Annick Galbiati Psychanalyste, inscrite au Cercle Freudien, à l’Association Psychanalyse et Médecine et au Salon d’Oedipe. |
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Ce livre d’Andrée Lehmann témoigne de son travail de psychanalyste entre 1975 et 1995 en terre médicale, dans les services hospitaliers de l’Institut Gustave Roussy spécialisé en cancérologie. Loin du divan – et ceci encore plus à l’époque – il y avait là une clinique à inventer. C’est ce que nous réalisons aujourd’hui, au fil des pages où A. Lehmann déplie cette clinique avec une grande rigueur, tout en se gardant bien d’user d’un vocabulaire savant avec les effets de brouillage qu’il peut entraîner… La langue de ce livre, accessible à qui s’intéresse à ces questions, serait pour un peu celle de tous les jours – celle là même parlée dans le cadre du travail avec les patients comme Freud tenait à le rappeler au moment où il abordait la question de la Laïenanalyse. Et de fait « L’atteinte du corps » telle qu’Andrée Lehmann en parle, renouvelle en quelque sorte l’acte posé par Freud en 1926 au titre, en français, de L’analyse profane : ceci à partir du champ de la médecine – et non plus seulement de la neurologie ou de la psychiatrie – à partir aussi de ce que sont devenues la science et la technique médicale disposant de moyens qui, bien plus qu’au temps de Freud, n’ont jamais été aussi performants pour traiter la maladie… Qu’advient-il alors des malades en tant que sujets dans leur singularité lorsqu’il s’avère pour certain(e)s et malgré tous les soins qui leur sont prodigués, qu’ils/elles vont mal ou créent des difficultés ? En associant son expérience clinique à un travail de recherche souhaité par l’Institut Gustave Roussy, A. Lehmann aborde la question de la dimension subjective dans la maladie, la maladie grave : le cancer – en particulier celui du sein. Mettant délibérément de côté la question de la « causalité psychique », soit « le facteur psy » qui a pu déclencher voire provoquer le cancer, elle fait ce choix méthodologique et sans doute éthique – ce qui n’exclut pas de l’expliciter – de s’intéresser au retentissement subjectif de la maladie. Mais, ce n’est qu’un début. Car suivent les interventions, les traitements et leurs conséquences… sur tous les plans : sur le réel du corps et son image, mais aussi sur le lien conjugal, familial, social, professionnel. C’est une série de réactions en chaîne que les patientes sont appelées à assumer alors qu’elles se trouvent déjà fragilisées… Pas étonnant dans ces circonstances, qu’au moins à certains moments, il soit fait appel au psychanalyste. La méthode analytique consistant alors à créer un nouvel espace, un espace dit « transférentiel » où la souffrance peut prendre place dans la parole adressée à un autre ; entraînant le déploiement d’une logique inconsciente qui ainsi desserre son étau… Il serait dommage de tenter de résumer ce livre sur « L’atteinte du corps » tant il fourmille de notations cliniques intéressantes dont la pertinence va bien au-delà du cadre dans lequel celles-ci nous sont présentées. Un axe toutefois apparait central, celui des effets de l’irruption de la maladie sur l’imaginaire et la représentation du sujet. A. Lehmann décrit très bien ce vacillement, voire cette perte des repères avec un effet de « sens dessus dessous ». Entendons, ce qui était là, dessous, oublié, refoulé, voire rejeté, tend à refaire surface, sinon passer par dessus bord : le réel, notamment. Le réel pas suffisamment symbolisé ou qui ne l’avait jamais été peut resurgir de façon plus ou moins massive, voire délirante. À travers la clinique, A. Lehmann montre comment ce réel peut s’imaginariser, devenir envahissant pour telle ou telle patiente, et par voie de conséquences pour les équipes soignantes… Il s’agit alors en quelque sorte, de ranimer le sujet qui suffoque sous cette chape de réel et d’imaginaire, de remettre en jeu les signifiants à partir desquels il pourra trouver ou retrouver une place dans le symbolique. Ces cas sont extrêmes mais donnent une idée de la façon dont, ce qui pour chacune était resté en souffrance, non résolu, et ceci parfois depuis toujours, tend à faire retour sous l’effet de ce « coup de réel » de la maladie. Un trauma – ce qui tombe dessus sans prévenir – peut en effet en révéler un autre, mais aussi offrir en quelque sorte au sujet une seconde chance pour s’en saisir, l’inscrire autant que possible dans le symbolique. Les cas cliniques exposés dans ce livre indiquent combien, pourtant, la réalité et le réel de la maladie peuvent être plus ou moins déniés et difficiles à intégrer. Ceci a une incidence sur la façon dont les traitements sont acceptés, sur la relation au médecin, essentielle dans ces moments là, et aussi à l’ensemble des soignants… Notons, à propos de cette relation au médecin, qu’Andrée Lehmann veille toujours à la préserver. En termes lacaniens, la clinique présentée ici montre comment le réel, le symbolique et l’imaginaire réagissent et interagissent, quand bien même ou surtout, lorsque quelque chose dans leur nouage vient à faire défaut. On ne touche pas au corps, au réel du corps, sans que ceci ait un effet sur son image et son rapport au symbolique. La maladie induit des effets qui n’épargnent aucun de ces trois registres. Ce qui s’y trouve dénoué ou s’avère n’avoir jamais été « noué » fait alors appel à un travail de subjectivation. Et ce travail, s’il requiert l’aide d’un psychanalyste, peut en fin de compte, loin d’un retour à l’état antérieur de toute façon impossible, devenir source de relance, de nouveauté, de création … L’attention d’A. Lehmann au jeu de l’imaginaire, du symbolique et du réel du corps avec la subjectivité; la façon dont, lorsque ce jeu se bloque ou « débloque », elle sait faire intervenir la méthode analytique hors du dispositif classique sans que ceci ne retire rien au sérieux de sa démarche; le cadre de la médecine hospitalière où il s’agissait de créer, recréer sans cesse et tenir sa place de psychanalyste…; les effets de transmission auprès des plus jeunes tels Aline Briquez, Delphine Colin, Xavier Fourtou et Danièle Lévy qui ont encouragé la publication de ce livre et y ont participé… : autant de raisons de considérer sa parution comme un événement qui pourrait bien faire date… Annick Galbiati |