Anita Izcovich La femme, la lettre et l’image Essai de psychanalyse

Editions Stilus, collection Résonances, avril 2016

Corinne Philippe,  
Psychanalyste à Tarbes, membre de l’école de psychanalyse des forums du champ lacanien.

C’est à partir de l’énigme de la féminité que Anita Izcovich déplie les concepts de la psychanalyse. Comme elle le signale en introduction de son travail, la psychanalyse est née avec cette question : qu’est-ce qu’une femme ? Que veut-elle ? Freud a laissé ce champ de recherche ouvert, et Anita Izcovich reprend la question à son compte.

Renouvelant les approches classiques, elle dialogue avec des champs connexes qui marquent notre temps : la chirurgie esthétique, la mode et la haute couture, le théâtre et le cinéma, où l’image de la femme se diffracte en de multiples perspectives, de l’objet produit par le discours de la science à l’icône féminine, insigne des idéaux de notre civilisation. L’auteur visite avec précision les concepts élaborés par Jacques Lacan tout en interrogeant les emblèmes de la femme d’aujourd’hui.

Son livre rappelle combien l’apparence du corps est au cœur de la subjectivité contemporaine. Les pratiques d’ornement et d’embellissement du corps se sont généralisées et les femmes y sont souvent plus intéressées que les hommes. Le culte du corps a ses fidèles, parfois fanatisées par la science qui leur promet d’accorder leur image à leur idéal – autant dire : à l’idéal de l’Autre.

En contrepoint, Anita Izcovich confirme la psychanalyse comme praxis singulière et non réglée par un discours normatif et des impératifs qu’il commande. La psychanalyse n’engage pas le sujet à se régler sur l’idéal mais à prendre acte de ses déterminations inconscientes. C’est à partir de ces déterminations qu’Anita Izcovich cerne le rapport du sujet de l’inconscient à la lettre et à l’image.

Là où Lacan démontre l’impossibilité logique de définir la femme par le signifiant, le pouvoir de l’image en soutiendra-t-il la gageure ? A l’appui de la théorie analytique et de la rigueur clinique, Anita Izcovich montre que l’image échoue tout aussi bien à ce projet. Dans l’image qui la préoccupe si souvent, la femme rencontre l’élément manquant qui l’insatisfait ou l’angoisse. L’image est toujours étrangère au sujet et ne répond pas à sa quête de complétude.

La faille commune du signifiant à tout dire et de l’image à tout représenter poussent certaines femmes à se tourner vers la chirurgie esthétique pour réaliser la jointure entre la lettre et l’image.

La quête d’un signifiant qui pourrait définir son sexe trame la subjectivité féminine. Le défaut d’inscription de ce signifiant peut inciter à faire appel au scalpel du chirurgien qui réalisera dans l’image ce que le symbolique n’accomplit pas. Ce franchissement dans le réel – coupant à même la chair – donne un support matériel à la lettre.

La relation complexe de la femme à son image peut aller jusqu’au sentiment d’étrangeté et l’impression de ne pouvoir se saisir sous une forme unifiée. Anita Izcovich examine les différentes occurrences cliniques qui répondent du rapport de la femme à l’image. La théorie est ici toujours tressée à la clinique.

Tout comme la chirurgie esthétique qui commande de se soumettre à une image standardisée, la mode a pour certaines femmes la fonction de faire consister une image où elles pourraient loger ce qui ne peut se dire du féminin. La femme répond aux impératifs de la mode comme à un discours qui lui est dicté. Là encore, c’est le moyen pour l’auteur de déplier les nuances des positions subjectives féminines. Elle nous invite à suivre « une clinique psychanalytique » du vêtement, dans le rapport de la femme à l’habit qui enveloppe, pare ou contraint le corps.

Bien entendu, la chirurgie, pas plus que la mode, n’ont le pouvoir d’édifier le signifiant manquant pour signifier la femme. Ces pratiques pourraient n’être que des impasses subjectives, s’il ne s’agissait que de sacrifier sa subjectivité à la norme. Mais au-delà de l’image, l’étoffe convoque le rapport à la jouissance.

A l’aune de la jouissance, pas de mesures standardisées mais des diversités multipliées. Les observations de Clérambault à propos des femmes voleuses de coupons de soie, emprisonnées ou hospitalisées dans les années 1900, mettent les pleins feux sur la jouissance féminine.

Ce lien au réel de la jouissance a trouvé une voie créative dans la haute couture. Jeanne Lanvin et Coco Chanel sont suivies à la trace de l’acte, l’auteur serrant dans le fil de leur existence la lettre qui a nourri leur création.

L’acte créateur devient ainsi le motif central du livre d’Anita Izcovich. Elle interroge cet acte à travers des figures de femmes de théâtre et de cinéma : Sarah Bernhardt, Maria Casarès, Marlène Dietrich, Marilyn Monroe apparaissent dans ce livre comme des femmes en prise avec l’énigme de leur sexe. L’auteur articule la logique du fantasme au rapport à la lettre. Anita Izcovich montre comment la vie de chacune de ces femmes s’est écrite avec la lettre de leur inconscient. Nulle prise en masse des solutions, l’auteur extrait du matériel biographique la cellule palpitante qui fait de chaque existence une œuvre singulière.

C’est en compagnie des hommes ayant pensé les femmes que Anita Izcovich nous fait faire ce voyage psychanalytique : Freud, Lacan et Clérambault, mais aussi Barthes, Milner, Regnault, Cocteau, Breton, Von Sternberg… Ici la psychanalyse côtoie et dialogue avec la linguistique, la poésie et l’acte créateur.

Le bel ouvrage d’Anita Izcovich est un hommage tant à la psychanalyse qu’aux inventions cousues main de sujets dits femmes pour faire avec l’exil de leur être. Son texte dense, très documenté, va droit à l’insolite, à l’inouï de l’inconscient, là où chaque femme s’écrit comme poème vivant.

Corinne Philippe

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