L’Invité : mardi 8 novembre 2005

Christian Fierens pour le livre "Comment penser la folie ? essai pour une méthode" Editions érès Présentation par Jacqueline Massola

 

Votre invitation a un genre radical : « Il s’agirait de reconnaître la possibilité de notre propre grain de folie » et « de rester ouvert à la question de la folie »
Je souhaite présenter les enjeux de votre livre.
Votre livre, admirablement articulé, est dépourvu de ce qu’on appelle « vignette clinique », censée agrémenter ce genre de littérature. Il n’y en a qu’un, qui, clairement vous concerne. Un tout-à-fait essentiel puisqu’il vous situe. Il vous situe au plus près de votre conception de l’objet « a ». De l’objet que je ne puis nommer « a » puisque jamais vous ne le nommez ainsi.

 

Essentiellement, là où nous est servie la psychose comme réalité, comme fait donné, vous nous invitez à, nécessairement,  penser la folie.
Un des antécédents majeurs de cette affaire est patent dans vos références : toujours affleure « D’une question préliminaire à tout traitement de la psychose ». Une autre possible référence (Foucault) est, pour le moins plus discrète.

Vous reprenez donc ce fil. Ca ne va pas sans un remuement général de la pensée. C’est donc une lecture qui n’est pas de tout repos. J’ai pris la précaution de cueillir quelques citations, histoire de vous en faire résonner la frappe :
« Il s’agit de mettre en question la réalité de la psychose au profit d’une pensée de la folie »
« Ce n’est pas un déni de la psychose, mais une procédure qui questionne la pensée, qui questionne la définition, son statut »
Tel est le mouvement introductif. Il est tenté, tenu jusqu’au bout.
Remuement de la pensée commune donc, qui nécessairement reprend les fondements : de ré-envisager ce que toute approche de notre pensée, toute approche de la question de l’existence de quelque objet que ce soit, doit aux modalités : possible, impossible, nécessaire et contingent. Rien ne peut être dit de l’existence de l’objet si on n’en passe par les Fourches Caudines des modalités, de la logique

Aristotélicienne à sa reprise Lacanienne Ca n’y suffit pas, bien évidemment. Il s’agit de s’atteler aussi à la question de l’universel. Et d’abord de le différencier strictement de la généralisation. Pour prendre les choses de façon sérieuse on ne peut pas considérer que quoi que ce soit vaut à fonder un concept si c’est seulement généralisation d’un certain nombre de cas. Il s’agit, pour que puisse s’affirmer un concept, d’en passer par la considération de l’universel. On oserait l’espérer à propos de bien des « nouveaux concepts » qui fleurissent dans le champ de la psychanalyse.
Mais continuons d’entendre la résonnance de votre frappe :
« Comment penser au-delà de la raison, comment penser l’antinomie nécessaire de la raison dans la déraison ? Penser la folie, c’est penser la question de la raison jusqu’à la déraison »
Ce « comment » s’appareille des modalités et de l’universel, et amène à ce que ne puisse être « entendable »  que conjointement : la pensée, l’homme, la femme, la folie. A entrer dans cette danse, il y a quelques chances qu’on en vienne à penser. Si par ce livre qui a son pesant de difficultés on accepte de se laisser porter par la ronde des reformulations

que fait-on de cette folie « hors » raison mais qui est à penser à partir d’elle ?

Au-delà de la raison comment entendre la folie, production nécessaire de la raison, en sa clôture ?
Ca donne des énoncés très serrés : il s’agit de prendre en compte ou la position réaliste ou la position nominaliste mais où, toujours, « Je » nomme
« Ainsi je pars de MA rencontre d’une femme et non d’une femme objectivée, je m’ouvre à la contingence de l’universel de la femme en moi-même si cet universel s’ouvre sur la pulsion et l’inconscient »
« Ainsi je pars de Ma folie…
Ainsi nous présentez-vous les mouvements (de la pensée ?) tels qu’ils ne vont pas sans l’implication subjective.
La question de la définition y prend son relief :
La définition prend tout son poids du côté dit de l’homme. C’est le champ défini pour tout homme, champ pourvu d’un définissant : il en existe un qui ne pas, un qui fait bord à ce champ. Ca fait une définition qui tient, qui cerne.
Et il y à ce qui échappe à la définition, ce qui se définit comme échappant à la définition. Plutôt : qui met en question le statut de la définition, qui la rend intenable : c’est ce que vous envisagez du côté du pas-tout, de la femme, de l’impossible de la définition.
Il y a un point crucial : celui de l’objet que vous nous amenez dans un contexte de continuité qui est questionnable.
De l’objet vous dites qu’il est celui d’Hegel, de Kant, de Freud et de Lacan .Vous affirmez cette continuité, vous vous en soutenez. L’objet ainsi abordé se présente ainsi : »La structure comme forme vide applicable à tout objet. Vide de tout objet particulier la structure est disponible pour n’importe quel objet »
Arrivons-en à la clinique qui témoigne d’un ancrage dans les concepts freudiens. Ce qui m’a frappé c’est que la dynamique de l’objet, dans cette référence freudienne, ne nécessitait pas, là non plus, que soit énoncée la coupure que constitue l’objet « a » par rapport aux conceptions de l’objet hégélien, kantien et même freudien.
Vous abordez la folie comme non-être, comme rien au regard de la raison.
Vous envisagez la folie comme façon de saisir le rien, comme 4 façons :
-  Le délire
-  La négativité
-  Le narcissisme
-  La contradiction
S’y conçoit un positionnement de la folie : « Comme fou je m’appuie sur la faille qui sépare le processus primaire de leur temporalisation, de leur réalisation. » La folie est centrée sur le narcissisme primaire, réserve vide de tout objet avant tout déploiement comme narcissisme secondaire c’est-à-dire comme réalisation de quelque objet que ce soit.
La folie reste aux entours du vide de l’objet. La folie est à entendre comme narcissisme primaire, comme espace temps vide (vide d’objet).
Le narcissisme primaire serait donc à considérer comme condition de possibilité (si j’en reviens à vos références philosophiques) à tout investissement d’objet, mais justement il n’y a pas cet investissement. Il y a faille entre la réserve libidinale du narcissisme primaire et ce qui en serait réalisation mondaine de l’objet.
C’est là que vous évoquez l’art du thérapeute. Difficile, compte tenu de la brièveté de cette évocation et l’intérêt qu’elle éveille de ne pas vous en demander plus, justement…
Permettez-moi de vous poser quelques questions, déjà ébauchées à vrai dire :
Sur la méthodologie d’abord : dans l’introduction vous écrivez qu’ « il s’agit d’aborder la folie en chassant les points de vue sociologique, psychologique, médical, politique voire philosophique et psychanalytique ». Mais alors de quel bord partez-vous ?
Question fort importante pour moi. J’ai gardé en mémoire de ma lecture de votre précédent livre (« Lecture de l’étourdit ») un point qui m’avait arrêté. Vous faisiez un parallèle radical entre philosophie et psychanalyse en écrivant : « La psychanalyse pose ses propres idées transcendantales. Pour la psychanalyse l’homme, l’inconscient, l’Oedipe remplacent l’âme, le monde et Dieu dans une même recherche d’une signification primitive »

Cette référence à la transcendance (celle que vous prêtez à la psychanalyse) serait-elle tentative d’un accès direct au structural de l’objet, au structural du manque, sans en passer par ce qui s’en incarne comme perte i.e. ce qui s’en éprouve comme écart. Autrement dit sans l’aborder-en ce qui s’en théorise-comme topologie de l’objet, dès lors objet

Vous avancez que les sujets « constituent leur objet transcendentalement ». Ne fait-il pas cet objet objection à la topologie de l’objet « a » ?
Votre souci serait-il donc une tentative de recouvrement du champ de la psychanalyse par celui de la philosophie ? Et envisager en quoi il peut y avoir un recouvrement exhaustif ?
Je reviens à cette série Hegel Kant Freud Lacan. Je ne puis faire moins que d’y supposer un positionnement (le votre) par rapport à la radicalité de la nomination par Lacan de l’objet « a » (de ses enjeux topologiques). Et de me demander, de vous demander si l’objet « a » est assimilable à l’objet kantien.
Enfin question clinique : à deux reprise et sur une modalité non conclusive vous avancez une continuité entre psychose et névrose comme entre normalité et folie.
Sous une forme prudemment interrogative : « La psychose sera-t-elle le point fixe de toute une vie ou sera-t-elle passagère? »

Jacqueline Massola

 

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