L’Invité : mardi 12 fevrier 2002

Anne DUFOURMANTELLE pour son livre "La Sauvagerie maternelle" Editions Calmann-Lévy Présentation de Charles Sarfati

 

C’est un livre que j’ai lu avec beaucoup de plaisir. Il est composé non pas de trois parties mais de trois plans : un plan théorique, un plan clinique et un plan d’analyses de textes littéraires. J’ai trouvé que c’était une façon originale et nouvelle de rapporter des fragments de cure et aussi de séances. Ainsi, le narrateur ne se confond pas avec l’analyste, des propos peu narcissisants pour l’analyste sont rapportés, y sont rapportés ce que l’analyste a pensé par devers lui et ses affects sont nommés.

Par exemple, page 99 :  » la haine qu’avait ma mère pour moi, vous n’imaginez pas ce que c’est, Pour vous ou envers vous  ? fait l’analyste. Elle hausse les épaules : Pour ou contre c’est pareil, je n’existais pas, c’est tout. Mon père, il me voulait pour lui, et ça, c’était encore plus dangereux, je suis partie à dix-huit ans. Mes parents se sont battus pour avoir la garde. On a été séparés, mon frère et moi. Lui, on l’a envoyé en pension. C’était pourri, pas étonnant que je sois tombée dans l’enfer après. C’est la même chose. Je n’ai pas besoin de vous pour comprendre ça. Y avait-il quelqu’un auprès de qui vous aimiez être, petite ? Ni aimer, ni être, non. Je ne sais pas ce que c’est. On n’a jamais voulu de moi, j’étais en trop.

Et vous, vous ne voulez pas le savoir. Ca ne s’est jamais posé pour moi, la question de l’amour. Foutaises. Sarah, dit l’analyste, il suffit de l’amour d’une seule personne pour que l’enfant s’attache à la vie. Quelquefois même d’un seul acte d’amour. Vous avez voulu naître, et vivre. L’analyste, en prononçant ces mots, a pensé qu’elle s’adressait aussi au bébé de Sarah, et en a éprouvé un mélange de tristesse et d’angoisse qui lui à fait venir les larmes aux yeux  » Ces fragments de séances montrent comment travaille un psychanalyste mais pas de façon explicative. On voit comment une idée, une intuition germe chez l’analyste, comment elle se transforme en construction et comment elle est utilisée. Maintenant venons-en à l’idée centrale qui est condensée dans le titre : La sauvagerie maternelle.

La sauvagerie maternelle ne renvoie pas à une mère assoiffée de sang. Cela renvoie plutôt à un espace préhistorique ou sont emmagasinés les dits des générations antérieures. C’est un temps, hors temps, nécessaire, obligé et l’enfant s’en nourrit. La sauvagerie tient en ceci que la mère fait serment, inconsciemment de garder toujours en elle son enfant. Elle veut garder ce lien inaltéré auquel, elle-même, petite, fut livrée avec sa mère. Ce serment, dites-vous, doit être rompu par l’enfant pour qu’il puisse accéder à son désir. Vous ajoutez que cette rupture aura un prix, parce que l’enfant avait juré fidélité à cette mère d’une part et d’autre part un risque, celui d’abandonner sa mère à la mélancolie.

Ma question est celle-ci : si c’est l’enfant qui doit repousser le désir inconscient de la mère de le garder toujours en elle, ou va-t-il trouver l’appui nécessaire à cette opération ? On pourrait penser au père mais vous ne le citez pas dans votre livre, comme si l’espace du serment échappait à la castration. Dans ce cas clinique  » territoire des morts  » (page 44) un homme vient consulter pour des migraines. L’analyse révèle un lien entre cette souffrance et le fait que sa mère ait été déportée en camp de concentration, quand il était adolescent. Sa mère ne lui avait jamais parlé de l’horreur des camps. Aussi, comment concilier ce qui a été dit de la sauvagerie maternelle, qui est à situer dans un espace temps pré-oedipien et le fait que le choc ait lieu chez un adolescent où la question du père, de l’Oedipe et de la castration est déjà entrée en ligne de compte ?

Charles Sarfati

   

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