Ali Magoudi « Un sujet français »

Editions Albin Michel, 2011

 

 

Gérard Haddad, Psychanalyste.

Gérard Haddad a une œuvre d’écrivain, de traducteur de l’hébreu et d’éditeur.
Derniers ouvrage paru « La lumière des astres éteints » La psychanalys face aux camps. Editions Grasset.

 

Gérard Haddad a lu « Un sujet français »

Ali Magoudi est psychiatre et psychanalyste. Il a donc nécessairement effectué une longue analyse dite didactique. Pourtant, des années de divan n’ont pas entamé le grand mystère de sa vie : l’histoire deson père.  C’est que Magoudi présente cette singularité d’avoir un père algérien arrivé en France dans les années trente et une mère ;;; polonaise. Le plus étrange ne tient pas à la différence d’origine de ses parents mais au fait qu’ils se sont rencontrés en Pologne dans les années ‘40 du siècle passé.  Qu’est-ce qu’un ouvrier algérien pouvait bien faire en Pologne, dans les années de barbarie sous la fumée des crématoires ? A-t-il contribué à leur construction ?
                        Pour ceux qui croient que le génocide concerne surtout juifs et Tziganes, le cas Magoudi, dans sa particularité, montre que les effets des camps et du nazisme concernent l’ensemble des humains, arabes compris. Depuis des années cet auteur s’intéresse à la Shoa, participe aux colloques consacrés à cette question et surtout publie un livre sur Georges Perec , dont la vie fut marquée par l’assassinat de sa mère à Auschwitz.
                        Des questions qu’il posait à son père Abdelkader, Ali n’obtenait jamais que cette même: « Ma vie fut un roman. Je te la raconterai plus tard. » Sauf que cette promesse Abdelkader ne la tint jamais. Alcoolique, présentant des troubles psychiatriques qui le conduisent alternativement au Commissariat ou en psychiatrie, il finira par mourir d’éthylisme. Ces manifestations ne signalent-elles pas l’existence d’un honteux  secret?
                        Longtemps, Ali s’accommoda avec cela, avec ce silence du père et les limites du divan. Mais un jour le voilà père à son tour d’un petit garçon. Désormais on ne biaise plus. On ne laissera pas à ce fils aimé l’ardoise des générations antérieures.
                        Dès lors, pendant des années, Magoudi se lance dans une interrogation échevelée à travers les archives de France, d’Allemagne, d’Algérie. Elles sont nombreuses dispersées. Une aiguille dans une botte de foin qu’il faut retrouver, à travers les pièces détruites mais aussi les embrouilles du père qui s’est même inventé une première épouse et deux enfants de cette femme introuvable. Tel est le contenu de ce livre qui rappelle inévitablement l’enquête de  Daniel Mendelssohn dans son livre Les Disparus. Le récit de cette enquête, qui pourrait être fastidieux, se révèle au contraire haletant, passionnant. Comme l’auteur, le lecteur veut savoir le fin mot de cette histoire et donc ne lâche le livre qu’au dernier mot.
                        Il fallait beaucoup de talent pour mener ce récit construit comme un polar où l’humour, l’angoisse, et surtout l’émotion retenue se mêlent, émotion insidieuse qui finit par saisir le lecteur.
                        Ce père aux multiples défauts, hâbleur, magouilleur, n’était-il pas, lui aussi, un être broyé par les tragédies de l’Histoire coloniale, puis celle du nazisme ? Aussi l’auteur finit par jeter sur son géniteur le manteau de Noé, qui est celui de la paix, après la guerre d’un moment, entre les générations. Pour la première fois, le livre achevé, il se sent vraiment orphelin et non le fils de personne.

Gérard Haddad

Ed. de Minuit.

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