Angélique Christaki La musique barbare de l’hallucination

Editions Hermann Psychanalyse, 2016

Jean-Jacques Chapoutot,
Psychanalyste, psychodramatiste au Centre du Parc de Saint-Cloud, et adherent à Espace analytique.

 

 

Le livre d’Angélique Christaki est le fruit d’un travail de recherche très exigeant. Exigeant pour l’auteure qui, de la première à la dernière page, nous tient dans une analyse très serrée de ce à quoi l’hallucination renvoie, tant dans le symptôme que dans le travail de la cure et dans le lien social. Exigeant pour le lecteur qui va trouver dans cet ouvrage non seulement une explicitation aboutie du phénomène de l’hallucination, tant en psychopathologie qu’en psychanalyse, mais aussi nombre de références à des textes importants que le propos appelle à revisiter.

A la lecture de ce livre, nous suivons un chemin tracé avec rigueur sur un tapis au tissage serré, de surprise en surprise, conduits par une écriture dont la musicalité et la précision nous emportent, sans échappatoire possible, au cœur des enjeux de la relation transférentielle vers la découverte de l’inconscient.

Dans « Constructions dans l’analyse », Freud a insisté sur le caractère de l’hallucination, comme le retour d’un évènement oublié des premières années, transformé et déplacé comme dans le travail du rêve, porteur de cette part de vérité que le refoulement nous masque. Tirant le fil de cette analogie entre l’hallucination et le rêve, Angélique Christaki cherche à débusquer ce qui se donne à entendre de l’inscription dans le corps de la langue maternelle, porteuse à la fois d’étrange et de transmission.

Le barbare c’est l’étranger qui ne peut parler la langue de l’accueillant qu’avec l’accent de son origine énigmatique.

Avec le bref extrait clinique de l’enfant Kylian, l’auteure met en en scène le travail de levée du malentendu révélé par l’écart des langues maternelles de l’enfant et de l’analyste, par l’intermédiaire de l’écriture en langue tierce, travail qui a permis la séparation d’avec l’empreinte du traumatisme historique.

Dans le cas de Juliette, qui se présente comme sujette à des hallucinations multi sensorielles, l’analyse révèle le poids d’une injonction surmoïque transmise entre trois générations, qui fait la fillette porteuse de traces figées relatives à l’irruption du trauma maternel, traces cependant susceptibles d’être élaborées. Ici, le symptôme de l’enfant prend fonction de transitivité en réveillant un point de sidération chez la mère, dont le travail de remémoration permettra la disparition du symptôme de la fille.

Après ces deux vignettes cliniques, on en souhaiterait d’autres tant la démonstration nous éclaire. Mais Angélique Christaki a aussi à nous emmener sur des hauteurs plus arides où il s’agit de traiter du mode hallucinatoire et de l’articulation entre la musique de la langue et la poétique du dire, pour nous faire approcher l’instant où l’on touche à l’ombilic du rêve. Quelle est donc en effet la question que pose le rêve à l’analyse ? Comment faire avec l’intime barbarie constitutive de l’être parlant qui résonne dans la langue et peut aller jusqu’à la destructivité de soi et de l’autre ? On noue ici intime et lien social, et Angélique Christaki nous emmène aux origines barbares de la langue grecque pour nous faire toucher la fonction commémorative de la parole et comment il faut de la pensée pour maintenir le lien social. Cette conclusion politique est une surprise de plus, bienvenue, dans un livre qui n’en est pas avare.

Jean-Jacques Chapoutot

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