Isabelle Mons Femmes de l’âme, Les pionnières de la psychanalyse

Payot, 2015, 320 p., 21€.

Le titre « femmes de l’âme met en valeur   une problématique au féminin, la part inconnu de l’être humain : son âme. Les femmes de l’âme, selon Isabelle Mons,  sont les pionnières de la psychanalyse car parler de la psychanalyse à ses débuts demande que l’on évoque également les femmes.Sigmund Freud avait confié ces mots à Marie Bonaparte vers la fin de sa vie : « La grande question restée sans réponse et à laquelle je n’ai moi-même jamais pu répondre malgré mes trente années d ‘étude de l’âme féminine est la suivante : « Que veut la femme ? » Freud, pourtant, a de tout temps été accompagné par un  cercle de femmes.

La psychanalyse, généralement considérée comme une affaire d’hommes,  était et est encore masculine, mais elle est également féminine, et l’a été dès ses débuts. Elle a contribué à son histoire,  son ébullition, son devenir, en défendant un  regard nouveau sur le désir féminin, l’inconscient, la sexualité, l’amour, la liberté féminine, ainsi que la place de l’enfant dans la société.

De Vienne à paris, de Berlin à Zurich, en passant par Londres, les pionnières de la psychanalyse n’ont pas hésité à défendre, protéger, célébrer et guérir l’âme des femmes. Pour être une pionnière, selon l’auteur,  il faut avoir produit une œuvre validée par Freud et par les autres psychanalystes,  « il faut avoir innové et découvert une matière enfouie en attente de son exploitation ».  Isabelle Mons a voulu montrer que la  vie de ces psychanalystes était croisée avec leur œuvre. Ces femmes ont fait de leur vie une œuvre d’art, leur vie en tant que mère et que femme,  a été leur propre sujet d’expérience.Docteur en lettres, professeur de littérature, Isabelle Mons consacre ses travaux à l’écriture féminine et au rapport de la littérature à l’art. Elle a publié une  biographie de Lou Andreas-Salomé (Perrin, 2012).

Dans ce livre est décliné le portait de quatorze femmes psychanalystes du XXè siècle; connues ou moins connues, elles ont permis un accès autre à celui qui souffre, conjuguant ainsi analyse clinique et apprentissage théorique.  L’approche d’Isabelle Mons « n’est ni sociologue, ni scientifique, ni conduite dans un souci d’exhaustivité ».  L’ouvrage est composé de récits de vies, au gré d’une palette de théories nouvelles, dans la reconstitution du puzzle psychanalytique.

« Les égéries russes : Lou Andreas-Salomé, Sabina Spielrein, Tatiana Rosenthal. « Les partisanes en lutte » : Emma Eckstein, Margareth Hilferding. « Celles de l’ombre » : Emma Yung, Anna Freud. Les apologistes des « Voix de l’enfance » : Hermine Von Hug-Hellmuth, Melanie Klein, Sophie Mogenstern, Françoise Dolto. « Les conquérantes » : Eugénie Sokolnicka, Marie Bonaparte, Helene Deutsch. Aucun des engagements actuels n’aurait pu exister sans l’audace de ces premières psychanalystes.

Pour Lou Salomé, le féminin n’est pas la féminité ni la sexualité féminine. Au cours de sa pratique, elle a engagé un dialogue fructueux autour de trois axes : l’inconscient, la question sexuelle et le narcissisme. Outre le fondateur de la psychanalyse, Lou Andreas-Salomé, par sa vie affranchie de toute contrainte,  aura fasciné quelques-unes des grandes figures de son temps, comme le philosophe Nietzsche et le poète Rainer Maria Rilke. « Au-delà de l’intérêt financier, “guérir est un acte d’amour”, déclare-t-elle dans sa Lettre ouverte à Freud. La durée de l’analyse, sa fréquence, son prix sont des critères préétablis par l’école freudienne auxquels elles s’est toujours refusée.  Freud la rappelle plus d’une fois à l’ordre quand elle dépasse l’heure autorisée ou quand elle ne réclame aucun paiement. Analysant dans son jardin ou occupant le divan à la place du patient, elle a toujours considéré que le combat de la “créature” soumise à la souffrance psychique était prioritaire sur l’organisation pragmatique », explique l’auteur.

Helene Deutsch s’imposa à Vienne comme une des grandes analystes de sa génération. Troisième fille d’une mère autoritaire et peu affectueuse, Regina Rosenbach, Helene Deutsch garda de son enfance un souvenir affligeant. Voici ce qu’écrit Isabelle Mons : « Enfant de Pologne, analyste viennoise, émigrée américaine, Helene Deutsch résume à elle seule le destin du peuple juif et l’histoire des premiers psychanalystes. Jamais elle n’aurait été une si bonne avocate de la femme si elle n’avait pas accordé autant de place à la présence des hommes dans sa vie. Son destin prouve la nécessaire complémentarité des sexes lorsqu’ils savent faire fructifier leurs différences. En fuyant l’identification à sa mère si hostile, Helene a finalement exprimé l’ardent désir d’être aimée d’elle. »

Un bel hommage à quatorze de ces femmes du XXè siècle, qui ont repoussé leurs propres limites afin de s’interroger sur l’âme de demain, que se soit du côté du  féminin ou du masculin.

Annik Bianchini

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