Céline Masson

"Temps psychique, temps visuel" Essai sur la temporalité psychique considérée du point de vue de l’image Editions Les Belles Lettres dans la collection Encre Marine en 2010

Suzanne Ferrières-Pestureau, Psychanalyste – Chercheur Associé, Université Paris-Diderot-Paris 7
Ouvrages : « L’originaire dans la création, Ou comment les impressions infantiles influencent-elles les créations de l’adulte? » A Book Concept impression Distribution Edition (ABCIDE) 2008.
« De la sentation à l’idée, l’émergence hallucinatoire d’un fond énergétique chez le créateur »,
in illusion, vision, hallucination, in Champ psychosomatique, Médecine – Psychanalyse – Anthropologie. l’Esprit du Temps, 2007 – N° 46.
« La métaphore en psychanalyse », Préface M. Scheider, l’Harmattan, 1994. « Une étude psychanalytique de la figure du ravissement dans l’oeuvre de M. Duras », naissance d’une oeuvre, origine d’une style, Préface de M. Ledoux, l’Harmattan, 1977.

Le dernier ouvrage de Céline Masson, « Temps psychique, temps visuel : Essai sur la temporalité psychique considérée du point de vue de l’image » paru aux éditions Les Belles Lettres dans la collection Encre Marine en 2010, s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion de l’auteure sur l’image et sur sa fonction dans l’appareil psychique.
Ce nouvel essai s’attache à montrer qu’une image, dés lors qu’elle est saisie par l’appareil psychique, est toujours prise dans un temps non chronologique mais anachronique qui est la temporalité propre de la mémoire telle que Freud la définit dans la Lettre 52 de l’Esquisse. Pour Freud, en effet, l’expérience temporelle subjectivante se tisse au fur et à mesure de son déploiement au contact de situations, mobilisatrices de configurations actuelles, entrant en contact avec des évènements passés, ce qui contribue à la constitution d’une mémoire de l’infantile. Ce temps psychique, qui est un temps paradoxal, temps à la fois perdu, dépassé, inactuel et tout de même présent, actuel, est pour Céline Masson un « temps plastique » portant avec lui toute l’histoire du sujet et réordonnant avec chaque nouvel événement, sa configuration.
A partir d’une lecture de l’œuvre de Benjamin pour qui l’image est dialectique au sens où elle est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation, l’auteure introduit sa réflexion sur le rapport de cette « image-temps » à la mort « car l’image est contact avec la mort en ce sens qu’elle porte les traits du mort mais se détache du corps. Elle en conserve l’intensité en tant que passage et transformation ». 
Cette intensité conservée par l’image de temps infantile, cet invisible qui hante l’image c’est la parole. Céline Masson s’attache à suivre les effets de cette force qui insiste au sein de l’image dialectique :
Dans le travail engagé dans la cure où le sujet se retrouve face à un autre qui s’offre comme surface spéculaire d’un vu et d’un entendu et où des formes de temps s’inscrivent et se renouvellent au fil des séances dans l’espace de parole comme autant de variations traduisant des états psychiques nuancés. Ce processus est décisif pour la reconduction d’une temporalité psychique dans le transfert car il permet l’émergence de métaphores, de figures de temps pour reconstruire des lieux du corps.
Dans le rêve adressé à l’analyste où la réception de la vision d’images psychiques et de formes anachroniques opère comme révélateur d’une mémoire visuelle. Dans ce travail incessant de liaison, au sein du rêve  et du transfert, du désir à la pulsion par le jeu des figures,  s’élabore progressivement l’événement traumatique.
Ainsi la cure peut devenir un appareil, à relever les images à rêver-créer dans le temps, générateur de configuration nouvelles.
Cette intensité générée par une rencontre éclatante et fulgurante, entre un maintenant et un autrefois au sein de l’image, anime également le geste créateur qui délivre la figure d’un mouvement psychique issue de la rencontre entre le psychisme et le monde ambiant. Céline Masson par sa double expérience d’artiste et d’analyste insiste sur la nécessité de faire œuvre chez l’artiste pour donner formes et témoigner de son rapport à la réalité. Car dans ce contact avec la réalité, le créateur s’engage dans un « corps à corps » avec le monde des objets qui l’entourent et touche du doigt l’image vue en agissant plastiquement. Ce passage, entre l’intérieur et l’acte, créateur de formes, convoque la pulsion scopique car voir c’est se mettre en contact avec la chose perdue et en cela voir est un acte temporel. De cette expérience visuelle intérieure dépend l’expérience plastique laquelle consiste à transformer une forme intérieure en une « unité» nouvelle. Ainsi l’œuvre se construit « contre le vide » pour Artaud, dans ce moment « terrible » pour Van Gogh où il « perd connaissance de tout » et pour Giacometti quand «  je ne sais plus qui je suis, où je suis, je ne me vois plus »  car c’est dans l’absence que les images remontent à la vue du sujet dans le temps où le sujet a une absence.
L’écriture, celle de Proust notamment, est porteuse de l’intensité d’un temps pur, un temps qui introduit l’écrivain dans l’espace imaginaire des métamorphoses. Ainsi dans l’écriture du Temps perdu, le souvenir se transmue en une « réalité sentie » qui est un présent pur, celui de la sensation.
Faire œuvre écrit Céline Masson c’est créer du temps. Par la création, le sujet crée une temporalité qui lui est propre, à partir d’un passé qui manque, d’images-traces sans lieu auxquelles le geste créateur donne lieu.
 Cette image-traces ; image de mémoire, image de temps psychique, est une image figurale car la figure est la trace sensible d’un désir porté par le langage. Proche de cette « force plastique inconsciente » dont parle Nietzsche, ce « vouloir interne » pousse à faire œuvre c’est-à-dire à créer du temps à partir de cette « agitation figée » d’où naissent de nouvelles images recomposables à l’infini.
L’essai que nous propose Céline Masson est habité par cette force d’éternelle création qui ouvre des voies de réflexion au lecteur comme autant de possibilités de penser l’image temps dans sa pratique d’analyste ou/et  de créateur. Un très beau livre à découvrir et à conseiller à tous ceux qui aiment les images….et le temps retrouvé.

Suzanne Ferrières-Pestureau

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