Michèle Faivre-Jussiaux (I) Barbe bleue ou le maître des réjouissances

Préface de Liliane Zolty, Editions des Crépuscules, 2014, 120 p., 20€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, Annik Bianchini Depeint collabore, en tant que journaliste, à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

Si doucement le soir se fond dans la nuit
Qu’on peut à peine dire le jour fini.

Emily Brontë

Comme les mythes, les contes touchent au plus profond de la psyché humaine. Ce sont des messages de l’inconscient. Ils s’édifient suivant la fantastique architecture du rêve. Dans « L’interprétation du rêve », Freud se réfère aux contes pour justifier l’analyse des rêves : « Nous savons déjà que les mythes et les contes de fées, les proverbes et les chansons, le langage d’imagination utilisent le même symbolisme ».

Dans la préface de « Barbe bleue ou le maître des réjouissances », Lilane Zolty, psychanalyste à Paris,  indique : « Dans ce très beau texte métaphorique, porté par la splendeur et la menace forestières, Michèle Faivre-Jussiaux explore le chemin et les embûches de la féminité ».  Ce récit littéraire, superbe sur la féminité,  est  en effet un parcours ténébreux parsemé d’errances, d’obstacles et d’effroi, où l’on peut se perdre, mais aussi se retrouver, dans la vérité de son être.

Liliane Zolty observe : « Les sept femmes de Barbe bleue pourraient bien n’être qu’une seule et même femme dans sa difficile progression à traverser toutes les étapes  vers sa liberté, échappant in fine à sa fascination : celle d’être l’objet d’un autre, d’un Barbe bleue, figure imaginaire d’un jouisseur tout-puissant ».

Elles apparaissent et disparaissent. Entre séduction et épouvante. Comme des étoiles filantes. Armé de son prestige et du fatidique trait bleu, ses belles, il les attire une par une. Mais n’est – ce pas toujours la même qui revient ? Avant la renaissance, la destruction.  Toutes, elles ont eu le goût de se perdre. Barbe bleue fait sa propre loi, sous le signe du divertissement. Il ne supporte pas l’imperfection de ses créatures. Son ennemi intime : l’insondable ennui. La nuit aussi lui appartient. Pour exister, jouir sans trêve, jamais les lumières du château ne s’éteignent.  Ce qui revient, c’est la perpétuelle alternance des cycles.  

La septième de ses femmes, celle qui sort du cercle de l’énigme, réunira le début et la fin de toute chose. Loin de s’étioler au passage du temps, elle resplendit toujours davantage. Elle sait passer du monde éblouissant des surfaces pailletées à son envers de désastre indicible. C’est de son âme qu’il voudrait s’emparer. Et celle-là, l’Insoumise, celle qui a eu le courage de s’arracher à sa fascination, peut-être il l’aimera. Mais celle-là ne sera pas seulement la septième. Elle sera la dernière femme de Barbe bleue.  L’Insoumise appelle la première femme du nom de son désir : La Mère. Celle qui a commis l’affront de désirer l’enfant qui survivrait un jour à Barbe bleue.

Le maître des réjouissances, que lui arrive-t-il ? Pour la première fois, la maîtrise lui échappe. Il ne se reconnaît pas. Impasse et petits pas. Dernière mascarade. Autour de lui, un monde s’effondre. Sa femme est partie.

Michèle Faivre-Jussiaux, écrivain et psychanalyste, de Franche-Comté, a cherché tout au long de ses nombreux ouvrages à rendre compte de ce qui permet à un sujet d’accéder à  sa parole singulière.
C’est à son livre « La voie du loup, Abord clinique de la question du père dans la psychose » (Ed. Point Hors Lignes), que le premier Prix Œdipe a été attribué en 1991. Joël Dor avait écrit un texte élogieux pour le soutenir. La publication du texte posthume de  « Barbe bleue ou le maître des réjouissances » a été  possible grâce à la collaboration de ses proches amies et à l’accueil enthousiaste de Gérard Albisson et Jean-Michel Gentizon, pour les Editions des Crépuscules.

L’écriture du présent ouvrage a été achevé à Berne, à la veille de la mort de l’auteur, par ces dernières lignes :
« Il est temps de sortir des forêts hantées, du château labyrinthique
dont chacun s’est forgé sa propre clé.
Brisé le cercle de l’énigme.
Et les mots ont tracé le passage.
Cortège d’ombres lentement s’étirant, cherchant l’issue.
Là où s’achève le récit. »

Annik Bianchini

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