Florence SIGNON Psychanalyste et psychiatre de formation, membre de l’Ecole de psychanalyse des Forums du Champ Lacanien (EPFCL), enseignante au Collège de Clinique Psychanalytique du Sud-Ouest et pratique la psychanalyse à Bordeaux. |
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Ce livre s’adresse à tous ceux que les mots touchent, à tous ceux qui aujourd’hui se sentent dépassés par l’accélération de notre « époque épique », à tous ceux qui se demandent quels sont les effets de la technoscience sur les sujets et, face à ce déferlement, en quoi la psychanalyse, indispensable, peut faire entrevoir quelque solution. Il met en valeur la place des mots dans un monde dit « moderne » où la vitesse, la dématérialisation, le virtuel, l’information et les masses de données tendent à rendre caduque la rencontre entre les hommes. Cette époque veut nous faire croire que la rencontre peut se passer des corps, qu’il suffirait d’être derrière un écran pour avoir un « réseau social », pour être en « relation », que l’individuel et le bien être sont les clés d’un « bonheur » prêt-à-porter, que ce qui est bon pour un est bon pour tous, que ce qui est « le bien » est la même chose que « là où je suis bien ». De l’expérience de la psychanalyse de l’auteur à sa pratique d’analyste aujourd’hui, il y a d’abord la traversée de l’expérience de la cure, puis la traversée de l’enseignement et des concepts de Lacan. De ces traversées se fabrique un analyste, c’est à dire une façon de lire : dans les dits des analysants, chez les auteurs, nombreux, poètes, écrivains dont les voix traversent cet ouvrage (Char, Cixous, Celan…) et une pratique où cristallise finalement une éthique singulière de la psychanalyse, une responsabilité sans partage. Ce livre en est le témoignage. Le cœur vivant de cette pratique est le trait d’humanité, ce que Lacan nomme le poème, fondement pour l’auteur d’une « poéthique » de l’analyse. Attendre et rechercher les mots, Albert Nguyên n’hésite pas à dire « le mot » qui fait d’un analysant un « parlêtre ». Mot unique, qui pour chacun a tracé un « Méridien », une « pente d’inclinaison de son existence », soit la façon dont il se rapporte au monde et aux autres. C’est la marque, immémoriale, particulière, dont le sujet a répondu de la rencontre entre les mots et le corps. Cette rencontre « traumatisante » rend particulièrement longues les cures car le sujet s’en défend. Il faut se faire aux mots, se laisser faire, pour apprendre à lire, c’est à dire à se servir de l’écriture pour entendre derrière ce qui se dit ce que les mots portent de chair, de « motérialité » dit Lacan. Ce point de rencontre entre les mots et le corps est ce qui fait de chacun d’entre nous un poème à lire, en souffrance, à dire et que l’analyse révèle. Trait d’humanité comme cœur vivant de la cure mais aussi cœur vivant d’où pulse le désir de transmission de l’analyse. Lacan en était l’incarnation lorsqu’il faisait séminaire, un poème vivant en acte. C’est le dispositif de la passe dans une école de psychanalyse qui permet d’évaluer si « il y a du psychanalyste » soit si le sujet a pris acte de cette rencontre entre le corps et les mots et si à partir de cette rencontre avec le Réel il pourra à son tour se faire « l’axe de tant de vies ». Enfin, et c’est essentiel car c’est ce qui permet de conjoindre l’inconscient et le politique, ce trait d’humanité, comme « point de l’humain, lieu de l’humain », permet à l’auteur de poser la question du passage du singulier à l’universel. Une cure analytique orientée par les concepts lacaniens et en particulier la fin de son enseignement (Nœuds Borroméens, poème, inconscient réel) peut apprendre à laisser place à la « sauvagerie du cœur, la passion de l’essentiel, l’ouÏssance, la jouissance, la « diffairance » et « l’étrangeance », tout ce qui est « ex », « hors », en marge. Ainsi l’étrange, l’étranger, l’exilé, le hors sens, l’exclu, le paria sont « amis » du psychanalyste et la question est posée, vive, exorbitante, enthousiasmante : la psychanalyse peut-elle « proposer une alternative crédible à l’écrasement généralisé programmé par les « grands » de ce monde ? ». Florence SIGNON |
Albert Nguyên Quand seuls restent les mots…
Psychanalyste au son de l’époque Editions Stilus, Collection Nouages. Novembre 2017