Simone Korff-Sausse « Eloge des pères »

Hachette Littératures (Coll. Psycho), 2009, 157 p., 13,50€

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

On dit qu’il n’y a plus de pères. “Or, il y en  a”, explique dans son livre Simone Korff Sausse. “Les hommes d’aujourd’hui renoncent au modèle traditionnel du pater familias, qui est définitivement caduque. Ils ne peuvent plus endosser ce rôle, d’autant plus que dans le contexte actuel, ce père-là n’est plus à sa place. Et surtout, ils n’en  veulent plus. Par conséquent, ils inventent de nouvelles modalités d’être père, où ils sont plus présents, plus proches de leur enfant dès la naissance. Mais alors, on leur reproche de ne plus correspondre à l’image traditionnelle du père, on les traite de manière dévalorisante de “mamans”. Exit les paters familias. Place aux papas nouvelle génération.

De quelle façon les pères actuels occupent-ils leur place? Comment sont-ils perçus? La répartition des rôles a-t-elle changé? Le père dérange-t-il? Pourquoi la société a-t-elle tendance à le nier et à tenir compte essentiellement de la mère? Telles  sont les questions que pose l’auteur.

Simone Korff-Sausse est psychanalyste et maître de conférence à l’université Paris 7 (Denis Diderot). Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont “d’Œdipe à Frankenstein”, “Figures du handicap” (Desclée de Brouwer, 2000), “Dialogue avec mon psychanalyste” (pluriel, 2005) et “Plaidoyer pour l’enfant-roi” (Hachette Littératures, 2006).

Quand on parle du père, on dit qu’il est absent, manquant, inconsistant. Il démissionne, il prend la fuite. Il est toujours ailleurs, jamais là où on l’attend. On affirme aussi depuis longtemps que la mère est toujours sûre alors que le père ne l’est pas, comme l’indique l’adage : “Mater certissima, Pater semper incertus”. Sur l’origine paternelle pèse un doute. Cela rendrait sa fonction purement symbolique. Selon Freud, nous explique Simone Korff Sausse, la question de la paternité se pose au moment du passage de l’ordre matriarcal à l’ordre patriarcal. “Mais ce retournement de la mère au père caractérise en outre une victoire de la spiritualité sur la sensorialité, donc un progrès du culturel, car la maternité est démontrée par le témoignage des sens, cependant que la paternité est une hypothèse admise construite sur une conclusion et une présupposition” (L’Homme Moïse et la Religion monothéïste).

Les pères ne sont pas un mythe. Ils  sont, à l’heure actuelle, plus proche de leurs enfants que leurs propres pères, et de manière bien plus précoce et plus sensorielle. Ils n’hésitent pas à donner le biberon, changer les couches… Ils se préoccupent de leur bien-être, s’impliquent dans leur éducation, préparent leur avenir. On dit qu’ils jouent les mamans. Or, Freud, indique  Simone Korff-Sausse. Nous donnons une des clés pour comprendre pourquoi les pères actuels dérangent tant, “Ils remettent en question le modèle du père représentant l’abstraction, privilège des hommes, et s’insèrent dans le monde de la sensorialité qui devait rester l’apanage des femmes. On voit ici comment les nouvelles modalités d’être père bousculent complètement la hiérarchie des valeurs. Les pères n’hésitent plus à intégrer les éléments féminins et corporels, habituellement considérés  comme inférieurs par rapport aux éléments masculins et intellectuels”.

La répartition des rôles a changé.  Les femmes ont investi la sphère professionnelle et les hommes veulent être des parents actifs et responsables. Si le père change, la mère change aussi. Et c’est parce que le statut des femmes a radicalement évolué que la place du père s’est modifiée. Les hommes se veulent ou se croient libres. Libres d’inventer des modèles de paternité tout à fait inédits, loin des traditions et des conventions. Mais la société continue à faire comme si l’éducation des enfants était essentiellement l’affaire des femmes, et elle n’accorde pas aux hommes la place qu’ils méritent.

Serions-nous à l’aube d’une ère nouvelle, s’interroge l’auteur, qui viendrait remettre  en cause ce que l’anthropologue Françoise Héritier décrit comme un phénomène universel, à savoir que dans toutes les sociétés, le masculin domine toujours le féminin? Si tel était le cas, ce changement en profondeur pourrait révolutionner non seulement nos habitudes familiales mais aussi les fondements mêmes de la société.

Annik Bianchini

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