Christine de Camy
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Qu’est ce que la malédiction sur le sexe ? L’expression vient de Lacan. On la lit dans Télévision. Le Bien-dire sur le sexe est impossible du fait de la jouissance sexuelle qui ne fait pas rapport. Face à ce réel, rencontré donc comme impossible, les positions du sujet varient. C’est ce que va interroger Anita Izcovich. En tant que psychanalyste, elle se laisse enseigner, et nous avec, par les réponses particulières de quelques-uns. On ne s’étonnera pas que ces réponses soient introduites par une interrogation sur la prostitution. Celle-ci est en effet paradigmatique de la malédiction sur le sexe. La figure de la prostituée, exclue du monde, entre toute et rien, s’inclut comme objet du fantasme. Jouissance coupable, comme l’a si bien décliné Zola avec Nana. Freud, après avoir pensé que la morale produisait la névrose, opère en 1926 un virage fondamental. Le sentiment de culpabilité engendré par la civilisation est un malaise nécessaire. Wilhelm Reich ne le suit pas. Pour lui, la révolution sexuelle est un combat contre toute répression. Il s’agit de se dégager du refoulement mortifère et de toute ambivalence à imputer exclusivement à la société selon lui. Jouir sans entrave, tel est l’objectif. Cela n’est pas sans nous rappeler le père de la horde. Wilhelm Reich a une mission. Il échafaude une théorie sexuelle autour d’une énergie électrique à laquelle il donne le nom d’orgone, condensation d’orgasme et d’organisme. Solution singulière comme celle que va devoir trouver également Simone Weil, aux prises à la douleur d’exister et à la faute associée. Anita Izcovich nous invite à suivre pas à pas l’élaboration de la philosophe. Elle se construit à partir de deux grandes expériences. La première concerne l’épreuve du malheur dans son travail à l’usine. C’est sans doute pour Simone Weil, une tentative de localisation de la souffrance. Elle ne peut cependant s’extraire de l’insupportable de l’usine, pas même partiellement. Seule sa relation à l’ouvrier lui permet d’alléger un peu le malheur rencontré. La seconde solution concerne sa relation au Christ : souffrance de celui-ci et rencontre. Sa présence réelle en lien avec elle, sans médiation, fait exister le rapport sexuel. Pas d’encadrement par le fantasme, pas de diction possible : cette expérience mystique, hors discours, fait malédiction au sens propre du terme. C’est dans un tout autre registre que nous emmène ensuite Anita Izcovich. Elle poursuit en effet sa question à travers le regard de Sacher-Masoch et de Sade. Le fantasme ici borde la souffrance, mais sur un mode particulier. Pour Sacher-Masoch et à la lecture de La Vénus à la fourrure, la faute et la douleur, confinées à la jouissance mortelle, s’inscrivent dans une fétichisation du phallus. La douleur en effet s’incarne dans le pied de Wanda ou le fouet qui ont valeur de fétiche. Homme et femme sont là dans un rapport en miroir, l’un prenant le pouvoir sur l’autre, mais jamais sans qu’il ne lui ait demandé toutefois. Cruauté et volupté où la malédiction sur le sexe sécrète la matérialité du fétiche. Pour Sade, le sujet occupe la place de l’objet. Il est tout regard, voix, fouet. Il se fait l’instrument de la jouissance de l’Autre. C’est un usage inversé du fantasme tel qu’on a l’habitude de l’entendre. Il ne s’agit pas là du désir d’atteindre l’objet dans l’Autre mais plutôt celui de boucher le trou dans l’Autre pour le faire exister. Le tourmenteur sadien répond à la malédiction sur le sexe en se consacrant à effacer la division du sujet Dans la dernière partie de son livre, Anita Izcovich choisit de nous parler de Stendhal et de Flaubert. Que nous apprennent-ils ? Comment répondent-ils à la malédiction sur le sexe ? Stendhal interroge l’amour. Peut-on dire le vrai sur l’amour ? Comment le saisir ? Stendhal décrit les labyrinthes de ses pensées. Il les romance ou les théorise. Il s’intéresse à ce qu’il appelle la cristallisation, soit les signes qui vous font dire que l’objet aimé vous aime. Il questionne l’amour d’une femme. Il y croit. Mais peut-il la croire ? C’est ainsi que Julien Sorel désire et se défend de désirer dans un désir impossible. Flaubert écrit avec son corps. Il s’identifie aux drames de ses personnages. Il ressent leurs maux. Ainsi en témoigne-t-il dans sa Correspondance. C’est ainsi qu’on peut suivre les intrigues d’Emma Bovary qui maintient son désir en se dérobant comme objet : désir insatisfait qui promeut l’Autre absolu comme inatteignable. Ce qui fait structuralement malédiction sur le sexe pour tout sujet prend des formes différentes selon chacun. Entrer dans l’œuvre de quelques-uns pour saisir, à travers le style de leurs auteurs, la particularité des réponses, c’est ce que réussit à nous faire entendre Anita Izcovich. Son livre est rigoureux et dynamique. Christine de Camy |