Heitor O’Dwyer de Macedo La clinique de Dostoïevski ou les enseignements de la folie

Editions Cécile Defaut, 2015, 355 p., 24€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, Annik Bianchini Depeint collabore, en tant que journaliste, à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Heitor O’Dwyer de Macedo propose une lecture psychanalytique de l’œuvre de Dostoïevski, identifiant  des points essentiels de la clinique (le trauma, le fantasme, la  perversion, la folie), dans ses personnages, qui trouvent leur grandeur ou leur misère dans leur rencontre avec l’inconscient.

Le présent ouvrage réunit six années de recherche, dans le cadre du séminaire bimensuel La clinique de Dostoïevski, que Heitor O’Dwyer de Macedo  a dirigé de 2009 à 2014, à la Fédération des Ateliers de Psychanalyse. Sa démarche a consisté à travailler le texte dostoïevskien, à partir de l’actuel de la cure, et plus précisément de la clinique avec des patients psychotiques.

On sait que la littérature est au cœur de la théorie freudienne. Fedor Dostoïevski est l’écrivain de la rencontre. L’apport de Dostoïevski, c’est l’introduction de la folie moderne en littérature. Ce livre parle de la folie pour parler d’amour. « C’est pour parler d’amour qu’on va voir un psychanalyste et, en principe, c’est d’amour qu’il parle, quand il parle le psychanalyste », écrit l’auteur.  Il n’y a pas de psychanalyse sans amour. Mais de quel amour parle-t-on dans la clinique analytique ?

La souffrance de l’homme, c’est la femme. Chez Dostoïevski, les hommes sont comme il se doit, l’espérance des femmes, résume Heitor de Macedo : les femmes sont ou hystériques, ou bien des folles hystériques, ou encore hystériquement maternelles. Mais comme les hommes sont pervers ou psychopathes, psychotiques ou hystériques, y a -t-il un amour véritable chez Dostoïevski ?  Dans le chapitre intitulé Les femmes chez Dostoïevski, l’auteur dresse le rapport que les femmes entretiennent aux hommes  dans la cure analytique (le maso-idéaliste, le poète, l’alcoolique, la brute…).

Heitor O’Dwyer de Macedo a été metteur en scène de théâtre au Brésil avant d’exercer en France dans des établissements de santé mentale. Disciple de Françoise Dolto et de Gisela Pankow, il a enseigné à l’Université de Paris VII. Président de la Fondation franco-latino-américaine Rocinante, il a organisé, en 1986, la célèbre rencontre entre des psychanalystes français et des psychanalystes latino-américains ayant travaillé sous des régimes de terreur au moment de la dictature brésilienne. Ancien Analyste-Membre du CFRP et du Quatrième  Groupe, il collabore actuellement à Mediapart. Il est l’auteur, notamment, de Ana K., histoire d’une analyse (Gauthier-Villars, 1977), Le psychanalyste sous la terreur (Matrice-Rocinante, 1988),  De l’amour à la pensée (L’Harmattan, 1999), Lettres à une jeune psychanalyste (Stock, 2008).

Heitor de Macedo est un tenant de la théorie du Moi fort. Il pense qu’il faut affermir le Moi; mais aussi que cela doit se faire au début et non à la fin  de la cure;  que c’est une condition nécessaire pour qu’il puisse y avoir une clinique du sujet, une analyse. Il propose d’ailleurs de considérer qu’il faut distinguer cure et analyse.

Dans le chapitre intitulé Notes du sous-sol, qui est aussi le titre du troisième livre écrit par Dostoïevski après son retour de Sibérie, sous forme d’un journal intime (Les Carnets du sous-sol ou Le Sous-sol Mémoires écrites dans un souterrain),  l’auteur indique : « L’homme du sous-sol est le meilleur exemple d’une analyse lacano-millerienne réussie : la conscience que l’être humain, au fond, n’est qu’un déchet, que tout sentiment de bien-être n’est qu’illusion, et que seule la vérité accessible consiste dans la contemplation de son impuissance. L’homme du sous-sol jouit de son désêtre ».  

Un monde sans Dieu est un monde où règne le désir. Les hommes sont malheureux parce qu’ils ont peur d’assumer leur désir, explique Heitor de Macedo, se référant au roman Les démons. C’est ce désir que Kirilov appelle volonté, qui est « l’attribut de ma divinité. C’est grâce à ma volonté que je peux manifester sous sa forme suprême mon insubordination et ma liberté nouvelle, ma liberté terrible. Car elle est terrible »

Ce livre, écrit dans un style agréable, précis, énergique, s’inscrit  dans un ensemble de réflexions –  notamment dans le préambule et la fin – qui bordent le texte. L’une de ses ambitions est de démontrer que la psychanalyse n’est pas constituée d’un savoir fermé sur lui-même, mais d’une pratique de pensée, théorique et clinique, au service de la vie, de la cité, et du politique : « Il y a une guerre et la psychanalyse a momentanément perdu. Mais il y a eu des luttes, parfois terribles, où la psychanalyse et l’humanité ont été victorieuses. Ces victoires, nous devons nous les approprier et les transmettre à ceux qui déjà, prennent le relais de l’exigence de pensée et de vérité, condition minimale pour l’exercice de cette pratique. »

Annik Bianchini

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