René Major « L’homme sans particularités »

Editions Circé, “L’art de ne pas” Collection dirigée par Henri-Pierre Jeudy mars 2008, 126p.

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

 

“Pourquoi me demandes-tu ce que tu ne veux pas que je te donne ? – Je demande des choses sans savoir ce que je veux vraiment. Si tu réponds à ma demande, je saurai que ce n’est pas ce que je désire. – Il faut donc que je devine le désir que recouvre ta demande. Mais je ne suis pas sûr que cette demande s’adresse à moi”.
Répondre où ne pas répondre à la demande, telle est la question qui se pose, aussi bien à l’amoureuse et à l’amoureux qu’à la femme ou à l’homme politique. La privation de réponse pouvant relancer la question. “L’art de ne pas est un art de”.

Dans le présent ouvrage, le psychanalyste René Major se réfère à Melville et sa nouvelle “Bartleby le scribe” qui, à chaque fois que son patron l’associe à une autre tâche, répond invariablement : “Je préférerais ne pas” (Il would prefer not to). Plutôt qu’une stratégie de l’évitement, “l’art de ne pas” est ici une manière d’éprouver la puissance.
René Major propose d’abord dans “L’homme sans particularités” une analyse des discours électoraux des leaders politiques, et notamment certains aspects de la dernière présidentielle française, en révélant la mise en œuvre publique de la demande dans une démocratie en sursis. A partir de nombreuses références culturelles (Freud et Lacan, mais aussi Sénèque, Cicéron, Machiavel, Nietzsche, Céline ou Leo Strauss), l’auteur explique qu’un homme nouveau apparaît, dont le rôle est devenu impersonnel, qui atteint l’homme de pouvoir lui-même. Robert Musil et Herman Melville en avaient déjà dessiné les contours. C’est non seulement l’homme sans qualités, mais l’homme sans particularités, car il n’a pas plus de substance que de qualités.

Dans un régime démocratique, les leaders politiques ont l’art de paraître répondre à toutes les demandes telles qu’elles sont formulées, sans répondre pour autant à la véritable attente que recouvrent ces demandes. L’élu essaie de donner ce qu’il n’a pas au citoyen, qui ne peut que lui répondre “ce n’est pas ce que je veux”. Pour le psychanalyste, s’il ne refuse pas, il préfère, en revanche, ne pas répondre à cette demande comme telle et cherche plutôt à relancer la question pour comprendre le sens de la demande. Tout en sachant que dans toute demande, il y a l’au-delà de ce qui est demandé.

La personnalisation des débats dans la sphère politique, la mise en scène de la vie privée, le pragmatisme politicien qui déstructure le politique, la question du pouvoir qui hante tout rapport à l’autre, le réductionnisme génétique, l’obsession d’une volonté de transparence qui traque tout secret (pour en produire davantage) sont autant de thèmes traités dans cet ouvrage.

Annik Bianchini

 
       

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