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LILA ET LA LUMIÉRE DE VERMEER |
Le psychanalyste et l’artiste ont comme seul maître le « réel ». |
Dionysos le deux fois né- en grec-, naquit une première fois de sa mère pour renaître ensuite de son père dont il sortit de la cuisse. Quatre textes nous sont ici proposés. Tous les quatre sont traversés par ce qui constitue un fil conducteur dans l’œuvre d’A.D.W., la pulsion invocante élaborée à partir d’un point de surdité de Freud pour la musique. Dans les deux premiers textes, sont abordées, entre autres, plus particulièrement les questions de la création, de la sublimation et de ce qui est appelé fort élégamment, la » finitude de l’analyse « . Ce livre poursuit un questionnement déjà présent dans les précédents ouvrages d’A.D.W., questionnement adressé à l’homme : « qu’as-tu fait de la parole qui t’a été donnée ? « qui, ici se déploierait ainsi : » que vas-tu faire de cette part de toi insignifiable par la parole ?, que va-t-il advenir de cette part a priori muette ? « Enigme également que constitue pour Lila son symptôme et qui la conduit à interroger sa part subjective dans ce symptôme. Elle peut ainsi reconnaître sa propre division subjective, ce qui vient marquer le début de son analyse, ce qui devrait marquer le début de toute analyse. (à la différence d’une psychothérapie) -le regard des hommes qui lui dit : » tu es belle » qu’elle considère comme une imposture car c’est un regard provoqué uniquement par son image et donc elle entend : » soit belle et tais-toi « Mais, une » bonne » rencontre avec un tableau de Vermeer (Ver-meer ?) et qui plus est » La Laitière » va provoquer chez elle un choc, un retournement pulsionnel. Ce n’est pas elle qui regarde le tableau mais le tableau qui la regarde, le tableau et le peintre à travers le temps. La lumière si particulière du tableau de Vermeer qui ne connaît pas de limite éclaire en elle une » chose » invisible qu’elle ne pensait exister que quand elle chantait, cette part secrète baptisée Lila. Il existait, en elle, un réel qui lie inouï et invisible. Lila étant chanteuse, l’inouï de la musique renvoie A.D.W. à la pulsion invocante. Si la musique se donne dans une instantanéité, une synchronie, comme dans la danse, la parole nécessite un temps de latence, elle est diachronique. Il existe alors une discontinuité de la parole et une continuité de la musique liée à la pulsion invocante qui constitue une trace signifiante non spécularisable et donnée avec la parole. Elle est trace du refoulement originaire qui marque le oui du sujet à la parole. En tant que pulsion, quelle est son origine ? L’enseignement que tire A.D.W. de Lila (le sous-titre pourrait être d’ailleurs » la psychanalyse à l’école des analysants « ) lui permet de développer la notion (ou bien le concept) de visage dont il emprunte l’expression à Emmanuel LEVINAS mais à laquelle il donne un prolongement. Le visage est cette part non-spéculaire de la figure humaine. » Réel qui advient lorsque deux illimités s’étreignent « , quand le grand Autre n’est pas limité par sa surdité et peut voir sans limites. Réel qui comme tout réel excède toute signification. Le nouage borroméen entre inouï et invisible donne un trou central qui détermine ex nihilo l’advenue du sujet, c’est la subjectivation primordiale. Mais la question du visage amène une question éthique. Le visage marqué par la parole ne s’affranchit pas de la parole et de » l’interdire qu’il y a dans le dire « . S’il y a visage, c’est qu’il y a parole donc le visage est soumis aux mêmes conditions, aux mêmes lois (aux mêmes commandements) que la parole, ce qu’Abraham a anticipé en ne prenant pas la parole de Dieu au pied de la lettre. La question, éthique à propos du visage, est posée par A.D.W. à partir de l’exemple des nazis : » après avoir sangloté en écoutant un récital de Chopin, les nazis ne reprenaient-ils pas tranquillement leur travail à la sortie du concert ? « . Mais si les nazis pouvaient sangloter à un concert de Chopin, nous savons qu’ils avaient en horreur l’art contemporain. Il suffit de se rappeler l’épisode de l’exposition de l’art dégénéré à Berlin, organisée par les nazis à partir des plus grands artistes de leur temps et des productions des » fous » faisant partie de la collection de Prinzhorn. La psychanalyse mène à un réel, irréductible langage résultant de la traversée du phantasme. Quel sera le destin de ce réel ? Quel sera le destin du réel produit par le traumatisme ? Or si l’artiste est capable de nous montrer ses œuvres, qu’en est-il pour l’analyste ? Bien sûr, il peut en parler, ce qui n’est pas demandé à l’artiste. Quelle trace, quelle marque peut-il exister dans la langue de l’œuvre d’un psychanalyste ? Mais peut-être que ce livre d’A.D.W. par son existence répond en partie à cette question. Patrick Belamich |
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L’Invité : mardi 14 octobre 2003
Alain DIDIER-WEILL pour son livre "LILA et la lumière de Vermeer" Editions Denoël Présentation par Patrick Belamich