Christian Fierens Le discours psychanalytique

Une deuxième lecture de L'étourdit de Lacan Point hors ligne, Editions Erés, 2012

 


Richard Abibon
Psychanalyste, auteur de « DE l’autisme, I et II » EFEditions (2000), « Le rêve de l’analyste » , éditions Le Manuscrit (2006), « Les toiles des rêves » éditions L’harmattan (2009), et « Scène primitive », L’Harmattan, 2011.

Plus j’avançais dans la lecture du livre de Christian Fierens, plus je demandais comment je pourrais en écrire le moindre commentaire. J’avais le sentiment que tout était dit… et le contraire. Suivant la pente qu’il avait inauguré dans son précédent livre « La relance du Phallus », l’auteur ne cesse de relancer son propre propos en démontant l’instant suivant ce qu’il venait d’affirmer l’instant d’avant. Un leitmotiv revient sans cesse : « c’est ça, et c’est pas ça », qu’il pose comme le mathème de la psychanalyse. Avec cette antinomie si simplement exprimée, loin des longues phrases alambiquées, des mots savants, et des formules mathématiques, auxquels nous ont habitués bien des auteurs du champ considéré, Christian Fierens résume la logique de l’inconscient et en tire les conséquences pour son écriture. Vraisemblablement aussi pour sa pratique, mais ça, nous ne le saurons pas, car il se contente de l’appliquer dans l’ici et maintenant de sa pratique de l’écriture. C’est le petit point de critique que je pourrais faire à l’ouvrage qui, malgré son langage simple, reste purement théorique… sauf à penser que l’écriture est cette pratique et n’a pas besoin de démonstration en dehors de son acte même. Pourquoi pas ? Comme les mathématiques, la philosophie et la religion, la psychanalyse est autoréférentielle. Ça me laisse quand même un peu sur ma faim. Mais je reconsidère ma position en relisant les presque premiers mots de l’introduction : « je note la différence dans ce qu’à dit celui parle, ou dans ce qu’a fait celui qui ne parle pas ». L’économie de moyens est plus démonstrative que toute complexité. La méthode analytique, au plus près de sa pratique et ici énoncée on ne peut plus clairement.

Le livre s’ouvre sur une étonnante typologie des analystes : il y aurait l’analyste dogmatique, celui qui sait, l’analyste sceptique, celui qui ne sait pas, l’analyste dynamique, qui traque l’énonciation, l’analyste témoin, qui dit ce qu’il y a. Le connaisseur de la théorie lacanienne y aura reconnu une déclinaison de la théorie des 4 discours, et voudra sans doute reconnaître en l’analyste dynamique le parangon du discours de l’analyste. Que nenni ! Car se serait une dogmatisation, qui nous jetterait à notre insu dans le discours du maître. L’auteur démonte les pièges de cette typologie qu’il n’établit que pour en dénoncer les limites, comme toute catégorisation. En première lecture, je me suis laissé prendre au piège, comme tout étudiant en médecine qui se découvre toutes les maladies dont il apprend à reconnaître les symptômes. C’est le piège de l’étiquette que l’on retrouve dans toutes les tentatives de nosographie, qu’elles soient psychiatriques ou analytiques. Il est tellement facile en effet d’associer le discours de l’universitaire à l’obsessionnel, du maitre au paranoïaque, de l’hystérique à l’hystérique sans craindre la redondance, laissant la place triomphante de la normalité au seul discours de l’analyste. Ce faisant, on rabat l’analytique sur le psychiatrique, voire le moral, et on se laisse enfermer dans des cases. Le discours psychanalytique, s’il y en a un, est au delà de toutes les cases, y compris pour lui-même (d’où la réserve, qui n’est pas que de rhétorique : « s’il y en a un »).

Une autre antinomie du livre articule le dire au dit, relevant cette répétitive aporie qui réduit sans cesse le dire au dit, c’est-à-dire l’acte de parler aux signifiés émis. Relation incestueuse, nous dit-il, suivant Lacan lorsqu’il énonce « je métaphoriserai de l’inceste la relation que la vérité entretien avec le réel ». La vérité du dire fusionne et se perd dans l’affirmation du réel des dits. Ce dont il s’agit pourtant en analyse, c’est de dire, dit l’auteur, faisant référence à la fameuse phrase que Lacan discute dans L’Etourdit. Le livre se présente en effet comme une deuxième lecture(1) de ce très difficile article de Lacan ; si sa première lecture s’attachait au mot à mot, celle-ci se saisit du texte dans sa globalité. « Qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend », voilà ce que Lacan y propose au titre de maxime à déployer. C’est bien là ce qui pour moi fait problème : en contradiction avec son texte la Science et la Vérité, publié dans les Ecrits, Lacan exclut tout sujet de cette phrase déposée au creuset de son alchimie verbale. « Qu’on dise », ce n’est pas « Que je dise ». Or, Lacan avait magistralement posé la psychanalyse en dehors de la science, très logiquement, puisque la science, depuis Descartes, se fonde sur l’exclusion du sujet. D’où, toujours logiquement, la psychanalyse en devient possible, s’occupant du sujet exclu de la science.

Mais qu’est-ce qu’un sujet ? Se manifeste-t-il par et s’engendre-t-il de son dire, ou de ses dits ? Christian Fierens emboite le pas de Lacan pour manifester son appétence pour le dire, les dits pouvant circuler entre les sujets indépendamment de ceux-ci, conformément à l’esprit scientifique. Il relève l’infinie répétition qui s’implique dans l’usage des dits, dans une magnifique métaphore où il scie la branche de la langue de bois : « Mais ce cerne du dire ne compte qu’une répétition comme démultiplication des dits où se perd la sève du dire ». (p. 36)

Mais il ne relève pas en quoi l’emploi de l’infinitif « dire » pourrait bien abreuver la racine de cette infinie répétition. Que Lacan dise « qu’on dise », et que Christian Fierens dise « le dire », dans le premier cas le je est dissous dans le collectif du on, dans le second, sa limite se perd dans l’infini de l’infinitif. Comme si l’exclusion du sujet de la science ne cessait pas de se poursuivre jusque dans le discours psychanalytique.

« Mais le discours de l’analyse part de la parole neutre qui ne se laisse déterminer ni par un sujet énonciateur précis, ni par un objet fixé dont on parlerait » (P.35)

Voilà énoncé, à mon sens, le paradoxe de l’analyse : devant s’occuper du sujet exclu de la science, si cependant elle parle ainsi, elle ne laisse pas le loisir de laisser parler un sujet. Certes, comme le fait remarquer l’auteur, il s’agit dans son livre du discours psychanalytique, non du discours d’un psychanalyste. Et pourtant il y a bien un désir de l’analyste, et il n’est pas sans effet. Se pourrait-il qu’il y ait un désir sans sujet ? Ou désir d’analyse tel qu’il courbe le désir de l’analyste à son service, celui du désir de l’analysant ? L’analyste peut-il s’identifier à, dit Lacan, l’objet a, c’est-à-dire ce qui cause le désir de l’analysant ? Le peut-il totalement ? Le doit-il ? car c’est l’analysant qui met l’analyste à la place de la cause de son désir : il reste à l’analyste à y agréer, et si, éthiquement, il le doit, il n’est pas sûr que l’inconscient soit toujours d’accord avec cette sympathique disposition, que ce soit en moins ou en plus.

« Le discours de l’analyste s’écroule sur le désêtre de l’analyste » (p. 44) : c’est ça, le fait de n’être pas ça ! Et, dans la phrase qui suit immédiatement : « il n’y a personne qui puisse tenir le discours de l’analyste à la hauteur d’un vrai discours de l’analyse. » : c’est pas ça, même en prenant ce « c’est pas ça » en définition. La première proposition, issue en droite ligne de Lacan, est reconnue paradoxalement comme idéaliste. Je pense en effet que si un sujet, spécialement l’analysant, se définit de son désir, alors l’analyste, quoi qu’il en veuille, désire aussi, et en cela il n’est pas neutre et il ne peut pas l’être. Ça transparaitra toujours d’une manière ou d’une autre. Autant le prendre en compte, au titre de l’analyse continue à laquelle il se soumet, et qu’il assume de dire « je dis », que j’oublie trop souvent derrière ce qui se dit dans que j’entends.

Christian Fierens attrape les choses autrement, à travers une nouvelle version des amours de Poros et Pénia, censées engendrer Eros. Pour lui, ce sera la dialectique du sans ressource et du ressort. J’accepte de ne rien savoir et pourtant j’y mets du mien ; telle est du moins ma compréhension de sa proposition. Il le dit à l’infinitif (accepter d’y mettre du sien) mais le sujet refait surface dans cette formule que je désire lire plus subjective que moïque. Comme quoi, on ne peut jamais s’en tenir à une seule assertion : la neutralité, présentée plus haut comme nécessaire, s’avère ici non seulement comme impossible, mais l’engagement subjectif est même requis comme condition nécessaire. L’inconscient ne connaît pas la contradiction : c’est ça et c’est pas ça.

Le sexe, dit-il surgit au moment de l’arrêt du sens, renvoyant à cette impasse que relate Freud dans la Traumdeutung : lorsque les associations font défaut, il faut recourir à une méthode auxiliaire, l’interprétation symbolique, en contradiction (c’est moi qui ajoute cette remarque) avec le fondement de la méthode (c’est le rêveur qui interprète ses rêves). Dans le catalogue des significations que propose Freud (qui avait pourtant réfuté l’usage des dictionnaires de symboles), on se rend assez vite compte que tout renvoie à deux significations fondamentales : l’OEdipe et la castration. C’est moi qui le dit. Christian Fierens dit, lui (P .63) : tout renvoie au phallus, en écho, encore une fois, à son précédent livre. Il fait du phallus la pierre angulaire du discours psychanalytique : c’est ça et c’est pas ça, ce que je lis aussi comme : il est là et il n’est pas là. Il nous dit que c’est là que le sens s’arrête, d’où il tire encore un de ses leitmotiv : le sens ou le sexe. J’aurais plutôt dit que c’est là où le sens commence, car c’est à partir de l’impossible de la représentation de l’absence de phallus sur le corps féminin que peut se forger une représentation du corps, excluant de lui la réalité comme extérieure. C’est le commencement, donc le symbole de toute représentation, qui se définit de n’être pas la chose qu’elle représente : c’est pas ça ! Ce n’est pas très différent d’un arrêt, mais je ne suis pas sûr qu’il ne soit plus judicieux de remplacer le « ou » exclusif (le sexe ou le sens, référé aux cercles d’Euler étudiés par Lacan) par un « et » inclusif (le sexe et le sens, comme : c’est ça et c’est pas ça). Mais il nous dit aussi, beaucoup plus loin (p. 174), qu’en opérant ce changement de méthode, on passe de la signification au sens, ce dernier étant le phallus. Il faut toujours se méfier de conclure sur tout propos, et spécialement sur tout propos de Christian Fierens, qui relance sans cesse son discours pour le préciser, le prolonger, le contredire, sans jamais laisser au lecteur le confort d’une signification définitive.

Bref, peu importe, car, fidèle à la structure, il s’empresse de remettre le sexe dans le sens, là où justement il ne peut pas en avoir : il n’y a pas de représentation (donc de sens) de l’absence. En écrivant : « donc de sens », je m’aperçois que j’aurais dit « signifié » à la place de « sens », et j’aurais dit que c’est cette absence de signifié qui ouvre la porte au sens, que je dis sens de l’orientation, pour le distinguer de toute signification. Cela fait partie des nombreux glissements du signifié des mots qui, selon les contextes, ne disent pas exactement ce qu’ils disent. On trouve ça chez Lacan comme chez tout le monde, et aussi dans cet ouvrage, où cette définition du sens comme orientation surgit aussi sur la fin, en démenti de son usage dans le sens « signifié » dans la formule : le sexe ou le sens. Car le sexe oriente d’autant plus qu’il ne trouve pas de signifié : il faudrait préciser, à mon sens : au niveau du corps féminin. Ainsi s’institue une tension entre le « y’a » et le « y’a pas » qui oriente, c’est-àdire, fait sens.

D’où une longue interrogation des formules lacaniennes de la sexuation, sous les auspices de la négation. Aucune ontologie, pas d’essence du féminin, pas plus que du masculin, mais un non rapport sexuel, que j’aime référer aux nombres Réels : un rapport qu’on ne peut pas calculer, car le calcul en serait infini. Christian Fierens lui, réfère cela à la puissance du continu démontrée par Cantor, mais c’est la même chose. « Il s’agit de rompre l’analyste, de briser tous les rôles appris, toute les tables de la loi du bon psychanalyste, pour qu’il devienne vraiment acteur dans le réel, dans l’impossible du discours psychanalytique » (p. 101). Voilà une forte définition, on ne peut plus négative, destinée à relancer sans cesse l’analyste qui prendrait le risque de s’endormir sur son statut.

Encore une petite remarque de vocabulaire. Christian Fierens emploie le terme de « dimension » pour qualifier les trois éléments de la trilogie Réel, Symbolique, Imaginaire. C’est une façon métaphorique d’en parler. Pourquoi pas. Mais cet usage du terme « dimension », en le soustrayant à son champ d’intervention premier, l’appréhension de l’espace, laisse entendre une identité des trois, comme celle des trois ronds du nœud borroméen. Je ne crois pas qu’on puisse inférer une quelconque identité à ces trois registres. Comme les trois ronds, ils s’articulent, mais ils ne sont pas identiques comme le sont les trois ronds ou comme le seraient trois dimensions d’un espace. Non seulement ils ne sont pas identiques mais ils s’excluent l’un l’autre, comme le trou (S) exclut la surface (I), ce qui construit un espace (surface bornée par le trou, trou bordé par la surface) qui dans son ensemble exclut le Réel (R) (sans bord ni borne).

Alors quelle est l’étoffe du discours analytique ? L’auteur nous le dit clairement : c’est la cause du désir, soit : le meurtre du père, autrement dit l’objet a de Lacan, dans son acception imaginaire. Il ne peut se réduire à aucun dit, ni à aucun dire. Il se présente parfois comme une étoffe, et dans le droit fil de sa logique, comme une coupure. « Pure coupure » ajoute-t-il, ce que je comprends ainsi : une coupure taille dans une étoffe, une pure coupure n’a même plus d’étoffe dans quoi tailler, ce qui l’annule comme coupure. Pour moi c’est le paradoxe écrit par la bande de Moebius : une coupure qui est aussi une étoffe. Mais Christian Fierens, suivant le propos de Lacan, entend la bande de Moebius comme pure coupure, ce qu’elle n’est pas, sauf au sens que je viens d’indiquer plus haut : à entendre que, justement, elle ne coupe pas, du moins pas totalement, selon qu’on se penche sur la bande de Moebius homogène (elle ne coupe rien) ou hétérogène (elle coupe et ne coupe pas)(2). C’est bien la caractéristique du discours schizophrénique, à quoi s’assimile le discours psychanalytique : la coupure y est partout et nulle part. Ainsi, conclut Christian Fierens, le discours psychanalytique n’a pas de consistance, et il ne peut y avoir du discours du psychanalyste, seulement un discours psychanalytique. Ce sont de petites mises au point, mais elles sont nécessaires.

Je note cependant un abus de l’adjectif « pur » qui est un peu mis à toutes les sauces, apportant quelques malentendus dont celui que je viens de déplier, laissant trainer aussi quelque relent d’idéal dans un texte qui pourtant vise à en énoncer toutes les occurrences pour les dénoncer aussitôt. C’était déjà une petite manie de Lacan, et on comprend qu’un passionné de l’oeuvre du grand psychanalyste lui emboite le pas dans cette modalité rhétorique, tout en lui sachant gré de son effort pour tendre vers une simplicité par laquelle il se dégage du gongorisme de son auteur de référence.
Le sens du discours psychanalytique, c’est donc le non-sens, et sa structure, c’est l’interprétation. Je note avec joie mon accord avec Christian Fierens sur l’unicité de la structure : faire un diagnostic de structure n’a pas de sens. Le discours psychanalytique est modification de la structure, donc structure de la modification. C’est quand même une rareté dans le champ analytique qui a grand-peine à achever sa rupture épistémologique d’avec la médecine. L’interprétation dont il parle vise le non sens du dire, non les dits. Elle le fait par le biais de l’équivoque, sur les trois plans de l’homophonie, de la grammaire et de la logique, qui s’articulent comme les trois ronds du noeud borroméen. Pas l’un sans l’autre. Ici Christian Fierens corrige la bijection RSIa trois ronds, en écrivant : « j’ai présenté l’homophonie comme imaginaire, la grammaire comme symbolique, la logique comme réelle. Mais c’est dans le jeu réciproque de ces dimensions que chacune prend à son tour la couleur imaginaire, réelle, symbolique. » (p. 178).

Je ne rentrerais pas plus avant dans le rapport que l’auteur ne cesse d’articuler, tout au long de l’ouvrage, entre philosophie et psychanalyse. La philosophie précède-t-elle, accompagne-t-elle ou transcende-t-elle la psychanalyse ? « Le philosophe recueille lui aussi un certain nombre de significations et il les questionne en essayant de donner un sens nouveau. Ce sens ne peut se réduire à une signification générale synthétisant l’ensemble. La dialectique transcendantale de la Critique de la raison pure, a déjà montré l’illusion d’une synthèse générale. Il n’y a pas de formule générale de l’Etre, de l’humain, de la connaissance de la morale. Reste la question du sens d’une finalité sans fin » (p. 147).

Certes, dit ainsi, on comprend bien la similitude avec le discours psychanalytique. J’ai lu peu de philosophes, je ne peux me prétendre capable d’amorcer une discussion avec la formidable culture philosophique de l’auteur. Mais j’ai lu beaucoup de rêves, les miens principalement, et ceux lus conjointement avec mes analysants. Et là, il me semble se dégager une différence fondamentale. Même si le philosophe aboutit à la dénonciation du savoir absolu, engendrant l’exclusion du sujet de la science, et même s’il promeut l’universalité du sujet, tout cela ne remplace pas l’expérience particulière de chaque sujet qui s’engendre de son non-savoir. Le philosophe reste dans l’universel du discours. Certes on me rétorquera : mais que valent les petites histoires particulières au regard de l’universel de la théorie, valable pour tous ? Je réponds : elles valent ! Car en psychanalyse la théorie ne s’applique pas, surtout lorsqu’elle est poussée au bout de sa logique propre, comme l’y amène Christian Fierens. Au bout du non-sens.

Dans la pratique, il faut néanmoins en passer par la découverte de significations, par la fabrication de signifiés, étapes nécessaires, non en tant que telles, mais pour leur fonction de repères où appuyer le sens de l’orientation. Du flou d’un discours schizophrénique nécessaire, l’association libre, il faut bien construire des îlots d’étoffe en taillant autour. Opération nécessaire à s’apercevoir du réel qui ici et là résiste à la coupure, tandis qu’ailleurs, la résistance s’effondre sous le fil aiguisé de la parole.

Alors, l’analyste, pur réel, pur objet a ? J’ai déjà dit ce que je pensais de l’adjectif. C’est de l’impureté, de la dissymétrie, du trébuchement, que jaillit l’étincelle humaine. Je suis convaincu par l’habile démonstration de Christian Fierens sur l’impossible du discours psychanalytique. Il me semble que je ne ferais qu’aller dans son sens si j’ajoutais un « c’est pas ça » à sa conclusion sur cette place objectale de l’analyste. Un bout de sujet résistera toujours, d’autant que l’analysant, comme tout sujet, ne place l’analyste comme cause de son désir que si ce dernier présente des failles par où il s’avoue désirant. Quel analyste n’a pas entendu des questions sur son statut familial, un changement dans le décor de son cabinet, une interrogation sur la tonalité de sa voix lorsqu’il aura énoncé quelque remarque ? L’analysant est à l’affut du désir de l’autre. Ce qui cause mon désir, c’est bien le fait que l’autre me désire, sinon quel intérêt ? Pour moi, il est là, l’impossible du « pur » discours analytique, à moins de dire que, pour qu’il se rapproche de sa pureté, il doive accepter ses impuretés. C’est en ce sens que les petites histoires de chacun peuvent prendre leur aspect de signifié fantasmatique, mur nécessaire à traverser pour dégager un certain non-sens pas totalement insensé, car permettant l’orientation. Là se trouve l’intérêt impossible à éradiquer du « je dis » limité que j’oppose au « qu’on dise » désubjectivé et au « dire » infinitivé.

Richard Abibon

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(1) Lecture de l’étourdit, l’Harmattan, 2002.
(2) Voir : http://www.une-psychanalyse.com/modalites_d_ecriture_de_la_bande_de_moebius.pdf
et http://www.une-psychanalyse.com/des_raisons_d_une_ecriture_a_trois_torsions.pdf

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