Paul-Laurent ASSOUN « Le dèmon de midi »

Editions de l’Olivier, “penser/rêver” Collection dirigée par Michel Gribinski avril 2008, 144p.

Cabinet de lecture : Annik Bianchini nous donne son avis

Journaliste, Annik Bianchini Depeint a enseigné au Centre culturel français de Rome. Elle collabore régulièrement à “Actualité en France”, la revue d’information du ministère des Affaires étrangères et européennes. Ses publications sont orientées, par priorité, sur les auteurs et les événements alliant connaissance et recherche, notamment dans le domaine des sciences humaines et de la psychanalyse.

 

Peur de vieillir, mélancolie, angoisse de ne plus séduire, le démon de midi est une crise existentielle, une prise de conscience sur sa vie et de ce que l’on en fait. On l’appelle aussi la crise du milieu de vie. Les hommes voient fléchir leur libido, les femmes se sentent moins désirables.

Le présent ouvrage traite de ce phénomène saisi par la psychanalyse : que se passe-t-il pour le sujet, en ce moment d’étourdissement et de vérité subjective ? Moment de réveil et de panique où il réalise que cette vie-là, qui est la sienne, dont il était jusqu’alors le propriétaire distrait, il l’a pour de vrai. Et il n’y aura pas de rattrapage s’il manque à l’assumer. Le déclenchement s’opère sous le signe de ce que Nietzsche appelle “seconde jeunesse”. Car c’est au moment où la jeunesse s’éloigne qu’elle tend à s’ériger en objet de désir pour celui à qui elle se dérobe. Paul-Laurent Assoun propose, dans cet essai, une étude du milieu de la vie, destinée à cerner ce “démon de midi”, apparu dans les textes bibliques. Le dieu Pan figure en effet en tête de ce monde de divinités de midi dont l’enquête mythologique et anthropologique révèle l’importance et trouve son écho dans l’écriture littéraire. Paul Laurent Assoun est psychanalyste, professeur à l’université Paris VII et responsable de la formation doctorale “Cliniques du corps et anthropologie psychanalytique”. Ses publications portent sur l’épistémologie freudienne, la clinique analytique, la relation entre psychanalyse et littérature et l’apport de l’inconscient au lien social. “Le démon de midi” s’inscrit dans le prolongement du “Couple inconscient”.
De quelle vérité inconsciente le démon est-il porteur ? La signification fondamentale de ce moment est, selon l’auteur, l’heure de vérité où le sujet se trouve directement aux prises avec la temporalité du désir et de la mort. Freud, dans “Considérations actuelles sur la guerre et la mort”, évoque le fait que le rapport à la mort agit fortement sur notre vie : “Notre vie s’appauvrit, elle perd de son intérêt dès l’instant où, dans les jeux de la vie, on n’a pas le droit de risquer la mise suprême, c’est-à-dire la vie elle-même”. Les renoncements et les exclusions entraînant un rétrécissement et une mutilation du vivant. L’enjeu fondamental du démon de midi est bien le rapport du désir au temps et à la mort : rencontre du sujet du réel même de son désir, confronté aux exigences de la mort, qui donne sa pleine portée à la prise du désir dans le temps. Il se distingue du Carpe Diem (conserve le jour présent, en te fiant le moins possible au lendemain). Car il devient tout à coup urgent pour le sujet de désirer.
L’heure de midi coïncide avec une série de manifestations. C’est l’heure préférée des Néréïdes. Celle où surgissent, de nulle part, invisibles, les Sirènes. C’est aussi l’heure de la catastrophe. Les météorologistes antiques localisaient les tremblements de terre à midi. On sait que, sur fond du silence de plomb de midi, quand il n’y a pas un souffle de vent, se détachent les voix des cigales. Et c’est le moment où le soleil, quand il est au plus haut, au comble de son immobilité, s’endort.
Le démon de midi sélectionne-t-il ses cibles de façon à ce qu’elles soient exclusivement masculines ? Autrement dit, tout cela n’arrive-t-il qu’aux hommes, s’interroge l’auteur ? “Le démon de midi est bien électivement une passion de la virilité. Une symétrie conventionnelle, de style paritaire, ne nous paraît guère utile et comme d’habitude diluerait la question sous couleur de respecter la complémentarité », répond Paul-Laurent Assoun. Quelques pages sont consacrées au “démon de midi au féminin”. De Balzac à Pierre Loüys en passant par Tchekhov et Thomas Hardy, le parcours du livre mène au thème proustien des « jeunes filles en fleur », avec son répondant féminin (Vingt quatre heures de la vie d’une femme, de Stefan Zweig).
La passion de mi-vie reste, selon l’auteur, un homme d’âge mûr, épris d’une jeune femme au point de perdre le nord et de changer, d’un moment à l’autre, le cap de sa vie. Pour la mettre en conformité avec son désir. Au douzième coup de midi.

Annik Bianchini

 
       

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