Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis |
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“Mes plus belles analyses sont celles que je n’ai pas faites (…) Mes études de cas les plus étonnantes, celles dont je n’ai su que rêver (…) Les patients qui m’ont attiré le plus de compliments sont ceux que je n’ai jamais connus”. Gisèle Harrus-Révidi est psychanalyste et universitaire (Paris VII Denis Diderot). Elle a publié, notamment chez Payot, “La vague et la digue” (1987), “Psychanalyse de la gourmandise” (1994), “La psychanalyse des sens” (2000), “Parents- immatures et enfants-adultes (2001) et “Séduction. La fin d’un mythe” (2007). Ce livre de huit nouvelles, que l’on pourrait appeler des fictions psychanalytiques, est une porte ouverte sur l’imaginaire. Derrière chaque texte, dont la forme littéraire est un choix délibéré, se cache le regard psychanalytique. “Ce sont des histoires vraies de gens que je ne connais pas, dont j’ai entendu parler par le plus grand des hasards et que je n’ai pu ainsi qu’imaginer. |
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La plupart d’entre elles m’ont été contées il y a de très nombreuses années; et je me les suis appropriées avec le temps”. Pour faire siens images et récits restitués, les vivre comme personnels, sans s’identifier au sort de l’autre. “J’ai vécu une histoire vraie qui m’a rendu pas vrai”, disait l’enfant Dominique de Françoise Dolto. Que l’auteur traduit par : “J’ai vécu des histoires pas vraies qui m’ont rendue plus vraie, plus riche d’un passé qui n’était pas le mien”. Les portes du harem se referment, et le mariage heureux vire au cauchemar : le temps disparaît, la vie n’existe plus. Quelques pages plus loin, Claude, un étudiant en psychologie, blond, longiligne, au regard bleu de mépris, dont le silence hostile pouvait, par moments, atteindre des paroxysmes de violence, prend la parole lors d’un cours à l’université. Un geste annonciateur de son suicide ? Dans une autre nouvelle, un jeune homme se heurte à la pire violence humaine, témoin muet et sidéré de la barbarie. Mélanie, elle, est confrontée à la plus absurde des situations. “Il y a des gens, comme elle, qui portent la poisse et tuent sans rien faire ceux qui les approchent”, entendit-elle derrière une porte mal refermée. Qu’était-elle devenue ces dernières années ? “Rien, absolument rien”. Frayeur, angoisse, volupté. Tels sont les sentiments qui s’abattent sur les personnages dépeints par Gisèle Harrus-Révidi. “Confrontés à l’impensable, l’inconcevable dans la banalité de notre quotidien, ayons la modestie d’admettre que l’annulation de certaines périodes de notre vie est peut-être l’unique façon que nous ayons de la continuer. Sans chercher un sens, sans en donner, continuer modestement précisément.” Pourquoi ce titre : “Coquelicots sous l’orage” ? “D’une part, je me suis amusée à imiter un titre japonais… des fleurs, des couleurs, tout en en donnant une représentation symbolique. D’autre part, il m’a été permis de voir un champ de coquelicots avant et après la tourmente de l’orage. Et les ayant trouvés aussi beaux après qu’avant, j’ai tenté d’explorer, de la même façon, quel est le degré de résistance d’individus soumis à une tension en apparence totalement disproportionnée avec ce qui semblerait supportable.” Chacun des titres des huit nouvelles est un mot en apparence innocent : “Samovars”, “Rien“, “Neige”, “Choix”, “Liens”…, et qui résume ou concentre l’intensité de la situation. Le contenu est dense, court, fort. C’est un moment de vie particulièrement violent dans l’histoire des personnages, dont la vie, ordinaire en apparence, se trouve bouleversée par un événement, une découverte, une rencontre. Comment se remet-on de cela ? Comment dépasse-t-on certaines blessures trop profondes ? Grâce à son talent de conteuse, Gisèle Harrus-Révidi rend ici, de façon claire et sobre, la destruction des repères et les fractures de la vie. Annik Bianchini |