Claude Spielmann,
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Berta Roth attire notre attention sur ce qui souvent se présente dans une séance d’analyse : des répétitions de phrases de mots ou de sons, des gestes eux aussi répétitifs ou qui font soudainement irruption. Nous pourrions aussi remarquer la manière singulière dont un (e) analysant (e) nous donne ou pas la main en entrant et en sortant, où se porte son regard, la manière dont il (elle) nous paye, les bâillements qui surgissent… Nous sentons bien que tout cela ne relève pas du hasard mais l’analysant(e) ne pourrait rien en dire si on le lui faisait remarquer et l’analyste non plus. Alors il se dit – mais je ne parle peut-être que pour moi—on verra plus tard, on laisse tomber parce que ça échappe à l’interprétation. Toute tentative de l’analyste échouerait et pourrait même avoir un effet de fermeture. Nous somme en effet dans le registre du « Signe » comme le souligne et le développe Berta Roth. Or le Signe ne s’interprète pas. Il est un moment, un instant d’un processus, sur le trajet de la pulsion que l’analyste doit suivre avec le patient. Il précède ce que B. Roth nomme « Figure » et « Forme ». La Forme, avance-t-elle, est une représentation de ce que fut une perception qui se présente sous la forme d’une hallucination actuelle. Elle est aussi « une forme d’écriture ». L’auteure nous présente en quelque sorte une vision dynamique de la cure en nous invitant à ne jamais perdre de vue la liaison entre corps et psyché, entre la pulsion et ses effets dans le déroulement d’une séance. Il nous appartient d’effectuer cette liaison puisque la pulsion parle sans mot et ne se manifeste que par des Signes dont le sens n’apparaît pas. Et pourtant ils font partie du « langage » du patient. En cela, elle est fidèle à Freud en élargissant ce qu’il nomme « langage d’organe » à « l’effet que la décharge libidinale peut produire sur l’organe innervé, l’affect selon Freud, dit-elle ». Et plus loin : « Il semble difficile de séparer ce qui est du biologique dans la Représentation de Chose, ce qui se représente au niveau de la parole, et ce qui fait Figure dans la séance ». Ainsi, elle articulera tout au long de son livre, Signe, Forme et Figure, comme il s’agit de les articuler dans la cure. Autrement dit, le travail consiste à « dépister les objets cachés dans les pulsations de la vie organique » qui font signe au sujet comme ils devraient nous faire signe si l’on y est attentif. C’est dans les séances que ces Signes pourront s’élaborer en Forme puis en Figure à l’intérieur du discours. «… trace, impression et symbolisation, triade nécessaire pour que le Signe qui attendait dans l’ombre prenne sens ». « Le Signe, dit-elle est la présence d’une absence… Il nous amène vers la rencontre entre le processus primaire et le processus secondaire ». Il s’agit pour l’analyste de rechercher ce qui a fait inscription par-delà la vérité des faits. Une écriture sans parole qui « n’échappe pas au savoir des sens. » Le Signe est porteur de mémoire mais, comme tel, il ne peut rien en dire. Il doit prendre Forme et Figure pour s’inscrire dans un discours articulé. Quoi qu’il en soit, « en considérant le signe comme faisant partie de l’ensemble de l’activité psychique, en le faisant travailler dans la séance [sans l’interpréter], nous constatons que l’activité parasitée qui le caractérise réussit à se muer en expérience motrice, c’est-à-dire affective ». Le projet de Berta Roth, relier trace et représentation, n’est pas chose aisée, nous le savons. L’avantage consiste pourtant à réduire « l’embarras de l’anecdotique [pour] ouvrir à ce qui… fonde le phantasme inconscient ». B. Roth fait moins crédit aux souvenirs qu’à l’action motrice qui leur est liée, moment ou élément du trajet pulsionnel. Ce trajet est déterminé par les premières impressions sensorielles qui, évidemment, ne peuvent être mises en mots Mystères de l’inconscient et mystères du corps sont inséparables. La pensée est liée au vécu et aux circuits qu’empreinte la pulsion. Comment procède-t-elle ? Elle se garde bien de proposer une « méthode » mais elle nous fait part de la manière dont elle a procédé dans certaines cures, par exemple une circulation, des déplacements dans l’espace de la séance, etc. Elle ne nous propose pas de modèle, elle nous invite plutôt à déborder la commodité de notre fauteuil et de notre univers langagier où l’interprétation est notre outil favori. Ne pas avoir peur de regarder ces corps qui parlent sans parole, d’entendre leur adresse muette et d’une certaine manière agir avec ces sujets sans craindre à notre tour d’être regardé par eux. Comment mieux dire ce qu’écrit B. Roth ? « Faire travailler ce qui fait effet de Signe dans la séance,… c’est pouvoir approcher, entre autres, l’excitation non raisonnée, productrice, dans son excès, de tout processus de déliaison, de fragmentation, de rupture. Ce qu’on cherche est que ces éléments « encapsulés » puissent devenir mobiles, articulés afin que le patient puisse établir des liens avec le ressenti douloureux. Et que, enfin, le plaisir puisse relayer l’impératif à jouir ». Bien d’autres choses pourraient encore être dites à propos de ce livre d’une grande richesse pour notre réflexion, comme par exemple, ses propositions autour de l’écriture, de l’écoute, du voir-regarder et du temps que l’auteur n’envisage pas séparément mais dans une permanente liaison. « L’activité de l’analyste se situe dans l’écart qui se produit entre écoute et regard », telle est l’hypothèse de travail de B. Roth. Claude Spielmann |