“Toute notre vie n’avait été qu’un entraînement, elle à m’apprendre à me passer d’elle pour le jour où elle me quitterait, et cela depuis mon enfance, quand elle refusait de venir dix fois me dire bonsoir avant d’aller en soirée, quand je voyais le train l’emporter quand elle me laissait à la campagne…”, écrit Marcel Proust dans une lettre à Barrès, ou encore, “l’horrible souffrance indéfinissable qui peu à peu devenait grande comme la solitude, comme le silence et comme la nuit”, dans la scène du baiser du soir, (Jean Santeuil, Gallimard, La Pléiade, 1972, p. 205). Comment un enfant échappe-t-il à une telle angoisse ? Par l’assomption du complexe de castration, qui permet de dissoudre le complexe d’Œdipe ? Cette réponse, classique et normative, ne vaut pas toujours, et certainement pas dans le cas du jeune Marcel, explique l’auteur. Il existe d’autres solutions. Dans le présent ouvrage, Geneviève Morel étudie comment un enfant peut se séparer autrement de sa mère, et se soustraire à sa loi qui l’enchaîne parfois pour la vie et, en tout cas, le marque définitivement. Geneviève Morel est psychanalyste à Paris et à Lille. Ancienne élève de l’ENS, agrégée de l’Université et docteur en psychologie clinique, elle enseigne la psychanalyse.(associations “Savoirs et clinique” et ALEPH, DES de psychiatrie à Lille). La loi de la mère, c’est la condition qui nous est faite de ne naître humains que dans un bain de langage, d’énoncés énigmatiques et d’équivoques, prononcés par la mère (mais le père y participe aussi), et qui nous affecte avant même que nous n’ayons les moyens d’y structurer un sens et d’y détecter une langue. Par la parole, chargée d’inflexions de la voix, de regards mais aussi de cris, nous ne sommes pas seulement introduits au sens linguistique, mais à toutes les résonances charnelles de ce sens. Transmis dès notre plus jeune âge, les mots, chargés de plaisir et de souffrance, c’est-à-dire noués à la jouissance maternelle, s’impriment à jamais dans notre inconscient, modelant fantasmes et symptômes. Une conséquence essentielle, c’est que la loi de la mère marque décisivement chacun d’une ambiguïté quant à son sexe. Il s’agit alors de savoir s’il est possible (et comment), de sortir de cet assujettissement, tant à la loi maternelle qu’à l’ambiguïté sexuelle qu’elle secrète, pour parvenir à ce que l’on appelle identité sexuelle. Dans ce livre, Geneviève Morel explore la théorie du synthome, cette ultime conception du symptôme grâce à laquelle Lacan voulait supplanter l’Œdipe. Le synthome, indique-t-elle, est séparateur, mais sans passer par l’identification symbolique au père. Il permet à l’enfant de se dégager de la loi de la mère, en prenant appui sur un élément contingent. Ce peut, certes, être le père, mais aussi un élément emprunté en un large sens à la vie sociale. Le synthome, conclut-elle, ne passe pas par l’identification (au sens œdipien), il est un savoir-faire créatif et inventif, qui parvient par des voies inattendues à soulager le sujet des répétitions mortifères qui rendent les symptômes si insupportables. De plus, il est une réponse possible à l’ambiguïté sexuelle. D’où le sous-titre : “Essai sur le synthome sexuel”. “La loi de la mère » fait suite à “Ambiguïtés sexuelles”, consacré à la sexuation dans les psychoses, qui explorait déjà les chances d’existence et d’invention de soi dans des configurations psychiques complexes. Grâce à cet ouvrage novateur, traité avec rigueur et clarté, le lecteur trouvera un changement de point de vue complet sur les grands thèmes d’actualité qui se posent à l’orée du XXIè siècle, qu’ils soient relatifs au statut de la santé mentale, aux limites de la propriété revendiquée sur son corps, aux législations sur le mariage, ou à la filiation et à l’adoption. Une enquête en mouvement qui questionne, réécrit, réinvente les fondements même de la psychanalyse. Annik Bianchini |
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Annik Bianchini nous donne son avis Geneviève Morel « La loi de la mère » Essai sur le syntome sexuel
Economica (Coll. Psychanalyse) 2008, 346p.