Arlette Pellée Le cerveau et l’inconscient Neurosciences et psychanalyse

Editions Armand Colin, 2015

Francoise Hermon
Psychologue clinicienne et psychanalyste membre du cercle Freudien exerçant à la consultation médico- psychologique de Chaville a publié en …. dans la revue Patio no 3 L’inconscient à l’œuvre, « Trajectoire orale ». En 2008, dans le bulletin du Cercle Freudien « La destructivité en psychanalyse ».

Il s’agit là d’un sujet parfois boudé par la psychanalyse mais qui n’en est pas moins incontournable; en ce domaine la résistance n’est pas souvent bonne conseillère.
La question du lien entre les phénomènes psychiques et ce qui concerne le fonctionnement du cerveau s’est posée à Freud de manière fondamentale dans l’Esquisse, mais il renonça à poursuivre cette voie. Se trouvant dans l’impossibilité de trouver des solutions convenables pour rendre compte du rapport entre le fonctionnement psychique et la neurophysiologie de l’époque, il prit acte d’une solution de continuité entre l’ordre du qualitatif et du quantitatif.
Ce que l’on peut  en dire à notre époque où les progrès des neurosciences nous obligent à reprendre la question, est l’objet du débat que déplie cet ouvrage.
Un des principes de base qui soutient notre auteure est que chaque époque fabrique une conception de l’humain en fonction de l’état de la conception qu’il a de son monde extérieur.

« je montrerai que la réécriture de la conception de l’humain est un phénomène constant dans l’Histoire, elle est fondée sur un invariant. Le changement de la représentation de l’univers fait varier la représentation de l’homme….. »

Ainsi, en permettant la naissance du concept d’intelligence artificielle la cybernétique a bouleversé l’idée de ce qui était considéré comme spécifiquement humain, à savoir la pensée, la mémoire et leur rapport au corps.
Consciencieusement, Arlette Pellée n’épargne ni son temps, ni l’énergie dont elle dispose pour étudier et rendre hommage aux scientifiques, et cela sans qu’aucunement ne pâtisse sa passion pour la psychanalyse. Elle témoigne de la même détermination pour balayer toute trace d’obscurantisme que pour montrer qu’en aucun cas, l’inconscient étudié par les neurosciences ne recouvre celui que Freud a découvert.
Seule la psychanalyse respecte et étudie ce qui peut rendre compte du subjectif dans la pensée, la mémoire et le langage humain, affirme-t-elle, et de conclure que malgré leur honnêteté et grande bonne volonté, aucun  des scientifiques qui affirment leur admiration pour la psychanalyse, ne va jusqu’à lui rendre justice lorsqu’il s’agit de réellement tenir compte de la place qui lui revient dans la réalité des  pratiques scientifiques et cliniques.
L’assurance de la validité des concepts de l’inconscient Freudien n’entraine pas l’auteure de cet ouvrage à l’invalidation des découvertes de chercheurs tels que J. P. Changeux et quelques autres. Les assertions et interrogations de Lionnel Naccache par exemple, retiennent aussi particulièrement son attention, mais elle souligne que malgré le respect de ce chercheur pour Sigmund Freud, il ne peut maintenir l’originalité de la singularité de la dimension subjective du langage pour l’humain.
Pour ces neuroscientifiques et  cognitivistes, bien qu’il soit impossible de nier l’importance de la découverte de l’inconscient Freudien, la conscience reste déterminée par le fonctionnement neuronal qui est régi par le principe de l’homéostasie. La pulsion de mort de la seconde topique freudienne, la recherche de jouissance dans ce qu’elle comporte d’excès et la compulsion de répétition sont totalement évacuées.
L’imaginaire comme intrinsèque au langage, l’importance de la fiction et de l’amour sont des domaines dont ne peuvent rendre compte les neurosciences ni le neurocognitivisme.
Si Lionnel Naccache reconnaît que la quête de sens est nécessaire à l’être humain, il juge inutile de postuler un univers psychique autre que celui du fonctionnement de la matière cérébrale vivante  puisque cette quête est pour lui l’essence même de la conscience régie par la seule neurobiologie des synapses.
Par ailleurs contrairement à ce qu’affirment des scientifiques comme Pierre Buser et François Gros, les neurones miroirs et la découverte d’une substance permettant l’expérience empathique ne rendent aucunement compte de ce qu’est le transfert dans la complexité de ce qu’il a de spécifique relativement au temps, à l’espace et à sa dimension d’adresse à un Autre symbolique.
Pour les psychanalystes les mécanismes de l’inconscient nécessaires à la compréhension du monde psychique relèvent d’une dynamique qui ne se prête pas aux investigations de l’imagerie cérébrale, mais pour Arlette Pellée il n’est pas impossible de faire coexister deux approches de recherche et de thérapeutique distinctes.
S’interrogeant sur la raison de l’exclusion dont fait l’objet le champ de la psychanalyse, Arlette Pellée conclut ainsi:

« La science du sujet et la science du cerveau sont pour le moment deux champs de savoir distincts. S’il n’y a pas à les opposer mais plutôt à chercher des connections possibles, chacun devrait être en mesure de s’opposer à la fabrication d’un humain programmé et conditionné rationnellement soluble dans la société de marché, et d’exercer son esprit critique pour se débarrasser d’une neuro fascination faite de certitudes qui se répandent comme des vérités premières sous le sceau de l’Autorité scientifique par l’intermédiaire des médias et des politiques de santé mentale ».

En effet, la guerre qui sévit entre ces champs de recherche pour l’instant irréconciliables produit des effets d’une extrême gravité, puisque les recommandations de l’O.M.S.et finalement aussi de l’A.N.A.E.S. sont de supprimer les crédits de l’état qui serviraient à financer des pratiques autres que celles obéissant aux neurosciences et aux thérapeutiques cognitivistes.
Ainsi les sciences humaines cliniques ne sont plus au goût du jour et les « transhumanistes » nous promettent avec les nano -bio -technologies une vie sans souffrance, sans limite, quelque chose qui serait pour 2045, comme la fusion de l’homme et de la machine.
Economie capitaliste, neurosciences et biotechnologies seraient elles l’avenir de nos rêves?
Le livre d’Arlette Pellée est un de ceux qui nous obligent à y penser et qui nous aide à résister.

Francoise Hermon

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