Richard Abibon à lu … (En fin d’article Reponse de Chistien Fierens à Richard Abibon) |
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On trouve parfois des bûcherons scieurs de langue de bois. Christian Fierens est de ceux-là. Avec les planches, il nous reconstruit du concept solide comme un parquet de chêne. Je ne suis pas forcément d’accord avec lui sur tout, et d’ailleurs nous allons en discuter. Mais au moins, nous avons du pain sur la planche. A commencer par le concept fondamental du lacanisme, le signifiant. C’est un vocable devenu tellement commun dans les écoles de psychanalyse et dans la littérature, qu’on ne sait plus ce qu’il veut dire. Il fait partie de meubles, et personne ne songe à le brûler pour maintenir le four en température, tandis que le concept se fait porter pâle, ici. Alors Christian Fierens se demande tout bonnement ce que ça veut dire, le signifiant, mais pas seulement le signifiant : le diagnostic dit structural, les schémas de Lacan, la forclusion du Nom du Père, les 4 discours, le temps logique, les formules de la sexuation vont passer au crible de son tamis critique. Autrement dit, il nous refait « les 4 concepts fondamentaux » sous un autre angle d’attaque. Si Lacan revisitait les concepts freudiens, Christian Fierens retourne aux concepts lacaniens, et ça ne laisse pas de bois. Je voudrais d’abord dire mon accord global à son propos qui est pourtant rare de nos jours, notamment lorsqu’il s’agit de diagnostic dit structural et de forclusion. Ils sont devenus les schibboleths du lacanisme. On entend et on lit beaucoup de choses autour de ceci : avant d’engager toute analyse, il faudrait « savoir à qui on a à faire », c’est-à-dire avoir su distribuer l’impétrant dans les trois catégories dite structurales : névrose, psychose et perversion. Cette répartition n’est même pas de Freud. Elle n’est que le titre donné par un éditeur bien intentionné à un recueil d’articles du père de la psychanalyse. Il n’est pas dit que ça ait été le propos de Lacan non plus. Il suffit de parcourir son œuvre en répertoriant ses emplois du mot « structure » : la plupart du temps, il s’agit de la structure du langage, et il faut se rappeler que le terme vient de Lévi-Strauss, chez lequel il signifie structure du mythe, mise en rapport de tous les éléments d’un ensemble. Il ne renvoie à aucune catégorie, mais au langage dont se servent les sociétés pour écrire leur fondement (le mythe) leur fonctionnement religieux (le rite) et leur système de parenté (notamment le mode d’échange des femmes). Névrose, psychose et perversion ne sont que des modalités de la structure du langage commune à tous, et ces modalités coexistent chez tous, à des degrés divers chez chacun. Et chacun des mécanismes de défense correspondant à ces modalités de la structure (Verdrängung, Verneinung, Verwerfung) sont des modalités du refoulement. Continuer à faire du diagnostic, alors qu’on est psychanalyste, revient à ne pas s’être aperçu de la rupture épistémologique qu’a inaugurée la psychanalyse par rapport à la médecine. J’irais même à peine plus loin que Christian Fierens dans cette voie en laissant tomber les termes de clinique et de patient, que je laisse volontiers à la médecine. Le médecin diagnostique (dia : à travers : gnostique : un savoir) un patient (qui souffre et patiente – passif) au sein d’une clinique et éventuellement, il guérit. Le psychanalyste ne fait pas de diagnostic et a une pratique de l’insu (un non-savoir) dans le transfert avec un analysant (qui souffre et analyse – actif), qui en éprouve éventuellement un soulagement. Ici se pose la question des rapports de la théorie et de la pratique que Christian Fierens aborde à la fin de son ouvrage en termes de clinique. Mais n’anticipons pas, et avançons pas à pas dans la critique au sens kantien du terme, référence qu’il ne renierait pas puisque Kant revient souvent à l’appui de ses propos. Qu’est-ce que le signifiant?Sans doute faut-il toujours introduire une déformation dans un discours afin d’en prendre suffisamment de distance pour en même temps que l’entendre, le critiquer. C’est particulièrement lisible lorsqu’il s’agit d’un schéma. Grâce à un simple changement de sens des flèches du schéma L Christian Fierens nous le restitue dans une limpidité inconnue jusqu’alors. Le voici en regard du schéma L de la page 53 des « Ecrits » :
Si Lacan centrait tout sur le moi qui perçoit, se plaçant donc de ce point de vue, Christian Fierens oriente tout vers l’autre, ce qui est un point de vue freudien. On reconnaît en effet dans ce schéma celui proposé par Freud à Fliess dans sa lettre 52, moyennant quatre torsions qui permettent un double parcours : direct, de la perception à la motricité, c’est le langage de la connaissance, celui de la conscience aussi (imaginaire) ; indirect, passant par l’inconscient, il s’agit encore du langage, mais de celui qui aboutit aux rêves, aux lapsus, aux symptômes et aux actes manqués (symbolique). Christian Fierens cite en note JM Vappereau (Etoffe, p. VIII) qui avait proposé avant lui un rabattement du schéma de la lettre 52 de Freud à Fliess sur le schéma L. Je trouve dommage qu’il ne l’ait pas reproduit dans son propre ouvrage, car c’est de la vision multiple que peut surgir le relief de la compréhension. Schéma de la lettre 52 de Freud à Fliess On notera que, bien que démuni de flèches, le schéma F de JM Vappereau implique un sens, imposé par le schéma de départ de Freud qui contraint aussi à un changement de sens par rapport au schéma L. Le problème n’est pas ici de trouver le bon sens, mais d’avoir le bon sens de trouver son miel dans chacune des figures qui s’éclairent l’une de l’autre. * – en faisant partir toutes les flèches de A, Lacan mettait l’accent sur une origine qui serait le langage, inaugurant une ligne du signifiant bifide, droite d’un côté (Aàa) sur lequel on peut installer en effet les signes de perception de Freud, tordue de l’autre par le passage dans un inconscient qui n’est pas seulement localisé à l’Autre mais bien intermédiaire entre le sujet S (où il reconnaît le Es, le ça de Freud) et l’Autre. * – en imprimant seulement quatre torsions au schéma de Freud, Vappereau nous montre comment la perception rejoint la conscience, selon les indications de Freud lui-même. L’accent est mis sur la continuité de la ligne signifiante dont le double usage se remarque plutôt au niveau du croisement inconscient-conscient. Comme chez Freud, tout part de la perception et non de l’Autre comme chez Lacan. Mais ne faut-il pas l’aide l’Autre pour percevoir quoi que ce soit, ne serait-ce que sa propre image au miroir ? et que serait l’Autre sans l’appui perceptif qui nous permet d’entendre ce qu’il dit, de voir ce qu’il nous montre ? Comme le schéma se referme sur lui-même on peut aussi supposer que tout part de la conscience. En fait on commence à percevoir la circularité nécessaire à l’appréhension globale de ce qu’on cherche à cerner. Si, chez Lacan, le moi reste le point de rencontre des deux parcours, accentuant sa fonction de synthèse, chez Vappereau aussi, on peut lire si l’on veut, cette synthèse sur le moi (c’est ainsi que je l’ai entendu en parler) mais son schéma la laisse en suspens quelque part entre le moi et l’autre. * – en introduisant la motricité comme point de synthèse des deux parcours, dont l’un est inversé par rapport au schéma L de Lacan, Christian Fierens emphatise non seulement l’acte, qui est prolongement de la perception, mais aussi la parole, qui est un acte, selon Freud lui-même : elle met en jeu les muscles phonatoires, comme tout acte visant à s’assurer une maîtrise sur le monde extérieur, dont l’autre fait partie. Il nous fait surtout bien saisir en quoi le langage de la raison commune (perceptionà motricité) diffère du langage de l’inconscient tout en s’y articulant. Si l’aboutissement des deux langages se situe dans l’autre, c’est bien qu’il n’y a ni moi sans autre, ni sujet sans Autre. Ce n’est qu’en mettant en œuvre le rapport à un autre de la réalité que pourra se mettre en jeu le rapport au grand Autre révélant la dimension inconsciente de toute relation. Chaque façon d’écrire amène donc son lot d’interprétations permettant de relativiser la pertinence d’un seul schéma. En l’occurrence, si nous n’étions pas encore convaincus de la vanité des interrogations sur l’origine, ce parcours des écritures ne peut que nous en assurer. Il n’y a aucune raison de faire dogme de quelque écriture que ce soit et il faut rendre hommage aux chercheurs qui, en proposant une petite modification de la lettre initiale, nous donnent à lire autre chose, favorisant le débat et l’invention future. Je pourrais étoffer l’appareil critique d’un vêtement supplémentaire en regrettant le pointillisme de chacun de ces schémas. En effet, ils représentent des concepts différents par des graphismes semblables, ici, des points. La différence de chacun de ces points ne tient pas à sa réalité graphique, mais à sa nomination qui reste extrinsèque au schéma. Ce pourquoi ce ne sont pas, selon moi, des schémas topologiques. J’appellerais ainsi les seuls schémas qui, par le réel de l’écriture, décrivent les concepts qu’ils sont chargés de représenter. Il me semble que c’est ce qu’a cherché Lacan par l’introduction de la topologie dans son enseignement, sans jamais avoir été très explicite à ce sujet, ni y être vraiment parvenu. Par exemple, nous avons ici une ligne décrivant la fonction signifiante : AàS, (perceptionàmotricité) et une autre décrivant son produit (aàa’). L’autre et le moi, ce dernier étant formaté sur l’image de l’autre, sont des produits de la fonction langagière. Les écrire de la même façon efface cette différence entre la fonction et les objets qu’elle produit, induisant de multiples malentendus. En algèbre, le rôle d’une fonction f, c’est la mise en rapport de deux variables x et y : y = f(x). Traduit graphiquement, cela signifie que la fonction décrit en intension tous les objets produits par cette mise en rapport, qui sont les extensions de cette fonction. Cette fonction s’écrit alors d’une courbe qui réunit tous les points objets répondant à la définition y = f(x). Cette courbe, quant à elle, occupe une certaine surface, dessinant ce que j’appellerai une lettre, notamment si elle se recoupe. Voici définie de manière logico-mathématique les différences entre le point (zéro dimension, objet), la ligne (une dimension, la fonction en fonctionnement) et la surface (deux dimensions, fonction considérée comme un objet, produit de la fonction). Ceci peut se lire plus concrètement dans le cadre de notre discipline comme suit : la fonction signifiante se laisse écrire comme une ligne à une dimension conformément à la proposition de Saussure constatant très justement l’accrochage du signifiant au temps et à son déroulement linéaire. Chaque point de cette ligne se situe dans cette différence diachronique, fort bien repérée par Christian Fierens comme au fondement du signifiant, seule différence attribuable à la conception lacanienne du signifiant, en l’opposant à la différence synchronique « qui ne définit que des individus (et non de vrais sujets) »(p.39). Ainsi j’appellerai signifié cette surface découpée par la courbe linéaire du signifiant en tant qu‘elle se recoupe. Son autre face, venue au jour du fait de cette découpe, sera appelée signification et rendra compte de l’inconscient tel qu’il se révèle lorsqu’on retourne cette rondelle par un nouveau parcours de son bord signifiant, l’interprétation. La topologie, appuyée sur une répartition claire des dimensions, nous permet de différencier graphiquement, en distinguant bord, surface et trou, ce qu’il en est des différences conceptuelles. Le signifiant, ici compris comme fonction signifiante sera le bord (à une dimension) qui a découpé dans une surface une rondelle permettant d’isoler ces deux objets, un signifié et une signification, morceaux de surface (à deux dimensions) circonscrites par le signifiant. Sans ce recours à la topologie, il me semble qu’on est contraint à des contorsions de définitions complexes et peu fiables. Et c’est ce que j’ai cru lire dans les louables tentatives de Christian Fierens pour tenter de nous sortir des ambigüités laissées par Lacan. Lacan lui-même y a été sensible sur la fin de sa vie en nous laissant croire dans « Lituraterre », qu’il avait toujours fait cette distinction claire entre la lettre et le signifiant. Ce n’est évidemment pas le cas. Cependant il apporte là un éclaircissement tardif qui nous permet de revisiter son œuvre avec des outils conceptuels un peu plus clairs. Christian Fierens semble être resté dans cette confusion de la lettre et du signifiant qui a traversé toute l’œuvre de Lacan. Mais comme il a été sensible à la difficulté conceptuelle entraînée par cette confusion qu’engendre l’usage du terme « signifiant » à tout propos, il tente une différenciation au sein même de l’emploi du terme en opposant la différence diachronique à la différence synchronique. Si je l’ai bien compris (ce qui n’est pas évident, compte tenu de la difficulté), j’appellerais signifié cette différence synchronique dans le signifiant, et je réserverais l’appellation de signifiant à ce qui fait différence diachronique, car le temps est nécessaire à l’énonciation – que Fierens appelle de son côté, toujours si j’ai bien compris, le discours – : il faut bien avoir le temps d’aligner les signifiants les uns derrière les autres, tandis que le signifié s’inscrit dans la mémoire comme une lettre dans le marbre, trouvant son fondement dans la différence synchronique. Cette distinction me semble trouver sa fondation non seulement dans Saussure, mais encore dans le Freud de « l’Esquisse ». Dans cet ouvrage en effet, Freud découvre logiquement la nécessaire différence entre des neurones dits de perception, qui doivent laisser passer la quantité dans la diachronie, et les neurones dits de mémoire, qui, au contraire, doivent la conserver dans la synchronie. A partir de là, une distinction peut se faire entre la mémoire consciente et la mémoire inconsciente, ce qu’il parviendra à conceptualiser clairement dans son article « L’inconscient », au sein de sa « métapsychologie » de 1915. La différence entre les deux types de mémoire tiendra alors en ce que la mémoire consciente conserve un lien entre représentations de mots et représentations de choses (la première face de la rondelle, autrement dit, la lettre, le signifié) la mémoire inconsciente contient les représentations de choses (signification, Autre face de la surface, autrement dit : la lettre volée) qui ont perdu leurs liens avec les représentations de mots c’est-à-dire les signifiants (on ne peut pas retourner la rondelle). C’est sans doute de ne pas s’être appuyé sur cette distinction fondamentale chez Freud : entre représentation de chose et représentation de mot, que Lacan, jetant tout le poids sur le signifiant comme nom substitutif de la représentation de mot, a été obligé de l’employer dans des registres différents, justifiant Fierens de trouver cette distinction entre diachronie et synchronie pour tenter de sortir de la confusion dont un simple retour à Freud aurait pu faire l’économie. Sans doute aurait-il pu s’aider d’un recours à une topologie qui transcrit graphiquement les différences conceptuelles au lieu d’écrire les différences conceptuelles en usant de la nomination différente de lieux graphiquement similaires. J’en reviens donc à mon point de départ et aux divers schémas qui ponctuent l’histoire de la psychanalyse depuis celui de Freud dans la lettre 52. Dans cette dernière, Freud nomme différemment des points de son schéma graphiquement semblables. Alors même qu’il avait compris la nécessité de neurones aux qualités différentes (perception, mémoire), il ne trouve pas la qualité graphique qui va rendre compte de cette distinction conceptuelle fondamentale. Tout au plus produit-il une tentative dont il ne fait pas explicitement état dans son texte, en introduisant des différences dans le nombre des petites croix qui marquent les différents lieux. Trois pour la perception, le préconscient et le conscient, quatre pour les signes de perception et l’inconscient. Cette différence graphique s’efface dans tous les schémas ultérieurs, y compris celui du chapitre 7 de la Traumdeutung. Les chiffres romains I, II et III surmontent cependant les lieux d’inscription (SP, ICS, PCS) distinguant radicalement ces trois lieux des deux lieux où l’on quitte l’écriture pour la parole (conscient, motricité) et l’écoute (perception). Ce qui me semble justifier une différence graphique fondamentale entre une et deux dimensions : l’écriture, c’est-à-dire la lettre, implique toujours deux dimensions, tandis que la parole, c’est-à-dire le signifiant, n’en nécessite qu’une, la ligne du temps. La fameuse double inscription freudienne, c’est cela : en représentation de chose d’une part (deux dimensions) en représentation de mot d’autre part (une dimension qui fait le bord de l’autre inscription), sachant que cette dernière bénéficie de deux versants, l’une comme écriture en tant que bord de la surface (car le souvenir de ce qu’on entend reste en mémoire), l’autre sans écriture, pur signifiant, énonciation sans dimension, trou, dont on ne peut savoir quelque chose qu’en tant que bord du trou. Ainsi pourrait se dessiner une autre écriture du schéma L, dans laquelle la ligne Aà S serait ligne, à une dimension, et deviendrait surface pour soutenir l’opposition aàa’. Je dis bien « deviendrait », car il s’agit d’une différence prenant place dans le cadre de la continuité que présentifie le schéma L. Or qu’est-ce qui présente une continuité paradoxale entre surface et coupure, sinon justement la bande de Mœbius ? Je crois que Lacan a eu cette intuition en étoffant son schéma L pour le transformer en schéma R. Si L est tout en lignes, R est tout en surfaces, et c’est seulement en 66, lors de l’édition des « Ecrits » que Lacan a proposé cette idée de refermer le schéma R en bande de Mœbius, lui restituant d’un manière plus complexe son rapport aux lignes du schéma L. Le sale R du schémaC’est là où je me situe en désaccord avec Christian Fierens, qui critique vertement le schéma R en basant sa théorisation préférentiellement sur le schéma L. J’agrée cependant au fondement de sa critique, qui est le suivant : le schéma R ajoute au schéma L ce que Christian Fierens appelle des « supports nominaux » :
(J’ai restitué le sens attribué par Lacan aux flèches du schéma L ; elles sont inversées en a’àa et a’àA dans l’ouvrage de Christian Fierens. Il n’y a pas de flèches dans le schéma R original) M : le « signifiant » de la mère comme objet primordial Christian Fierens critique ici avec raison l’emploi par Lacan du terme « signifiant ». Car s’il s’agit de la mère et qui plus est en « aboutissement de la succession des figures imaginaires Si, Sa1, Sa2, San, SM » (écrit Lacan), il est difficile de ne pas y lire un signifié, au vu de la définition du signifiant par le même Lacan : un signifiant représente un sujet pour un autre signifiant. Ce ne saurait être un aboutissement, mais une chaîne qui sans cesse ouvre sur de nouveaux signifiants. Peut-être Lacan a-t-il voulu signifier que l’objet primordial, comme tout objet, finalement ne peut être aperçu que par le biais du signifiant. N’empêche, cela signifie de toute façon que l’objet ne pouvant être atteint, le signifiant ne se constitue pas en aboutissement, car l’objet primordial, même si l’on court après dans la succession des signifiants qu’on produit en analyse, se caractérise, (toujours selon le même Lacan) de sa fondamentale absence auquel le signifiant doit sa dynamique. L’attribution d’un « support nominal » (la mère) comme dit Christian Fierens, en tant qu’il nomme un aboutissement, gomme ce qu’avait de révolutionnaire l’invention du signifiant et son écriture dans la circularité croisée du schéma L. « Le signifiant qui est vraiment signifiant n’est jamais spécifié par son objet » (Fierens, p.83). J’ajoute personnellement que, pour donner une cohérence à l’articulation des concepts lacaniens entre eux, il me semble qu’il faut se servir du point d’aboutissement de Lacan dans son travail historique d’élaboration. Et alors, dans cette perspective, il ne reste que la possibilité d’appeler lettre au lieu de signifiant, et de surcroit lettre volée, cet objet primordial qui toujours se dérobe à la saisie, meilleure définition de ce qui est d’ailleurs inscrit au schéma R d’un petit a sous ce grand M. Le même raisonnement vaudrait pour P et I si Lacan avait écrit « signifiant ». Toutefois, même si Lacan ne l’a pas écrit, il n’en reste pas moins que l’inscription du Père en A donne un support nominal à la fonction symbolique, et induit le lecteur dans une chute vers la figure imaginaire du pater familias, au même titre que l’image du moi m se précipite vers son idéal I. Tout ceci pourrait nous ramener à la référence œdipienne en termes de papa-maman-bébé, alors que toute la nouveauté de Lacan a été de nous sortir de cette référence pour resituer la question plus largement dans l’accession au langage. L’objet primordial n’y est plus la mère, mais la Chose, la fonction du Nom-du-Père n’a plus rien à voir avec le père, mais avec la fonction symbolique, et le sujet n’est plus l’enfant comme individu, mais l’exercice de la fonction langagière par celui qui s’en saisit. En bref, je dirais, dans mon vocabulaire topologique, que ce que repère Christian Fierens dans le passage du L au R, c’est un passage de la coupure à la surface, du signifiant comme bord de la coupure à la lettre (signifié) comme aboutissement d’une coupure se refermant sur elle-même. Or il suffit de le dire ainsi et de relire la note ajoutée par Lacan en 66 pour se rendre compte que le mouvement de fermeture en bande de Mœbius qu’il propose sur le schéma R n’est autre que la prise en compte de cette ambigüité fondamentale de la lettre et du signifiant qui s’interpolent l’un l’autre dans le paradoxe du 1 = 2 : deux dimensions, sur la bande de Mœbius équivalent logiquement à une dimension, ce qui revient à dire cette absurdité pourtant logique : la coupure, c’est la surface. Il n’est pas étonnant qu’il ne soit pas facile de repérer dans l’œuvre de Lacan cette différence entre lettre (2 D) et signifiant (1D), et que lui-même s’y soit un peu perdu parfois. C’est la structure même du propos qui veut ça, car nous ne pouvons parler, en usant du signifiant, qu’à partir des lettres que nous avons mises en mémoire, et nos paroles aussitôt dites ne cessent pas de s’écrire sous forme de lettres. Ce jeu perpétuel entre une et deux dimensions, c’est aussi celui qui ne peut que se jouer entre un support nominal, c’est-à-dire un signifié, et les signifiants qui ne peuvent que le produire par leur mouvement dynamique. Mais en se situant dans un autre vocabulaire, Christian Fierens en vient à écrire : « Ce schéma R comme support pour le schéma L paraît réactionnaire par rapport à l’avancée de Lacan. Il présente le symbolique comme lié au support de l’imaginaire, comme si le dire pouvait être supporté par la réalité. » (p. 85). Or, oui, à mon sens le symbolique est lié au support de l’imaginaire, de la même façon qu’un trou est lié à son bord et qu’on ne saurait concevoir aucun trou sans bord. De même encore, oui, le dire est bel est bien supporté par la réalité, à moins que ce ne soit l’inverse. Le dire construit la réalité en s’appuyant sur cet impossible qu’est le réel, qui en fait le cadre exclu. La réalité, c’est ce sur quoi on parvient à se mettre d’accord en usant du dire. Par exemple qu’on ne peut pas traverser les murs, qu’on n’échappe pas à la mort, etc. Ce faisant, nécessairement, le dire ouvre les possibles en fonction des contingences. Considérant le schéma R comme une régression, Christian Fierens en vient à situer le graphe dans la continuité d’avec le schéma L. Or, je ferais au graphe la même critique qu’à tous les schémas pré-topologiques de Lacan. Il emploie le même code graphique pour écrire des concepts totalement différents. Ainsi, dans le graphe, A, qui est une fonction, est écrit de la même façon que s(A) qui est le signifié, c’est-à-dire le produit de cette fonction. d, le désir, qui est décrit comme un trou dans le parcours signifiant qui s’inaugure comme bifide à la rencontre du A, est écrit finalement sur le même mode que le fantasme, qui est une surface venant boucher ce trou. Par ailleurs, comment s’y repérer dans la jungle des schémas de Lacan, si dans le schéma optique, il confie au miroir, qui est l’opérateur fonctionnel, cette appellation de A, tandis qu’il la retranscrit en surface au schéma R, comme si cette surface dépendait de la fonction trouure de P ? Pourtant Christian Fierens analyse fort bien le recollement mM et iI que Lacan suggère dans sa note de 66. Il en déduit même une question fort intéressante, qui met en regard le narcissisme et le stade du miroir, selon qu’on recolle la bande centrale du schéma par ses grands côtés (MI, mi- stade du miroir) ou par ses petits côtés (iM, mI- narcissisme)(p. 113-114). Il y repère que les points M et I perdent dans cette opération leur surface de signifié (je retraduis dans mon vocabulaire topologique) et redeviennent des signifiants. En effet l’opération de raboutage revient à situer ces quatre points sur le bord de la bande de Mœbius, sans que plus rien ne les distingue. Comme telle, cette opération s’assimilerait d’ailleurs à la suppression d’une dimension (y), voire de deux (x et y) si elles ne réapparaissaient pas subrepticement dans la combinatoire y = ax , mais en créant la 3ème dimension virtuelle, z :
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Christian Fierens
"LOGIQUE DE L’INCONSCIENT" Lacan ou la raison d’une clinique Editions L’Harmattan