Anouchka d’Anna | Hunter et ses Mickeys

Bouquins Editions, 2023

Article rédigé par : Joseph Assouline

Après « La Vénus à la fourrure », voici « Diane dans la jungle des réseaux ».

Car il faut d’abord saluer le courage intrépide de l’autrice, qui nous donne un opus appelé à faire référence pour la clinique de la sexualité actuelle sur les sites de rencontre.

Sous le masque d’une Diane féministe, Anouchka nous invite dans son roman-chronique, à suivre les tribulations d’Annabelle en quête du porteur du pénis-graal, mais sans que la rage dudit pénis ne se mue en haine du désir masculin, bien au contraire.

En effet, cette blonde Annabelle se sait désirable, mais menacée de désespérance dans sa quarantaine (!), son désarroi justifie le recours à Hunter, site de rencontres dont l’usage toxique ne lui échappe en rien: « je sais bien, mais quand même », elle ne cède pas sur son désir de trouver sa perle. S’ensuit le hit-parade de ses rencontres, souvent déceptives, parfois effarantes, d’autres révulsives, mais dont le style narratif, tressé d’un triple fil, nous donne bien « le goût de la chose » (estomacs fragiles s’abstenir)…

Le point de vue féminin sur ces pratiques nous ouvre son iris: il combine un sien discours féministe, une certaine lucidité psychanalyste, et un parler-cash saturé de catégories objectales. Car c’est là, dans la langue, le style fait femme, que se niche la véritable tragédie de l’époque, autant que dans la crudité de consommation qui défile en série: Annabelle mange de l’homme, appelant sa chatte une chatte, elle est flanquée d’un témoin canin qui n’en peut mais… « Cocaïne vomit son curry de poulet sur la moquette ».

Les corps des hommes, autant que le sien propre -et donc celui du lecteur- sont saisis dans un descriptif codé, implacable, qui désosse, catégorise, juge et classe (sociale aussi) : craquant, banal, apte ou pas, de bonne taille, monté, appétant, craquant…au suivant!

C’est qu’à la liberté prise par les femmes répond une radicalisation du masculin, qui relance un raidissement des revendications féminines : l’autrice met à jour l’absurdité des souffrances quand la plainte ne peut s’inscrire, des deux cotés…donnant au mot de Lacan un jour terrible « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Car des deux cotés, même les métaphores, métonymies et figures rhétoriques sont retournées vers l’objectal, le dénigrement, la réduction à la chose de la réalité, et donc pétrifiant la relation. Ils et elles ne voient plus comme on se parle, ni même s’il subsiste un « on » pour faire société.

Ca (se) parle – quand même – là où ça souffre, dirait encore son cher Lacan.

Jusqu’au moment pathique où surgit Giovanni, l’aviateur italien, qui domine la (courte) série des hommes désirables: car dominateur il se veut, jusqu’à l’abject, auquel Annabelle se prête, mais point trop n’en faut. Au jeu passionnel du yoyo, les frustrations et l’odeur du danger aidant, elle finit par le « ghoster », se révélant à elle même une part de la clé inconsciente de sa quête. Dans un dernier tweet, qu’elle ne lui enverra pas, Annabelle lui dit : » …ni ta grosse queue, ni tes jeux pervers, ni ton uniforme ne m’ont faite rêver.

Je suis tombée amoureuse d’une phrase. Ta phrase sublime. la seule chose qui m’ait retenue dans tes bras. » Si la phrase n’est pas dite ici, elle livre quand même la clé des champs: le sexe est sorti du tube, et Annabelle cherche désespérément dans les choses du sexe ce qui pourrait enfin « l’emballer », or c’est le dire de l’amant de jouissance.

Que ce soit l’emballage verbal et non la chose qu’il faille indéfiniment chercher, tel est le drame et le moteur de sa quête: dis moi que(ue) tu m’aimes! Voilà à quoi est réduit l’interlocuteur de la demande des femmes dans le parler Hunter!

Tel est in fine, le message que nous livre Hunter et ses Mickeys: le réseau et ses codages ravageurs ont métastasé le dire, mangeant Diane chasseresse et ses Mickeys avec le Logos de la vie amoureuse.

L’autrice décrit-elle des chose vécues par elle, ou bien les a-t-elle construites, imaginées? Cet indécidable même fait que le livre imprime sa marque d’originalité, il nous met sans conteste devant la vérité d’un art, celle qui nous fait dire: « Se non è véro, è ben trovato »!

Joseph Assouline.
Peintre et psychanalyste, auteur de, Essai sur la couleur psychique (2017); De Jedi au Djihad (sur la radicalisation) (2016); Trouer Méduse (Che Vuoi 2015); Cas d’École : douze monographies (2005).

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