Jean-Pierre Winter Transmettre (ou pas)

Albin Michel, 2012, 180 pages, 16€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, membre du Cercle Freudien et du Salon Œdipe, journaliste, Annik Bianchini Depeint collabore à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Transmettre et que transmettre ? C’est une question fondamentale qui se trouve au centre de la réflexion actuelle sur l’école, mais aussi au cœur de nos existences comme parent ou comme enfant. Issu de trois conférences données par le psychanalyste Jean-Pierre Winter en 2012 au Collège des Bernardins,  le présent essai analyse le désir de transmission d’un savoir, de valeurs, d’une tradition, et tente d’en expliquer les failles, les impasses ou les étranges paradoxes, dans les domaines de la famille, de l’éducation et de la religion. 

Spécialiste des pathologies contemporaines, Jean-Pierre Winter est psychanalyste, de formation philosophique et juridique, diplômé de psychologie clinique.

Que ce soit dans la relation maître-élève, dans la relation parents-enfants ou dans les religions quelles qu’elles soient, nous sommes tous habités par le désir de transmettre. Mais dans la transmission, l’essentiel souvent nous échappe. L’auteur explique que ce que nous passons à nos enfants se fait toujours à notre insu. D’abord parce que pour un  psychanalyste, la transmission se fait d’inconscient à inconscient. Ensuite parce que nous transmettons ce qui nous a été transmis sans que nous le sachions toujours. Enfin, lorsque nous transmettons quelque chose à notre enfant, celui-ci se l’approprie et le transforme.

Jean-Pierre Winter explore les mécanismes de l’apprentissage de la lecture, en prenant quelques exemples : ainsi, on échoue souvent à transmettre nos valeurs et quelquefois on transmet  sans le vouloir les angoisses héritées de nos ancêtres. L’auteur s’attache aussi  particulièrement à celle de ces questions qui porte sur la mort. Pour cela, il retrace l’histoire d’un film australien “Miss Daisy et son chauffeur” (1989). Je cite  : “Un jour, la vieille institutrice lui demande de la conduire au cimetière. Là, pendant qu’elle s’occupe de la tombe de son mari, elle lui ordonne d’aller fleurir une autre tombe, à deux allées de là. «Tu vas les déposer sur la tombe marquée Boer !» Un peu gêné, il lui dit : «Mais je ne vais jamais trouver ! » Mais si. C’est marqué Bo-er. Le voilà donc obligé d’avouer qu’il ne sait pas lire. Et elle : «Mais ce n’est pas possible ! Comment ça, tu ne sais pas lire ? Ben non. Voilà, je sais pas.” Alors elle : «Tu connais ton alphabet ? Ben oui, par cœur. Bon ! Alors, Boer. Tu entends ? B-o. Ça commence par b et ça finit par r.» Donc, tu vas chercher une tombe où le nom commence par b et finit par r. Effectivement, il y va et il trouve la tombe où est écrit B-o-e-r.  Et à partir de là, il commencera à apprendre à lire”.

Parents, nous sommes nécessairement des passeurs. “Ce que j’ai appris, à qui vais-je le passer ?” Mais la transmission marche aussi dans l’autre sens, de l’enfant vers ses parents. Car avec l’arrivée des nouvelles technologies, ce sont les petits qui transmettent leur savoir. Dans l’Introduction à la psychanalyse, Freud écrit : “Le petit bonhomme est déjà entièrement formé dès la quatrième ou la cinquième année et se contente de manifester plus tard ce qui a été déposé en lui à cet âge”. Freud dit aussi : “Le petit bonhomme est un métaphysicien”. Parce que à cet âge, 4 ou 5 ans, l’enfant commence à se poser et à nous poser les questions existentielles, celles auxquelles les philosophes ne finissent pas de répondre”.  Si l’on veut bien prendre en compte ce que  dit Freud, remarque Jean-Pierre Winter, l’enseignant sait-il ce qu’il fait quand il enseigne ? A quel exercice se livre-t-il ? Sait-il  ce qui, dans ce qu’il est en train de dire, aura un pouvoir de transmission ? 

Une solution existe pour répondre à tous ces  paradoxes : réinventer sans cesse ce que transporte la mémoire collective et individuelle, et dire à nos enfants qu’ils peuvent et doivent  être des re-créateurs.

Est-il possible de transmettre la psychanalyse, s’interroge l’auteur ? Je cite : “Nous savons que l’étude des textes pas plus que les discussions et les séminaires ne suffisent pour former un psychanalyste. On ne peut pas devenir psychanalyste sans avoir fait soi-même une analyse. Mais est-ce suffisant quand on considère la multiplicité des courants et des dérives bien connues ?” Avec la question de la transmission de la psychanalyse s’en pose une autre. C’est la question du pouvoir de la langue.  Car par l’opération du signifiant, c’est-à-dire par l’usage de la dimension équivoque de la langue, il arrive qu’on résolve un symptôme et qu’on change la vie de quelqu’un quand il le veut vraiment.

Cet ouvrage, d’une écriture à la fois rigoureuse et  claire, aide à déconstruire les déterminismes et renvoie chacun à sa responsabilité de sujet.

Annik Bianchini

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