Richard Abibon « Les toiles des rêves, Arts, mythes et inconscient »

L'Harmattan, 2009, 387 p., 34,50 €.

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

Dans le présent ouvrage, l’auteur, psychanalyste à Paris, nous parle de l’objet de ses séminaires, intitulés “Tisser la toile du rêve avec les fils du signifiant”: ce sont ses rêves, sur lesquels il s’appuie depuis toujours, et la peinture, sur laquelle il s’appuie depuis quelques années. Et de même qu’il interroge la mise en images du rêve, il examine l’activité du peintre et son rapport à son œuvre.

Richard Abibon n’est pas historien d’art. Mais il aime regarder les peintures. Parfois, à la contemplation d’une œuvre, il lui vient des associations, comme on dit en psychanalyse, des associations d’idées. Disons qu’il lit la peinture d’une certaine façon, et qu’il lui plaît d’analyser sa lecture: “Je soutiens que les peintres disent quelque chose de l’inconscient. Mais en même temps, je souligne que peu m’importe s’ils le disent ou pas, car c’est ma lecture qui le dit. Je me sers d’ailleurs de ce référentiel pour montrer sans cesse ceci: ce qu’ils jettent sur la toile, je le retrouve dans mes rêves”

Notons cette référence autour du tableau de Carlo Crivelli, la “Vierge à l’hirondelle” (1492), je cite: “Mais alors, avec le concombre et l’hirondelle, cette structure architecturale voilée, qui se tient derrière elle, ne représente-t-elle pas le mystère du sexe féminin comme tel? Un trou entre les deux colonnes comme entre les deux jambes, avec une référence obligée au masculin, le concombre et l’hirondelle, cette dernière venant souligner le caractère possible de la castration: un oiseau comme un insecte, comme un phallus, ça peut s’envoler”.

Richard Abibon prend régulièrement la précaution de nous avertir que c’est toujours lui qui parle. Entre les rêves, les mythes et l’art, et spécialement la peinture, n’y a-t-il pas tissage d’une même structure, s’interroge l’auteur. Celle-ci pourrait être la mise en rapport de ce qu’il y a de plus particulier, voire d’intime, avec ce qu’il y a de plus universel, qui se retrouve aussi bien dans les rêves que dans les plus grandes œuvres picturales mythiques: l’origine, la mort, la castration, l’engendrement, la différence des sexes, la scène primitive… Partant de l’inconscient, celui auquel l’auteur a accès dans ses rêves, celui qui façonne le transfert des cures, il tente de faire le lien avec quelques grandes œuvres de la peinture. Et puis, il dégage de ces concordances une structure qui s’écrit avec de la mathématique, et plus particulièrement de la topologie.

Pourquoi Richard Abibon, et beaucoup de psychanalystes rêvent-ils de leurs analysants? Dans ce livre, l’auteur affirme la position que l’on trouve dans “Le rêve de l’analyste” (Editions Le Manuscrit, 2008), son précédent ouvrage. A travers ses rêves, Richard Abibon analyse sa relation inconsciente à certains de ses analysants, se laissant ainsi l’analysant de sa pratique d’analyste. Il ne parle donc pas de l’analysant mais de la lecture qu’il fait de son transfert à l’analysant. Ici, pas de vignette clinique. Pas de discours direct des analysants. Il ne s’agit que du singulier d’une parole.

Les références théoriques de l’auteur sont lacaniennes et topologiques. Richard Abibon s’y consacre tout au long de l’ouvrage par des morceaux de topologie qui viennent cristalliser son discours singulier, et notamment dans le dernier chapitre: “La topologie, études des lieux, un des derniers avatars des mathématiques, nous donne quelques moyens de décrire et d’étudier ces notions qui paraissent triviales, comme le bord, la surface ou le trou. La bande de Mœbius sera donc notre principal outil pour cette étude, car elle présentifie ce que peut être un bord dans toute son ambiguïté”.

Pour l’auteur, le sujet naît de son inscription dans le langage. Car pour lui, il n’y a qu’une seule structure, et en cela il suit exactement Lacan, qui est celle du langage. Je cite: “Nous avons vu la façon dont le savoir d’Œdipe a mené sa vie à la catastrophe. Ce savoir pêchait par son universalité, au détriment de la particularité nécessaire à chacun pour trouver sa propre modalité d’entrée dans cet universel qui n’est autre que la structure du langage. Œdipe et castration sont les modalités que l’on retrouve partout, dans l’histoire des grands de ce monde comme dans celle de tout un chacun; dans les dires de ceux qui peuvent être dits à un moment psychotique, comme dans les dires de tous les autres; dans les rêves typiques de Freud comme dans tout rêve quel qu’il soit”.

Une question, cependant, reste en suspens, à la lecture de ce livre riche et complexe: qu’en est-il vraiment du fil rouge qui articule rêves, peinture et topologie?

Annik Bianchini

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