L’Invité : mardi 13 mars 2007

Alice CHERKI pour son livre "La frontière invisible" Violences de l'immigration Editions Elema Présentation Delia Kohen

 

« La frontière invisible » violence de l’immigration est un livre important qui témoigne d’un parcours, celui d’une femme psychanalyste avec ses passions, ses indignations et ses engagements.

Alice Cherki est une combattante. Les bruits de la rue, les bouleversements du monde, le social et le politique sont intimement noués dans sa clinique. Le sujet tel qu’elle nous en parle se tient dans le maillage de la grande Histoire et de la petite histoire. Son propos est solidement articulé et témoigne d’un véritable savoir faire avec la chose freudienne.

« Actuel » et « actualité » désigne bien notre Auteur, Alice Cherki. Membre de « psychanalyse Actuelle »- comment penser après Auschwitz, la Shoah et les effets de la guerre sur le sujet et la langue sont des questions qu’avec ses amis, ils n’ont pas cessé de nous faire entendre. La question coloniale et ses conséquences ont été également un sujet de préoccupation constante pour Alice Cherki. Nous l’avions déjà reçu en 2000 pour « Franz Fanon », témoignage sur l’homme et l’œuvre. Récemment elle a participé à la création d’une Association « Le Diwan Occidental Oriental » et la transmission de la psychanalyse dans le monde arabe.

Au centre du livre qui nous occupe, Alice Cherki se penche sur ceux qu’elle désigne, « les enfants de l’actuel » de la guerre et des catastrophes, enfants pour la plupart nés et élevés en France, africains et surtout maghrébins dont la souffrance et les symptômes ne relèvent ni de la psychose ni de la perversion. Ils témoignent d’une mémoire inconsciente en panne de représentation, dans laquelle le refoulement n’a pas pu faire son œuvre. La mémoire des origines reste clivée, comme morte ou déniée faute de trouver dans le social des références symboliques auxquelles s’accorder. »L’espace publique échoue à s’offrir comme espace de négociation, manque à sa fonction de lieu « métaphorisateur » écrit Alice Cherki.

Contrairement à d’autres auteurs qui épinglent ces patients du côté d’une nouvelle clinique, Alice Cherki cherche à approfondir la clinique du psychanalyste ou celui du transfert dans ces cures. Elle insiste dans la filiation de Ferenczi sur l’analyse de l’analyste et ce savoir du désert auquel l’analyste a eu à se confronter. Le désert comme elle nous le rappelle est très peuplé.

« …ouvrir une zone de l’insensé en prêtant attention à ce qui excède la dimension strictement symbolique de la langue, qu’il s’agisse d’agencement ou de contenus représentatifs.
Cela suppose d’affronter des zones désertiques et d’être à l’écoute, comme dans le désert ».Etre dans cette écoute-là, c’est accepter de se défaire d’un certain recours à l’image spéculaire, accepter d’être acéphale. D’être une voix, certes, mais aussi un œil qui deviendra regard, une main parfois ».p 41

Après une première partie où elle nous livre sa lecture du malaise actuel et des effets de l’exclusion, elle nous propose quelques chapitres très riches et très denses. Elle se risque à quelques « utopies » en s’appuyant sur la question du féminin et la possibilité de « l’heteros », le retour du religieux dans lequel elle perçoit » une faillite du collectif pour maintenir un lieu tiers, lieu d’ancrage symbolique ». Elle soutien avec beaucoup de pertinences les risques que fait courir au collectif une logique binaire.

Un fil rouge parcourt aussi ce livre, l’amour de l’Algérie, terre natale d’Alice Cherki. Que lui en reste-il ? Finit-on jamais de subjectiver son histoire ?
« Pourquoi cette Algérie-là, aujourd’hui, douce violente Algérie, qui revient ? Ne pas lui dire que c’est pareil, et justement ce n’est pas pareil. Pourtant la plume écrit spontanément « qui revient »ce qui reste, rien qu’un peu de mer verte. Non, Algérie encore, qui fait effraction. Et personne ne peut dire ce qui reste, une fois pour toutes ».

Delia Kohen

   
 
   
 
   
 
   
 

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