Henriette Michaud Les revenants de la mémoire

Freud et Shakespeare PUF, 2011, 200 pages, 15€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

“D’où l’importance vitale de parler une langue
qui ne s’écrirait pas, sinon dans l’écrit de ce qui,
d’en deçà de la cordillère des Andes psychanalytiques,
se fraierait un passage.”

Claude Maillard

Tout au long de ce très bel essai, Henriette Michaud analyse le rôle que William Shakespeare a joué dans l’élaboration de la psychanalyse. La visée de la thèse étant de montrer que la pensée et l’œuvre freudienne ont été nourries de façon originale par la langue et les mots du poète.

Sigmund Freud avait de Shakespeare une connaissance approfondie, notamment de la pièce “Hamlet”, dont l’intrigue a été à l’origine de sa première intuition sur le complexe d’Œdipe. S’imposa en effet à lui la similitude de destin entre Œdipe et Hamlet. 

Cet ouvrage invite à une traversée de l’œuvre freudienne. Au fil des chapitres se dessine la silhouette singulière du Shakespeare de Freud. Il apparaît comme le metteur en scène de l’origine profonde de nos actes. William Shakespeare arrive à témoigner sur la scène de son théâtre des processus psychiques et des profondeurs de l’âme humaine. On découvre ainsi à quel point la langue de Shakespeare a accompagné la réflexion de Freud et lui a permis d’accéder à l’Autre scène, celle des rêves et de l’inconscient. Un même rapport au mensonge “vrai” et à une vérité qui échappe toujours, mais parvient à se “mi-dire”. 

Henriette Michaud est psychanalyste, membre du Cercle freudien. Docteur en psychopathologie (Université Paris 7) et agrégée d’anglais, elle a contribué à un livre collectif sur les Correspondances de Freud (PSN, 2007) et publié une étude sur Yves Bonnefoy, traducteur de Shakespeare (Cahiers de l’Herne Yves Bonnefoy, 2010). 

Et si Shakespeare n’était pas Shakespeare ? La question de l’identité du grand génie littéraire est posé. Freud se demande comment un auteur unique avait pu accomplir une œuvre aussi prodigieuse. Un chapitre y est consacré. William Shakespeare, auteur possible mais non certain de Macbeth, Le Roi Lear, Roméo et Juliette, Richard III, et d’une trentaine d’autres pièces… Freud cherche à savoir la vérité sur les “choses inconnues”, entre ciel et terre, et sur les gens “qui ne sont pas ce qu’ils semblent être”. Le génie poétique fait partie des phénomènes inexplicables (“insaisissables”), écrit-il dans le “Moïse”, l’autre étranger.

Le grand dramaturge inscrit les “choses inconnues” dans les mailles du langage. Les citations du poète, la force de ses mots et son nom reviennent comme des revenants, au cœur de la langue de Freud.

“The lover, the madman and the poet
Are of imagination all compact (…)
And as imagination bodies forth
The form of things unknown, the poet’s pen,
Turns them to shapes,
And gives to airy nothing
A local habitation and a name.” (Le Songe d’une nuit d’été).

William Shakespeare s’est invité de multiples façons dans l’œuvre de Freud. Eclairant ainsi les mots d’esprit, les rêves, les lapsus, la folie, le meurtre du père…Citer, pour Sigmund Freud, c’est déjà traduire. “La psychanalyse est née en plusieurs langues, dans une Mitteleuropa polyglotte. Elle porte la marque de cette mise freudienne sur le poète supposé savoir”, indique l’auteur.

Les mots de Shakespeare, déplacés dans la langue de Freud, gardent ici l’éclat “du chant de Desdémone et du rire de Falstaff, du mouchoir d’Othello et du rêve de Clarence, des visions de Macbeth, du ghost errant…

Annik Bianchini

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.