n’est peut-être pas la seule cause de l’alcoolisme, mais c’en est une essentielle. Il s’agit-là de la destruction du désir de la femme ou de la profanation de sa fonction symbolique dans la maternité : avortements non désirés, refus d’honorer son droit à la maternité, perversion sexuelle du partenaire… Cette profanation, de surcroît, a pour agent le plus fréquent l’homme à qui elle a donné sa foi.

On remarquera aussi la place particulière que la Shoah tient dans la descendance des survivants : “Une place particulière revient au génocide des juifs. L’obsession de ce souvenir, son inflation dans nos productions culturelles, résultent de notre difficulté à cerner précisément la zone actuelle de notre blessure et sa non-cicatrisation. Cette zone, répétons-nous une dernière fois, est précisément celle des fonctions symboliques qui règlent la reproduction de l’espèce. Les camps, de concentration et d’extermination réunis, ont porté un coup fatal à ces fonctions. Depuis notre ancêtre Noé, nous avons pris l’habitude de noyer dans des breuvages incandescents notre effroi d’exister”.

Annik Bianchini

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