Richard Abibon « Le rêve de l’analyste » Essai

Editions Le Manuscrit, septembre 2008, 407p. Livre disponible sur www.manuscrit.com

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

 

Le rêve est la voie royale d’accès à l’inconscient. C’est la réalisation d’un désir. Le rêve est une sorte de message codé que nous envoie l’inconscient. Pour chacun, l’expérience du rêve est particulière, intime, étrange. On ne peut y accéder qu’à la suite d’un long travail de décodage. Le code utilisé par le rêve étant particulier à chaque rêveur, mais aussi à chaque rêve de chaque rêveur. Il n’y a donc pas de clé des songes. Le travail fait sur un rêve permet que d’autres surgissent.

“Dès que j’ai commencé d’exercer la psychanalyse, j’ai été surpris de me rendre compte que je rêvais de mes analysants. Je fréquentais les écoles analytiques depuis bien longtemps déjà, et je n’avais jamais entendu parler d’une telle expérience. Au point que mes premières lectures de la Traumdeutung ne m’avaient pas fait noter cette occurrence chez Freud lui-même. Mais personne, il me semble, n’avait lu ainsi l’injection faite à Irma.”, indique Richard Abibon.

Dans cet essai, Richard Abibon analyse, à travers ses rêves, sa relation inconsciente à quelques-uns de ses analysants, devenant ainsi l’analysant de sa pratique d’analyste. Si ce domaine n’a pas beaucoup été étudié, c’est cependant Freud lui-même, le père de la psychanalyse, qui en a ouvert la voie. Freud propose, en effet, comme exemple de référence, un des rêves qu’il fait, dans la nuit du 23 au 24 juillet 1895. Le contexte est celui de la cure d’une jeune hystérique, à qui il donne le nom d’Irma. En se basant sur l’expérience de son analyse personnelle, qu’il fit, sans le secours d’un analyste, “il y avait exploré sans doute pour la première fois au monde, ce que lui disait son inconscient. Dans la Traumdentung, dès le premier rêve qu’il nous raconte, il met en jeu sa relation à l’une de ses patientes, Irma. Le rapport qui s’y joue avec sa propre femme, la question du mystère de la féminité et de la jalousie, tout y est”.

Docteur en psychologie, psychanalyste, Richard Abibon exerce à Paris. Parmi ses différentes publications, il a notamment édité : « De l’autisme » Topologie du transfert dans l’exercice de la psychanalsye, EFEditions. Sous le pseudonyme de Léon Parkeur « La bouteille à l’ancre » (roman) EFEditions.

En mettant en scène ses analysants, Estèle, Pierre, Aldjia, répartis sur trois chapitres, l’auteur parle avant tout de sa pratique, qui construit la théorie, et non des analysants. Voici le récit du premier rêve qu’il fit de Pierre, six mois après sa rencontre avec lui : “J’assiste à un repas entre amis à Besançon. Un couple soutient l’idée qu’il y a des rêves sans sujets. Ils veulent donner un exemple : toi…non…toi…moi, je me retiens de dire mon argument, qu’il y en a toujours un. Levant la tête, j’aperçois les lueurs de ce que je pense être un feu d’artifice… Je dis que j’ai loupé le début de l’argumentation. Pourraient-ils recommencer ? Je suis à nouveau distrait par quelque chose. Je leur demande de recommencer. Là, ils partent fâchés. Je les accompagne vers la porte… Il est en colère. Je lui dit : mais non, Pierre. On sort. Un peu plus loin, un orchestre symphonique joue sur la citadelle. J’ai eu l’attention attirée par une vibration de l’air ; c’est un orgue. Je veux me rapprocher, et je monte sur un sentier pierreux. Derrière moi, Pierre, l’air haineux, me jette de très grosses pierres munies d’arêtes coupantes. J’en évite une ou deux, puis, je me réveille.” La question qui se pose ici est de faire la part entre ce que ce rêve a réveillé de sentiments purement personnels chez l’auteur (son agressivité inconsciente), et de ce qui a partie liée à son transfert à Pierre. Il était donc nécessaire de faire une analyse complète de ce rêve, non pas dans l’idée de rectifier la situation par un acte conscient de volonté, mais seulement parce que tout ce qui se met en paroles contribue à modifier les modes relationnels.

“Lorsque je rêve de mes analysants”, remarque Richard Abibon : “Je résiste moins, j’entends mieux, je permets à l’autre de mieux se comprendre.” Certains psychanalystes, après avoir entendu son séminaire, lui ont déclaré leur surprise d’avoir eu des rêves de ce type. Un résistance était tombée.

Ce qui est en question dans cet ouvrage n’est pas la justesse de l’interprétation. L’analysant ne prenant pas la place d’objet dans le discours. L’autre n’est que ce que sa mémoire en a retenu. Il est l’autre de son discours, pas l’autre objectif de la réalité : “Je raconte ce que j’ai pu retenir de ce que j’ai cru entendre de ce qu’ils ont cru me dire”, observe l’auteur. La lecture de cet ouvrage novateur, écrit dans un langage clair et sobre, poussera le lecteur à s’interroger sur lui-même et sur sa pratique d’analyste.

Annik Bianchini

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