Marie-Laure Susini « Eloge de la corruption » (Les incorruptibles et leurs corrompus)

Editions Fayard, 2008, 285p.

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

 

Marie-Laure Susini l’affirme dans son livre : ce sont les incorruptibles qui sont dangereux. Ceux qui veulent pourchasser le mal. Pour cette psychanalyste (auteur de “L’auteur du crime pervers”, Fayard, 2004), les intègres inquisiteurs et rigoureux purificateurs, les vertueux leaders de folies collectives sont ceux qui embarquent souvent les peuples dans des idéologies totalitaires. “Ce n’est pas la corruption, mais bien la logique de l’incorruptible qu’il faut redouter, et qui laisse le souvenir terrible de tous les hommes qu’on a maltraités, injuriés, honnis, dégradés, exclus et assassinés au nom d’une idéologie de la pureté”, indique-elle. Car c’est de cela qu’il s’agit tout au long de l’ouvrage : les régimes totalitaires ont su faire de la corruption le critère de tri des bons et des mauvais.

L’auteur développe son point de vue à partir de l’étude de trois récits de vie : Robespierre, Thomas More, Saint Paul. En commençant par le premier incorruptible : Marat. Pour analyser ces parcours, elle utilise les concepts et la vision de George Orwell, écrivain complexe dont l’œuvre majeure, 1984, a pu être qualifiée de science-fiction . Elle voit chez Orwell une volonté, un choix, celui de l’épreuve du réel, contre toute tentation de bonne conscience. L’écrivain qu’il est ne sacrifie jamais aux convenances ni aux compromis. Et s’il renonce au salut collectif, auquel s’identifie la société, c’est pour chérir la culpabilité subjective, qui constitue pour lui ce qui reste d’humain en l’individu. Orwell nous enseigne que la liberté de penser s’arrête là où commence le dogme, que nous sommes mortels, imparfaits, agissant dans un monde réel, ressentons sans mécanisme et réfléchissons tous azimuts.

Marie-Laure Susini exprime sur Robespierre : lui-même ne fut qu’un interminable discours. Toujours la même pensée dualiste, et le combat, sans cesse répété, du bien opposé au mal. La voix du surmoi. La vertu contre les vices, la justice contre le crime, le peuple contre les ennemis du peuple, les patriotes contre les étrangers, la vérité contre l’intrigue. Par le mécanisme psychologique de la projection, on est au coeur de la paranoïa.

A cette idée de tri entre les humains est couplée, ici, celle de la perte d’innocence. Car si on croit à l’innocence de l’enfance, on croira aussi aux adultes corrupteurs. Réellement, la mère n’est-elle pas le premier objet sexuel du nouveau-né ? Première incitation à la débauche !”
Dans cet ouvrage sont réhabilités Mirabeau, Adam, la femme, les athées, les parents, les étrangers, et avec eux bien d’autres qui furent accusés de corruption, de tiédeur ou de traîtrise.

Un intéressant essai d’histoire politique, politiquement incorrect, qui, sous l’éclairage de la psychanalyse, aide à explorer les souterrains d’une notion complexe.

Annik Bianchini

 
       

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