Ouvrage édité sous la direction d’Anna Koellreuter

"Mon analyse avec le professeur Freud Anna G." Editions Aubier, Psychanalyse 2010

 

Marie-Françoise Laval-Hygonenq

Pulsions et narcissisme in Esquisses psychanalytiques 6, Automne 1986. Surmonter, une notion pour penser la ‘Ich Analyse’ ? D‘un modèle topique à l’autre in Revue française de psychosomatique 8, 1995.
Fonction synthétique du moi et ébranlement identitaire in RFP 5, 1996. Du fonctionnement psychique de survie in La résistance de l’humain, mars 1999.

Envie du pénis et/ou intégration phallique in Clés pour le féminin, Débats de psychanalyse, PUF, mars 1999. Le narcissisme chez Freud, in Le Narcissisme, Monographie de psychanalyse, PUF, avril 2002. Entretien avec M. De M’Uzan in Interpréter le transfert, Débats de psychanalyse, mai 2004

Nous recevons nous-même ce livre comme Anna Koellreuter a reçu en cadeau-surprise ces deux cahiers de notes d’Anna G. sur son analyse avec Freud.

Pourquoi sa grand-mère avait-elle gardé le silence sur l’existence de ces cahiers ? En avait-elle parlé à son mari, qui maintenant était mort, mais n’en avait lui-même rien dit ? Etait-ce trahir un secret que de les publier ? Pourtant, Anna G. n’avait pas détruit ces cahiers, et le témoignage de son analyse avec Freud se trouvait tout à coup dévoilé, précieux, riche d’un enseignement théorique et technique. Nous comprenons l’émotion, l’hésitation, et le temps d’élaboration nécessaire à Anna K. pour décider de leur publication. Cet ouvrage rend compte de ce cheminement : il rassemble la transcription intégrale du journal d’Anna G., une version augmentée pour cette publication de la première conférence d’Anna K. à Tübingen, en décembre 2007 devant l’Institut Psychanalytique de Francfort et la Société Allemande de Psychanalyse, puis un ensemble de contributions d’historiens et de psychanalystes allemands et anglo-saxons auxquels elle a envoyé le texte de cette conférence avec les deux cahiers de sa grand-mère, les conviant à réagir à cette découverte. Pour la publication française, les Editions Aubier ont choisi de retenir neuf des contributions des auteurs sollicités qui sont autant de manières originales d’approcher ce journal, historique, sociologique, psychanalytique.
Cet ouvrage constitue pour nous un document de travail exceptionnel.

Qui était Anna G. quand elle a décidé de faire une analyse avec Freud en mars 1921 ? Elle travaillait au Burghölzli comme psychiatre, sous la direction de Bleuler, elle avait 27 ans, ses fiançailles avec un collègue duraient depuis 7ans et le mariage était prévu pour l’automne 1921. « Ma grand-mère ne trouvait pas la force de rompre cette relation, c’est ce qui motiva sa décision d’entreprendre une cure », nous confie Anna K. Elle contacta Freud par l’intermédiaire de Pfister, eut le consentement immédiat de Freud, qui avança même la date prévue du premier rendez-vous, lui laissant seulement une semaine pour se décider.

Anna G. put prendre cette décision là sans hésitation et quitta son travail sur le champ pour passer 4 mois à Vienne. Ses séances débutèrent le premier avril 1921, à raison d’une heure par jour, samedi inclus, jusqu’au 14 juillet, veille des vacances de Freud.

Anna K. nous dit qu’Anna G. avait lu les œuvres de Freud avant sa demande d’analyse, jusqu’au tout dernier texte, ‘Au-delà du principe de plaisir’, et qu’elle est restée toute sa vie intéressée par l’analyse des rêves. Contrairement à des patients écrivains, ou à des patients devenus psychanalystes, elle a choisi de ne pas faire état de son expérience analytique avec Freud, pourtant fondamentale dans sa vie : de retour à Zörich, elle a annulé le mariage prévu et fait ses valises pour rejoindre son frère à Paris, très présent dans son analyse. Elle y retrouva l’homme dénommé ‘le sculpteur de Brienz’, rencontré avant de partir pour Vienne, avec qui elle se maria en 1923. Ils resteront unis toute leur vie. Elle a travaillé comme psychiatre à Paris jusqu’à son retour en Suisse en 1939. Elle est morte en 1982 à l’âge de 88 ans. C’est après la mort de son mari, (1988), en vidant leur maison, que leur fille, mère d’Anna K. a d’abord trouvé un courrier de Freud fixant les conditions de la cure, puis ces deux cahiers qui étaient le journal qu’elle avait tenu à Vienne, entre le 5 avril et le 16 juin 1921. Ce fut une satisfaction pour Anna K. d’avoir la preuve concrète de cette cure, car elle en était arrivée à douter de sa réalité, tellement sa grand-mère était toujours restée évasive dans ses réponses aux diverses sollicitations, alors qu’elle évoquait facilement la réalité sociale de Vienne à cette époque.

Je ne dévoilerai pas le contenu de ce journal, je dirai seulement qu’il nous ouvre la porte du cabinet de Freud, qu’il nous permet de nous faire une idée de sa façon de travailler, de la qualité émotionnelle des échanges avec sa patiente, du climat de confiance qui s’était tout de suite établi entre eux. Il nous fait découvrir l’engagement de Freud, sa façon d’être mobilisé, autant par les découvertes acquises, sexualité infantile, complexe d’Oedipe, analyse des rêves, que par ses recherches en cours autour du fantasme de fustigation et du complexe fraternel, de l’identification, du masochisme, et aussi de l’influence de la culture. C’est dans ces années là qu’il écrit ‘Psychologie des foules et analyse du moi’, ‘Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité’, qu’il avait sa fille sur son divan et venait d’interrompre l’analyse de ‘la jeune homosexuelle’ avec qui il avait été loin d’avoir la complicité que nous découvrons avec Anna G. Ces cures de jeunes femmes viennent réactiver chez Freud la mémoire de la cure de Dora. Anna G. est très sensible au côté didactique de son analyse ; elle notera par exemple deux fois les explications que Freud lui donne sur ‘les 3 strates’ de la psyché (Ics, Pcs, Cs); elle note régulièrement ses rêves et leur interprétation. Nous découvrons un Freud très affirmatif, donnant une grande place au partage culturel. Le secret gardé sur cette cure nous laisse très interrogatif sur sa terminaison; les notes d’Anna G. s’arrêtent au milieu d’une page ; c’est le silence sur les trois dernières semaines. Ce silence s’est poursuivi. Il laisse ouvertes les questions sur la fin de l’analyse, et sur le temps ‘d’après l’analyse’ pour le patient, et pour l’analyste. Peut-on parler d’une analyse réussie ? se demande Anna Koellreuter.

Je vous laisserai sur le courrier de Freud à Pfister le 29 juillet 1921, lui aussi énigmatique : « La petite G. est devenue totalement transparente et en fait, elle en a terminé. Mais je ne peux pas savoir ce que la vie va faire d’elle désormais ».

Marie-Françoise Laval-Hygonenq – Juillet 2010

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