Claude de la Genardière Rue Freud

Hermann, fin 2013

Élisabeth Gailledrat, Éditeur, psychanalyste.
Dans l’édition depuis plus de vingt ans, elle a été présidente des éditions Le Pli, éditant des ouvrages cliniques, classiques et poétiques, puis conseillère éditoriale aux éditions Hermann
(Psychanalyse et Classiques du XVIIIème siècle).
Proche de la psychothérapie institutionnelle et de la clinique de La Borde, elle est responsable éditoriale de la revue Institutions depuis treize ans.
Elle a publié, entre autres : Condillac, Diderot, Stanislas Tomkiewicz, Jean Oury, La linguiste Claudine Normand,
Jacques Schotte, Danielle Roulot, Jean Clavreul, Claude Rabant, Pierre Delion, Joëlle Oury, Jean Cooren, Jean-Louis Feys… et très bientôt, Élie Pouillaude pour un premier ouvrage : L’aliénation. Psychose et psychothérapie institutionnelle.

Élisabeth Gailledrat, Réserve oblique de la fonction poétique du langage.

Pourrait-on dire que le livre de Claude de la Genardière est pleinement placé sous le signe de la métaphore ? Quelque chose dit oui pour la facture même du récit écrit à la première personne. Récit dont on repère une certaine fonction poétique au travail. Tout autant qu’une forme de témoignage dans une collection « psychanalyse » où, dit l’auteur en fin d’ouvrage : « J’écris peut-être une métaphore de la passe ».

J’ai donc mis ma lecture de lectrice-éditeur sous le signe de la « réserve » que je qualifie d’oblique pour la forme poétique, idée que l’on pourrait recevoir ce livre comme un théâtre d’ombres teinté – par la présence même du narrateur – d’une autre ligne oblique : celle faite à soi-même. Quelque chose d’une voix, la mienne un peu baroque, s’ajoute ainsi pour recenser ce récit qui lui-même nous invite à parcourir plusieurs voies, plusieurs chemins de traverse, voire presque autant de petits sentiers qu’il contient de chapitres.

L’ensemble, placé sous le signe de la marche avec pour ascendant rencontre, convient assez à cette randonneuse inlassable, conduite par le fil rouge du retournement dans le temps et l’espace et des interdits mythologiques du retour et du regard en arrière.

Connue comme essayiste d’ouvrages consacrés à la thématique de l’enfance, des enfances, et des mythologies, contes et légendes qui lui sont adressées, C. de la Genardière est notamment l’auteur de Encore un conte ? Le petit chaperon rouge à l’usage des adultes. Mais encore Parentés à la renverse, Faire part d’enfance, Sept familles à abattre…Tenter de déconstruire ce qu’il en est des mythes semble être une démarche singulière et précise. Travail infini, s’il en est, pour autant que « les mythes sont inlassables », comme le dit Lévi-Strauss.

En compagnie de la marcheuse et randonneuse assidue, l’analysante-analyste entrecroise des chemins d’écritures et œuvre tout à la fois à rendre compte d’un travail de transformations psychiques. Là où marcher, tenir, aller vers sont une seule et même position de sensibilité à la rencontre, quitte à traverser le « chanceler, se tenir debout, avancer, chuter », propre aux « mouvements de l’enfant apprenti marcheur, mais mouvements psychiques de tous les âges de la vie » (p. 195).

C’est au cours d’une marche qu’arrive cette surprise qui motive le livre : la rencontre avec l’existence de la rue Freud, située dans le XIXème arrondissement de Paris, rue qui s’avère plutôt la rencontrer, la convoquer.

Si le motif du nom de Freud permet le livre, il me renvoie à quelque chose d’un clin d’œil sur le travail auto-analytique du « père » de la psychanalyse, auteur de la Traumdeutung, s’engageant aussi plus tard dans un essai « à coté » de l’esthétique, comme l’est Das Unheimliche. L’auteur s’y inviterait-elle ? tant ce nom l’oblige, au regard de ses questions sur ce que serait une écriture psychanalytique(1), à une plongée imaginaire « dans les débuts de la psychanalyse ».

Le livre-récit, où la mention de « fiction » figure en bonne place, se déroule à l’appui de paraphes biographiques, de séances analytiques, de voyages, de résonance de textes : philosophiques, littéraires ou mythologiques. Il se parcourt en sorte au travers d’une vitre transférentielle embuée d’histoires et de souvenirs.

Qu’il s’agisse d’analyse, d’auto-analyse, voire de « passe », au sens d’une résolution possible de quelque « passage » difficiles dans ce chemin sur le retournement, nous voilà également témoins de confidences.

Sur un maternel envahissant, certes, mais de confidences retenues récurrentes ici seront celles sur l’empêchement. Au sujet des souvenirs « difficiles » : « quand s’ajoutent aux empêchements psychiques individuels les censures et amnésies politiques… » (p. 47). Et, bien sûr, dans le chapitre « Descendre dans la caverne à symptômes », à propos du mythe de la caverne de Platon : « Empêchement psychique du retour, expérience inaudible pour autrui, extrême impartageable, fracture dans la transmission. L’Enfer est bien le « pays sans retour que nous raconte l’humanité depuis ses premiers textes mésopotamiens » (p 82). Tout autant, dans « Un art du retournement » : « Mon malaise platonicien vient se mesurer au meurtre raconté au conditionnel dans le mythe de la caverne. En faisant écho aux meurtres de l’humanité, il porte encore en moi les échos des empêchements de mon enfance psychique. Les mouvements chaotiques de ma lecture me préparent peu à peu à la révélation d’un véritable enchâssement de retournements philosophiques à l’intérieur même de mes propres retournements fantasmatiques. » (p. 85).

Confidence choisie également : la place faite à un rêve aux relents éprouvants du cauchemar:
« Pour la psychanalyste rêveuse que je suis : traces de mon analyse et de ma pratique d’analyste, traces de certains rêves d’analysants auxquels je l’ai immédiatement associé. Je n’en retiens ici qu’un axe. Le rêve raconte un emboîtement des retournements : trois retours successifs s’annulant l’un l’autre. Cette problématique de passage, passage d’un lieu à l’autre, de l’intérieur à l’extérieur, s’inscrit sur fond de retour chez la mère, retour aux origines qui me rappelle ma lecture d’Otto Rank (Le traumatisme de la naissance). L’intérieur se retourne en extérieur, en une succession de retournements qui fait penser aussi à une bande de Mœbius et me fait éprouver quelque chose de la folie, notamment quand elle résulte de processus pervers selon lesquels les retournements font perdre les repères identitaires ainsi que les frontières, entre soi et l’autre, entre le devant et le derrière, entre ce qui précède et ce qui suit, par exemple dans l’ordre des générations ».

Avec cette découverte qui décide l’enjeu du livre autour de la question du retour, et depuis ce « rôle de quasi pionnier de la psychanalyse » que l’auteur enfile comme pour un jeu un ob-jeu ? (pour emprunter le mot à F. Ponge) –, une tonalité jubilatoire se faufile dans l’écriture : de surprises en découvertes, jusqu’aux « révélations », le ton de la décision ne manque pas de tenue ni d’humour. Humour dans le noir, tout autant.

Les premières pages qui nous plongent dans le sombre de la rue découverte, sombre d’aïeux, de paysages poussiéreux et d’oubli, se jouent aussi des contrastes et des vagues comme une invitation à circuler dans les clairs-obscurs. Sur la photo de couverture, entre le réel du panneau et le flou de brumes blanches, se réveille une sorte de sfumato. Sfumato qui ne va pas sans rappeler la technique de Léonard de Vinci pour le sourire de la Joconde. Le geste, dans son oblique sourire, nous plonge aussi dans ce dark continent freudien, « encoche d’une boite noire », comme le qualifie Claude Rabant (dans le dernier chapitre de La frénésie des pères). Ce même sourire que Malvine Zalzberg attribuait à une Dora claquant la porte au nez de Freud (in Qu’est-ce qu’une fille attend de sa mère ?)

Jeu de rencontres encore : si le livre de Claude de la Genardière s’ouvre avec ce sfumato évocateur, il s’achève dans un éclat de rire quand l’incessante marche de son auteur se laisse rencontrer par une « impasse » que chacun est invité à dé-passer…

Resterait un sourire, énigmatique aussi, le « sourire du chat » de Lewis Caroll, celui qui reste quand le chat même disparaît.

Élisabeth Gailledrat

Voir le blog : cdelagenardiere.blogspot.fr

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(1)Au risque de ce qui fait lapsus présent dans la formule : « l’écriture de la psychanalyse » utilisée de mémoire quand elle évoque le thème de ses recherches antérieures (ou de ses tracas ?)

 

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