Anouchka d’Anna Nelly Arcan, la Putain Lacanienne

Le continent noir de la mélancolie Editions des crépuscules, 2021

Fabienne Ankaoua, psychanalyste, dramaturge,

Membre fondateur d’Instance et membre du Cercle Freudien.
Auteur d’une thèse, Le tragique de l’être, de la faute au pardon entre Lévinas et Lacan.
Art et psychanalyse, Janus à 2 têtes? Revue Insistance n° 9, Septembre 2014, Eres.

« J’ai mal à ma mère », ou plutôt « j’ai mâle àma mère », pourrait résumer toute l’oeuvre de Nelly Arcan.
En effet, coincée entre une mère définie comme larve, collée à son lit et un père trompeur mais non pas moins moral, du regard duquel elle est absente, elle ne trouva d’autre issue que le sexe, territoire qu’elle arpentera jusqu’à se dissoudre et disparaître de ce monde, faisant le constat, que les femmes étaient enfermées dans une « burqa de chair, que la femme occidentale est un sexe derrière lequel elle disparaît, corps sculpté, travaillé pour la captation du désir masculin. »

Fille de personne, exilée de la parole, se reniant elle-même, elle attendait infiniment, indéfiniment devant la porte fermée de sa mère. Elle ne trouvait refuge que dans l’écriture, romanesque et psychanalytique. Des romans où la putain était à l’oeuvre, livrée à l’homme pétrie par ses mains et aspergée de son sperme, jusqu’au mémoire sur Schreber et son coït divin, il n’y a qu’un pas.

Chienne, belle et blonde, élève brillante, jamais vulgaire, elle se réfugie dans son corps. Ce corps qu’elle exhibe, anorexique, désirable, étranger à elle-même, est le seul à ne pas la trahir.
L’écriture exutoire, met en scène cette Nelly, double d’Isabelle, fabriquée pour être vue, entendue, lue, reconnue par les médias qui n’hésiteront pas à l’assassiner publiquement. Elle se voulait écrivain, on la désignera seulement comme putain. La
schtroumpfette, comme elle se nomme est à terre et ne se relèvera pas.

« Une traversée sauvage de l’image (…) l’identification absolue du sujet à ce à quoi il se réduit pouvant faire passer celui-ci dans une précipitation suicide », au sens où nous l’a enseigné Lacan dans le séminaire L’Angoisse, tel fut le destin de Nelly ne pouvant échapper à sa honte.
Trop de haine en elle, trop de détestation de sa mère  -« amatride  », selon le très beau terme forgé par François Perrier- auront raison d’elle.
La mauvaise mère introjectée, barrant l’accès à l’amour et à la vie, Nelly n’eut d’autre issue que de se faire disparaître pour protéger sa mère.
« Ma mère est une larve,je suis une larve », répéta-t-elle, séance après séance, pointant avec justesse cette impossible séparation mère-fille, cet impossible meurtre symbolique. Être l’objet de jouissance de l’Autre, jouir à tout prix. Être là,  putain de sa mère ou rien… Tel fut le trajet de celle qui ne se vécut que comme « fente, orifice à pénétrer »…même pas un corps.

C’est ainsi qu’Anouchka d’Anna analyse avec beaucoup de finesse  ce ravage.
Elle est  elle-même peintre, écrivaine, on lui doit  déjà un très beau portrait d’Unica Zurn, autre artiste suicidée. Puisant dans son expérience de femme, de fille, d’analysante, de lectrice, d’écrivaine, aussi de « folle » et de « putain », au sens où le définit Nelly Arcan, notre auteure arrive au travers des écrits laissés par cette suicidée, à nous restituer l’exactitude de son trajet et de sa souffrance.
Elleseprostituait avec facilité car elle a toujours su qu’elle appartenait à d’autres. Sachant son sacrifice et le revendiquant, elle ne sut et ne voulut que s’accrocher aux mots, ceux qu’elle énonçait à son analyste, ceux qu’elle inscrivait sur une page.
Comment survivre à soi-même quand on est devenu sa propre étrangère, « une chaire mûrissante qu’on avait dû confondre à la pouponnière » ayant vécu une débauche de valeurs, Sodome et Gomorrhe !  Percevant la décadence et en faisant partie.

C’est la question que nous pose Anouchka d’Anna, avec une acuité toujours renouvelée. Quand on est fille, « pas-toute-phallique », comment faire avec cette jouissance Autre, hors langage ? Comment s’y repérer quand, comme elle, on tangue comme un Navire night durassien ? Exilée donc d’elle-même et de l’ordre patriarcal fondé sur le primat du phallus, elle cherchera au travers de  sa vie, obscure,  un recours qu’elle ne rencontrera jamais. Tel un nourrisson hilflos comment ne serait-elle pas restée enfermée dans une détresse primordiale ? Impuissante à se constituer comme sujet et à devenir sujet désirant.

Fabienne Ankaoua

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