Malvine Zalcberg Ce que l’amour fait d’elle

Odile Jacob, 2013, 235 pages, 22,90€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Psychanalyste, membre du Cercle Freudien et du Salon Œdipe, journaliste, Annik Bianchini Depeint collabore à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Elle a enseigné au Centre culturel français de Rome. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, dans le domaine de la psychanalyse et des sciences humaines.

« Le même mot amour signifie des choses différentes pour l’homme et pour la femme. » Nietzsche, le Gai Savoir

« Que veut la femme ? Pourquoi Freud s’est-il posé cette question qui traverse son œuvre de bout en bout, s’il en avait apparemment déjà trouvé la réponse : elle veut être aimée ? », s’interroge l’auteur. Le présent ouvrage propose une analyse, développée au regard de la théorie freudienne, du sentiment amoureux et de la place de la femme dans sa relation aux hommes. Car si ce livre parle d’amour, comme le font les amoureux et les poètes, il analyse aussi l’amour en tant que phénomène sociologique, philosophique, religieux, et surtout psychanalytique.  Souligner l’importance de l’amour, pour une femme, dans la propre constitution de sa subjectivité, et ses répercutions dans les relations amoureuses qu’elle vient à établir avec un homme, tel est le propos de ce livre.

Malvine Zalcberg est psychologue, psychanalyste, docteur en psychanalyse. Elle vit à Rio de Janeiro, au Brésil. Elle est l’auteur de  Qu’est-ce qu’une fille attend de sa mère ? (2010).

Les hommes désirent ce qu’ils aiment. Les femmes aiment ce qu’elles désirent. C’est là une façon d’exprimer l’impossible rencontre des sexes qui en résulte, et dont l’amour courtois aura été l’une des premières manifestations. L’invention de l’érotique amoureuse, au XIIè siècle, crée en effet un espace nouveau. L’amour devient l’expression d’une courtoisie qu’il faut entretenir, une force qui ennoblit, une source de vertu. « Sois courtois avec les dames, parle-leur d’amour », préconise la reine Léonor.  Les déclarations d’amour étaient proférées par les troubadours, illuminés, allègres et délirants, qui n’avaient que le pouvoir des mots, pas celui de réaliser leur amour, lequel, même intensément idéalisé, restait impossible. Cette nouvelle civilisation, en chantant le fin’amor, l’amour précieux,  a beaucoup fait pour adoucir les mœurs dans le domaine des relations entre hommes et femmes.  Mais cela ne concernait pas la question intime des rapports amoureux. Jacques Lacan, qui s’est référé souvent à l’amour courtois, y a vu une manière raffinée de suppléer à l’absence de rapport sexuel.

A partir du XVIIe siècle, la question féminine est abordée, et certains hommes, principalement des écrivains, explique l’auteur, se proposent de donner voix à l’expression des affects et des sentiments féminins. L’essor prend de l’ampleur au XVIIIe siècle, et plus encore au XIXe siècle, quand un mouvement d’émancipation des corps et des esprits commence à s’esquisser. Mais c’est véritablement au XXe siècle  que les femmes prennent la parole par et pour elles-mêmes, laissant un espace pour faire entendre la singularité de l’univers féminin.  

L’amour est une question beaucoup plus féminine que masculine. Freud en fait un des axes principaux autour desquels se développe sa théorie de la sexualité féminine. L’histoire de la psychanalyse est en effet intimement liée au lever du voile qui recouvre les liens amoureux.  Dans sa théorie de la sexualité, Freud découvre que le sexe n’est pas un phénomène naturel mais bien le résultat d’un processus de subjectivation qui s’articule avec la constitution de l’inconscient. C’est le processus de subjectivation, la façon dont chacun vit son sexe, qui détermine l’orientation sexuelle du sujet, c’est-à-dire qui se répercute dans la façon dont chacun se voit comme masculin ou féminin. Freud met en valeur que le phallus fait partie de l’existence des femmes aussi bien que de celle des hommes. C’est- à-dire que l’homme et la femme sont des signifiants, chacun des deux sexes se détermine par rapport au phallus symbolique.

« Entre l’homme et l’amour il y a une femme. Entre l’homme et la femme, il y a un monde. Entre l’homme et le monde, il y a un mur », écrit Antoine Tudal, cité par Lacan (Fonction et champ de la parole et du langage). Mais entre l’homme et la femme, il y a le phallus, rappelle l’auteur, cet élément qui revêt la signification de ce que l’être humain désire, c’est-à-dire ce dont il ressent un manque. La femme se présente comme celle qui n’a pas, afin que, dans l’expérience de l’amour,  elle offre son manque à son partenaire, et par cet acte même, va à la rencontre de son désir à lui. Car si le pénis, en tant qu’organe viril existe bien, le phallus,  qui prend appui imaginaire sur lui, n’existe pas en tant que tel.  Il est un semblant. Personne ne l’a vraiment.

L’homme est davantage marqué par le désir que par l’amour, c’est la raison pour laquelle il tend à prendre comme objet d’amour ce manque qu’il y a dans l’autre. On connaît la célèbre formule lacanienne, dans le Séminaire X : « Aimer, c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas. » Dans le chapitre intitulé  La dialectique de l’amour, Malvine Zalcberg observe que la  nature de la « véritable féminité » ne laisse pas d’être énigmatique. « Il y a une Médée en toute femme ». Le film du réalisateur Benoît Jacquot « Villa Amalia », tiré du texte homonyme de Pascal Quignard, met particulièrement en évidence les effets  du ravage que produit sur la figure féminine d’Ann Hiden, incarnée par Isabelle Huppert, l’infidélité de l’homme aimé. La perte de l’amour d’André Gide, rappelle l’auteur,  poussera également sa femme Madeleine à brûler les lettres qui étaient ce qu’il y avait de plus précieux, non seulement pour lui, mais aussi pour elle.

Entre l’objet du désir et la peur de perdre l’amour, des éléments de réponses sont proposés dans cet ouvrage  pour comprendre l’investissement particulier des femmes dans l’amour.  Les deux manières de vivre la relation sexuelle, côté féminin et côté masculin,  s’articulent et se superposent, elles ne se confondent pas, amour et désir ne sont pas forcément liés en raison de la dissymétrie des positions. C’est ce que Jacques Lacan appelle « la comédie des sexes ».

La résolution de la question féminine pour une femme passe donc, comme le souligne Malvine Zalcberg tout au long de ce livre, en grande partie par le désir, la jouissance et les mots d’amour d’un homme et par la répercussion que ces facteurs entraînent dans sa subjectivité. En conséquence, en cultivant l’amour davantage que les hommes, en se positionnant en tant que grandes artisanes d’Eros, ce sont les femmes qui seraient surtout à l’initiative des rencontres possibles entre les sexes.

Annik Bianchini

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